Rue du Mulet

Saint-Pierre, ou le symbole du Bordeaux touristique et hype. Une façade de quais de grande classe, la carte postale par excellence, derrière laquelle se niche un petit trésor de quartier médiéval où il fait bon flâner, aller dans un des innombrables restaurants, et humer l’air d’un Bordeaux portuaire devenu touristique, et à l’évidence bobo, si tant est que ce terme veuille dire quelque chose.

Miroir d’eau, place de la Bourse, place du Parlement, Porte Cailhau… les joyaux du patrimoine local s’y déclinent sur quelques centaines de mètres à peine, rendant totalement inconcevable le fait d’éviter Saint-Pierre lorsque l’on fait visiter la ville à un touriste.

Mais vous commencez à nous connaître, nous ne sommes pas un blog de tourisme, et la dure loi de la statistique fait que nous avons quelque peu négligé Saint-Pierre, qui n’a accueilli qu’une seule de nos 54 précédentes visites, périmètre géographique réduit oblige.

Aujourd’hui Excel répare cette offense et nous envoie enfin découvrir le Bordeaux que l’on connaît déjà par coeur, celui du pub que l’on fréquente entre amis, du cinéma où on essaye de changer le monde et de la promenade du dimanche.

En arrivant devant la rue du Mulet, Vinjo et Pim réalisent néanmoins que si la rue du Pas-Saint-Georges perpendiculaire a été arpentée des dizaines de fois à toute heure du jour et de la nuit, cette venelle étroite leur était jusqu’alors restée inconnue.

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Perspective globale de la rue du Mulet

Un long panneau explicatif donne l’étymologie du lieu, pas de légende cocasse comme celle de la rue de la vache, et donc pas d’anecdote asine à vous compter, mais une bête erreur de sémantique puisqu’il s’agirait plutôt de la rue DE Mulet.

Arnaud de Mulet siégeait en effet au Parlement de Bordeaux à la fin du 16ème siècle, et ce Monsieur n’était pas n’importe qui puisqu’il était notamment Sieur de Préjeau (on n’a pas le moindre idée de ce que ça veut dire mais c’est sûrement super cool) et seigneur de la Tour-Saint-Maubert, devenu plus tard le fameux Château Latour dans le Médoc dont vous pouvez lire l’histoire ici, voire même vous offrir une petite bouteille si vous n’êtes du genre à avoir des problèmes de fins de mois.

Après, à quoi bon être un seigneur si c’est pour que quatre siècles plus tard les passants prennent votre rue pour un hommage à un cousin de l’âne ? La viographie est parfois taquine.

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Quelqu’un aurait 11 000 balles à nous prêter pour qu’on s’achète une caisse de Château Latour 2009 ?

Laissons De Mulet et revenons à nos moutons. Notre visite démarre à l’angle de la rue du Pas Saint-Georges, avec à notre gauche un glacier et à notre droite un restaurant italien, Osteria da Luigi, que l’on peut franchement vous conseiller après l’avoir testé (et visiblement les internautes sont du même avis que nous).

En arpentant la rue, on remarque pêle-mêle quelques immeubles en pierre divisés en appartements, un cabinet « d’ingénieur-conseil en conduite du changement », une maison d’hôtes puis un immeuble visiblement de standing, pour lequel une plaque indique qu’il date de 2006. La rue du mulet s’achève sur une petite place sur laquelle un chien court après une baballe sous l’œil d’adolescents en plein âge bête (c’est un constat, pas un jugement), avec en décor d’arrière-plan l’aire de livraison de la FNAC. La grouillante rue Sainte-Catherine n’est en effet qu’à 100 mètres de là, mais la rue du mulet contraste par son calme et sa faible fréquentation : aucune raison évidente d’emprunter cet axe biscornu qui n’offre aucune perspective sur le quartier.

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Mon coeur te dit je t’aiiiimeuuuuh

Alors ça c’était le trottoir de droite, mais sur le trottoir de gauche impossible de rater cet immense bâtiment flanqué d’un jardin, ce qui n’est pas si courant dans le quartier.

Nous poussons la porte du centre d’animation de Saint-Pierre pour en savoir plus. Quelques dessins d’enfants, une bibliothèque, un atelier de conversation en langue des signes. Au fond de la grande pièce du rez-de-chaussée, un bar « Le Zinc Pierre », chose qui ne laisse pas insensible les auteurs de Bordeaux 2066 qui ont fondé leur ligne éditoriale sur, outre le hasard, le houblon. Nassim interrompt sa partie d’échecs pour nous servir deux bières fraîches, puis très vite pour nous raconter l’histoire et le présent du centre d’animation où il exerce. Comme lors d’une promenade à la Benauge, nous sommes en présence d’un centre créé par l’ACAQB, association fondée sous Chaban, qui anime 11 centres dans Bordeaux dans le but de favoriser l’insertion, la citoyenneté et le partage. C’est ainsi qu’au 4 rue du mulet à Saint-Pierre, on peut assister à des concerts, participer à des projets de solidarité internationale, apprendre le coréen, ou tout simplement passer un moment à jouer aux échecs comme le faisaient Nassim et deux jeunes du quartier avant que nous les interrompions.

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Au centre d’animation de Saint-Pierre

Nassim nous raconte que le terrain était probablement il y a bien longtemps un cimetière, accolé à l’église Saint-Siméon (i.e. l’Utopia), avant d’appartenir à Arnaud de Mulet, dont il cherche toujours un portrait (si un de nos lecteurs a ça sous la main…). Il y a ensuite eu un terrain de jeu de paume, puis jusqu’en 1990 une école primaire avant de laisser place au centre d’animation du quartier.

Nassim a la quarantaine, et c’est un pur produit du quartier dont il nous raconte avec passion l’histoire cosmopolite et populaire, bien loin de l’image bobo qui lui colle aujourd’hui à la peau. L’enfance de Nassim à Saint-Pierre s’est déroulée dans un quartier un peu louche, avec ses dealers et sa vie souterraine, et à l’époque dire que l’on venait de Saint-Pierre générait une certaine suspicion chez son interlocuteur. C’était un quartier cosmopolite, où beaucoup de gens venaient d’Algérie comme les parents de Nassim, ou sinon de la péninsule ibérique. Un quartier craignos donc ? Non, bien au contraire, puisque tout le monde se connaissait, que les commerçants faisaient crédit, et que pour passer voir quelqu’un il suffisait d’ouvrir sa porte, l’interphone n’ayant pas encore conquis les entrées d’immeubles.

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Nassim lutte contre l’échec à Saint-Pierre

Les années 80 ont marqué un changement d’époque, avec une rénovation brutale ayant conduit la majorité des habitants historiques à migrer vers la périphérie.

Difficile d’imaginer ce passé populaire somme toute très récent lorsque l’on est attablé à un restaurant cosy du quartier entre des tablées de touristes, mais en compagnie de Nassim on arriverait presque à s’y croire.

Pour vous donner une idée, voici un extrait d’un JT de novembre 1980, où l’on évoque des loyers à 100 francs (soit 15 euros hein) et un questionnement sur la transformation de Saint-Pierre en « petit Marais » pour lequel on vous laisse libres de vos conclusions :

Petit Marais ou pas, ce qui reste certain c’est que De Mulet et sa rue nous font reprendre la plume sur ce blog un peu stérile depuis quelques temps. Promis on ne vous relaissera pas six mois sans ballades et sans bières !

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Au Zinc Pierre

Avenue Abadie

51 je t’aime, j’en boirais des tonneaux, à me rouler par terre, dans tous les caniveaux ! C’est avec cette petite musique en tête que nous partons ce samedi découvrir notre 51ème rue. Le tirage au sort décide lui de rester sobre, pas de rue d’Armagnac, de place Marie Brizard ou de rue Picon à l’horizon, c’est sur la rive droite que nous partons découvrir l’Avenue Abadie.

 

Abadie donc voilà notre rue

Abadie donc voilà notre rue

Touchés par la grâce, la première chose que l’on voit en arrivant sur place, c’est surtout l’église Sainte-Marie qui marque le début de notre avenue. Construite pendant la deuxième moitié du XIXème siècle, l’église a été conçue par … je vous le donne en mille … Paul Abadie. Disciple de Viollet-le-Duc et architecte diocésain, Abadie fut assez actif dans la région : restauration des cathédrales d’Angoulême et Périgueux, hôtel de Ville à Périgueux, restauration de Saint-Michel à Bordeaux, et celle aussi – plus controversée – de l’église Sainte-Croix.

Rive droite en tout cas, pas de débats sur la construction de Sainte-Marie de la Bastide qui fut érigée en lieu et place de l’église oubliée que nous avions découvert rue Henri Dunant, forte croissance démographique de la rive droite liée à l’industrialisation oblige. Sainte-Marie vient plutôt confirmer le style d’Abadie, que l’on retrouvera encore plus tard dans son projet le plus célèbre : la basilique de Montmartre.

 

Bordeaux - Périgueux - Montmartre : l'Abasie's touch

Bordeaux – Périgueux – Montmartre : l’Abadie’s touch

L’avenue pris le nom de l’architecte en 1886, deux ans après sa mort, et au moment où le préfet officialisa l’avènement de Sainte-Marie comme église « officielle » de la Bastide. Avant cela elle s’appelait beaucoup plus communément, avenue de la Gare. Oui, de la Gare, car pour nos lecteurs qui l’ignoreraient, à l’époque la Gare Saint-Jean n’avait pas le monopole des trains bordelais, et sur la rive droite se tenait la Gare d’Orléans, devenue il y a maintenant 15 ans le cinéma Mégarama.

Les conteneurs au bout de l'avenue en 2002 (Photo : Histoire de la Bastide)

Les conteneurs au bout de l’avenue en 2002 (Photo : Associations Histoire(s) de la Bastide)

Comme on le voit sur cet ancien plan, la gare et ses voies s’étendaient sur une bonne partie de la rive droite, et notre avenue était donc à l’époque un cul-de-sac, terminant sa route sur un portail marquant l’emprise de la Compagnie Nouvelle des Conteneurs, ancienne filiale fret de la SNCF. Au beau milieu de ce qui est l’actuelle Avenue Abadie, se tenait donc un site de transport combiné, en d’autres termes un endroit pour décharger des camions sur des trains, et vice-versa. Pour aller de l’autre côté, vers ce qui est aujourd’hui le site du jardin botanique, il fallait emprunter une passerelle piétonne un peu plus loin. Aujourd’hui encore plusieurs friches demeurent, plus ou moins abandonnées, ou utilisées comme parking.

Relique SNCF sur parking en voie de disparition

Relique SNCF sur parking en voie de disparition

Mais demain ces terrains seront occupés par de nouvelles constructions : logements, bureaux, commerces : avenue Abadie se termine le projet d’urbanisme de Niel, nouveau quartier de la rive droite dont on devrait voir les premiers projets sortir prochainement de terre.

En attendant les futurs projets, un bâtiment moderne se dresse déjà au milieu de l’avenue. Il s’agit du pôle universitaire d’économie et gestion construit en 2007, et là … chapeau. L’équipe de Bordeaux 2066 a souvent de fortes divergences de vue sur les projets architecturaux, mais sur celui-ci nous sommes pour une fois d’accord et admiratifs du bâtiment, léger, lumineux et fleuri, et l’on se dit que l’on aurait bien aimé étudié dans ce genre d’endroit nous qui avons usé nos culottes d’étudiants dans le ciel grisâtre de Lille, entre les briques, les frites et la bière.

Pôle universitaire vu de dehors

Pôle universitaire vu de dehors

Pôle universitaire vu de dedans

Pôle universitaire vu de dedans

D’étudiants nous n’en voyons pas beaucoup, notre visite ayant lieu un samedi. Mais en marchant sur leurs pas et sur ceux de leurs professeurs nous arrivons rapidement au Pique-Feu : bar-restaurant proche de l’église et surtout bonne adresse pour des repas de qualité à budget raisonné. On y discute avec Frédéric, le patron du lieu. Voilà dix ans qu’il a quitté le tumulte de la vie parisienne pour venir s’installer sur la rive droite bordelaise. Un pari, mais un pari réfléchi puisque ce choix il l’a fait en sentant le potentiel de ce quartier … les choses ont déjà beaucoup changé depuis son arrivée nous dit-il, et il attend les prochaines étapes et ces nouveaux quartiers qui devraient continuer à dynamiser la zone.

Si Frédéric n’est là que depuis quelques années, le Pique-Feu est lui bien ancré depuis fort longtemps, et on devine encore son ancien nom sur la façade : Restaurant Menneteau. De vieux habitants du quartier, occupés mains dans le dos et casquette sur la tête à refaire le monde sur le parvis de l’église, nous expliquent que le lieu était une halte fréquentée par les routiers qui venaient charger/décharger les conteneurs de la gare … connu aussi il y a quelques temps pour ses filles de joie, comme les nomment ces vaches de bourgeois. Plus récemment le Pique-Feu était aussi réputé pour ses aloses grillées sur un grill installé dans la rue : un régal semble-t-il ! Merci en tout cas à Brigitte de l’association Histoire(s) de La Bastide, dont les témoignages et les infos nous ont été une fois de plus fort utiles !

Incroyable : une Bluecub !

Nous voilà donc en terrasse, buvant notre traditionnelle bière de fin de visite, à observer le va-et-vient des passants de l’Avenue Abadie, bien différent du ballet des camions qu’offrait le 20ème siècle. Cinquante et unième rue de nos déambulations, l’avenue Abadie est aussi, dans l’ordre alphabétique, la première de toute les voieries bordelaises. De l’alpha à l’oméga, entre l’avenue Abadie et la rue Yves Glotin, il nous reste encore 2015 rues à explorer et 4030 bières à avaler !

Bières n° 102 et 103 du blog

Bières n° 102 et 103 du blog

Rue Emile Combes

En ces périodes troublées dans la géopolitique mondiale, et pour la visite de notre 50ème rue, Excel nous envoie explorer une frontière hautement sensible et stratégique. Après la rue du Grand Maurian il y a quelques mois, voici donc notre seconde incursion en terre saint-augustinoise, excroissance bordelaise piquée en son temps à l’imposant voisin mérignacais par la volonté du premier magistrat David Jonhston.

Et puisque le recyclage est une pratique encouragée pour la survie de notre planète, Bordeaux 2066 participe à l’effort global et ne résiste pas à l’envie de recycler le rébus alors partagé sur notre page Facebook pour faire deviner le nom du quartier visité :

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Direction la rue Emile Combes, qui a la particularité de marquer la frontière entre Mérignac et Bordeaux sur l’intégralité de sa longueur, à savoir tout de même 1,4 kilomètres, de la station de tram François Mitterrand jusqu’à l’entrée de la Rue Genesta dont les vieux de la vieille se souviendront avec émotion. 1,4 kilomètres, je vous le donne en mille, Emile, c’est quasiment un mile. Bon à 200 mètres près, mais cela en fait en tout cas la plus longue rue visitée par le blog à ce jour.

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Notre blog ne traitant que de Bordeaux, et le règlement intérieur (non écrit) étant trrrrrèèès strict, nous avons un temps envisagé de ne vous parler que de la partie bordelaise de la rue, à savoir le trottoir de droite lorsque l’on remonte vers le nord, mais finalement dans un geste d’apaisement envers nos lecteurs mérignacais nous consentirons à décrire également le trottoir d’en face, voire même pourquoi pas à sourire aux quelques passants qui s’y tiennent.

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Notre promenade commence près de la station de tram François Mitterrand, sur la grande avenue du même nom, où la rue Emile Combes se termine étrangement par deux potelets la transformant de facto en impasse.

A notre droite : Bordeaux, où se tient une grande demeure bourgeoise divisée en trois appartements. A notre gauche : Mérignac, où la Résidence Arabella bouche quelque peu l’horizon avec ses sept étages avouons-le pas follement enthousiasmants sur le plan architectural.

Bordeaux la bourgeoise, où l’on se pavane dans des salons dorés en contemplant par derrière les rideaux de soie les gueux mérignacais entassés dans leurs immeubles bon marché ? On vous arrête, la suite de la rue Emile Combes ne nous permettra pas de tirer ce genre de conclusion, et outre les panneaux et le code postal, rien ne ressemble plus à un trottoir de la rue Emile Combes que le trottoir d’en face de la rue Emile Combes.

Ce qui est assez singulier en revanche, c’est le tracé de cette rue, qui n’a de cesse de se contorsionner et de changer de direction à chaque croisement. On s’en doutait un peu en visitant : la rue marque bien une ancienne limite de domaine, qui n’était autre que celui du Grand Maurian, déjà évoqué plus haut.

Les plus férus d’histoire d’entre vous trouveront leur bonheur sur ce lien qui montre les plans du quartier en 1828, où l’on constate donc que la rue existait déjà. On relèvera néanmoins qu’à cette époque le sénateur et Président du Conseil Emile Combes n’était pas encore né, et que la rue portait le nom de « Chemin du Pont Cassé ». Et comme la vie est faite de frustrations, nous sommes incapables d’expliquer l’origine de cet ancien nom.

 

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Mérignac

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Bordeaux

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Mérignac

La rue Emile Combes égrène échoppes bordelaises (ou mérignacaises !), petits immeubles collectifs et anciennes propriétés bourgeoises, dans un décor très typique de nos quartiers périphériques, jusqu’à un changement d’ambiance à l’approche de l’église Saint-Augustin et donc du centre du quartier. La circulation automobile se montre plus dense, et la rue Emile Combes se fait commerçante puisqu’on y trouve pêle-mêle agence immobilière, caviste, crêperie, opticien, magasins de prêt-à-porter, enseigne où on vous promet de maigrir et une inévitable banque, « parce que le monde bouge » paraît-il.

Notre visite tardive ne nous permet pas de visiter toutes ces enseignes, mais on mentionnera néanmoins plus particulièrement « Cafés Dolce », lieu repris récemment par Sabine qui était depuis 12 ans « Café Mogy » (le lieu, pas Sabine). On peut y déguster plus de 100 variétés de thés et cafés, ou bien participer le samedi à un atelier de caféologie pour en savoir un peu plus sur ce breuvage à consommer avec modération.

Après cette pause café, la rue reprend son aspect tranquille, principalement composé de jolies échoppes fleuries. On croyait vous avoir débusqué une secte ou un club échangiste, mais finalement « Bordeaux Libre » est une simple maison d’hôtes décrite par son site internet comme étant « au cœur de Bordeaux », ce qui procède d’une plaisante vision de notre ville en l’an 2350.

Un peu plus loin sur la droite, se trouve le collège Emile Combes, collège bordelais donc où ne sont scolarisés que les enfants du trottoir de droite. Les ados mérignacais sont donc invités à faire un peu de sport et à se rendre au collège Bourran, à 2,5 kilomètres de là.

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Squatt mérignacais

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Collège bordelais

C'est ça ouais...

C’est ça ouais…

Pour faire un bon article, Bordeaux 2066 aime tomber sur de vrais spécimens bordeluches au langage cru, ravis de partager leurs truculents souvenirs. Peine perdue dans le policé et globalement bourgeois Saint-Augustin se dit-on, avant de tomber sur le club de pétanque du quartier, fréquenté par des papés du genre pas intimidés de nous voir débarquer.

D. ouvre la conversation, embrayant immédiatement sur ces « branques de Parisiens qui te rachètent une ruine à 400 000€ », puis coupé tout de suite par un de ses acolytes : « Mais bougre d’âne, fais attention : qui te dit que ces messieurs ne sont pas des Parisiengggs ? ».

D. est un immigré. Originaire des Capucins, c’est l’amour de « sa bourge » qui l’a porté vers Saint-Augustin, quartier agréable et commerçant certes, mais « où même les pauvres se regardent marcher ». S’en suivra le récit de réjouissantes tranches de vie de la belle époque où « à Bordeaux il y avait un bal tous les soirs, et il n’y avait pas besoin de se protéger pour sabrer une gonzesse », et où on pouvait aller sur les quais « à 11 dans la décapotable, même complètement défoncés ».

D. n’aime pas trop la façon dont évolue Bordeaux, principalement en raison des bars qui disparaissent, et là dessus on ne peut que l’appuyer. Quand il se promène dans le quartier, D. déplore de voir par la fenêtre des jeunes rivés à leur ordinateur, au lieu d’aller échanger avec les voisins. L’occasion d’en remettre une petite couche sur les Parisiens, ces gens « qui te regardent comme si tu sortais du zoo de Vincennes quand tu leur dis bonjour ».

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C’est vrai que les bars ont tendance à disparaître dans les quartiers périphériques et que la vie y est souvent anonyme, mais heureusement certains luttent contre ce phénomène et de nouvelles enseignes s’ouvrent. Rue Emile Combes, c’est Léo, enfant du quartier, qui s’y est collé. Il a repris il y a moins d’un an un ancien dépôt-vente de vêtements, et y a installé un resto-snack à bas prix mais néanmoins de qualité : la Cantine Gourmande. La bonne nouvelle, c’est que la mairie l’a autorisé à louer le petit square qui fait face au restaurant, et donc à y installer tables et jeu de fléchette, créant une sympathique ambiance de pique-nique entre copains.
Pour ceux qui sont inspirés, Léo propose de laisser sur un papier des idées de recettes de burger, et procède ensuite à un tirage au sort pour désigner « le burger du moment ».

Léo

Léo

Et pour tenter de recréer un de ces bals chers à D., Léo est actuellement en pourparlers pour avoir l’autorisation de diffuser un peu de musique live en début de soirée. Pas de quoi créer d’esclandres dans le paisible quartier de Saint-Augustin, ni de dérapages verbaux comme ceux, en 1905, du ministre Camille Pelletan sur les Corses, que son chef de gouvernement, un certain Emile Combes, avait attribué à « la chaleur communicative des banquets ».

Une simple San Miguel dégustée en fin de visite ne sera pas assez pour nous faire céder à cette chaleur des banquets, mais la douce mousse est largement suffisante pour nous (Emile) combler de joie après ce périple frontalier.

"La chaleur communicative des banquets" Emile Combes - 1905

« La chaleur communicative des banquets » Emile Combes – 1905

Rue Raymond Poincaré

Lorsque nous avons procédé au tirage au sort pour déterminer la destination de cette 47ème visite, nous n’avons pu réprimer le « hééé merdeuu » qui sert traditionnellement à exprimer ce que l’on ressent en tirant une rue de 40 mètres de long au fin fond de Caudéran.

Le hic cette fois ci, ça n’est le manque d’intérêt a priori de la rue Raymond Poincaré, mais plutôt sa localisation puisqu’il s’agit tout bonnement de la parallèle à la rue du Docteur Yersin, visitée un an plus tôt.

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Mais qu’à cela ne tienne, nous n’avons encore jamais cédé à la corruption et truqué Excel, et nous retournons donc sans sourciller vers la cité de la Benauge. Pour tout ce qui concerne l’histoire du quartier, on ne peut que vous inviter à relire notre précédent article, ou encore à consulter le travail de Tim d’Invisible Bordeaux. Et comme on sait que certains incorrigibles fainéants ne cliquent pas sur les liens, voici une vidéo historique bien complète sur la construction du quartier :

 

Voilà pour ce qui concerne le passé.

Pour le présent, et même si notre précédente visite nous avait permis de relativiser cela, on sait que la Benauge n’est pas le quartier vers lequel on irait spontanément jouer les touristes avec appareil photo en bandoulière, du fait de son image quelque peu écornée de « cité », au sens péjoratif du terme.

Premier constat : « Ça tient les murs », se disent les pleutres Vinjo et Pim qui ont grandi dans des lotissements paisibles où les murs tiennent sans l’aide de personne. Comme pour donner quelques sensations exotiques aux visiteurs que nous sommes, un ado torse nu cabre sa moto à fond les ballons et passe une fois, deux fois, trois fois, sous le regard de ses potes agglutinés devant un immeuble de la belle Cité Pinçon. Oui, belle, on peut le souligner. Ici pas de boîtes aux lettres défoncées, de tags « NIK LA POLICE » ou encore de crépi émietté, puisque l’on a une belle cité fleurie et habillée de pierres de taille, et franchement ça fait la différence !

Une rue bien vide sous la chaleur

 

Pas tout à fait une « cité » de BFM TV

 

Dans un style plus contemporain, beau aussi est le centre d’animation Bastide-Benauge qui se tient sur un côté de la rue Raymond Poincaré depuis une dizaine d’années, remplaçant des cours de tennis. Beau enfin est le sourire de Saïda, animatrice de son état, et qui nous fait une visite complète des lieux bien que nous soyons hors des créneaux d’ouverture au public. Comme dans tout centre d’animation de quartier, on y accueille enfants et ados pour diverses activités. Dans une salle au fond par exemple, une trentaine d’enfants sont en train de confectionner la déco pour la fête de la musique. Au sous-sol, on trouve un studio de musique et une salle de sports. Mais ce qui fait l’identité du centre d’animation du quartier, c’est surtout cette grande salle de danse, principal outil de développement d’un pôle d’excellence qui rayonne sur le quartier et bien au-delà. Rue Raymond Poincaré, on vient en effet de l’ensemble de l’agglomération bordelaise pour y danser, et le point d’orgue de tout cela est le festival Clair de Bastide, qui deviendra quelque chose comme « Clair des deux rives » en migrant une année sur deux vers le centre d’animation de Nansouty. Ce festival est quoiqu’il en soit un temps fort dans la vie du quartier, et il est une sorte d’aboutissement au travail de Saïda et de ses collègues, dont la mission dans ce quartier classé en ZSP (Zone de Sécurité Prioritaire) est de canaliser la fougue de la jeunesse, et de récupérer le plus possible ceux qui sont tentés de sortir du droit chemin.

La salle de danse du centre d’animation

 

Illustration réalisée par les enfants du quartier pour la fête du fleuve

 

Danse toujours, l’artiste à la moto continue son ballet dans la rue Raymond Poincaré. En dehors de ces quelques pétarades c’est très calme, la faute au soleil de plomb, conjugué au Ramadan qui ralentit surement aussi la vie du quartier.

Pour ce qui concerne le reste de la rue, on relèvera une école maternelle, mais surtout un style assez novateur de logements sociaux : de petites maisons individuelles mitoyennes, formant une résidence Aquitanis nommée « Echop’ »  en clin d’œil à cet habitat si prisé des Bordelais. Bon ça ne vaut pas l’original hein, mais ça semble tout de même pas mal !

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L’échoppe bordelaise revisitée par Aquitanis

 

En arpentant la rue Raymond Poincaré dans le sens retour, on fait un détour pour aller saluer Nicole et Robert, qui prennent l’ombre sur un banc offrant une vue imprenable sur la station-service de la Benauge. Bonne pioche, Nicole avait justement envie de faire la conversation.

L’arrière-grand-mère de Nicole était née à la Bastide : « Ici ce sont mes racines, alors j’aime toujours y venir ». Nicole se souvient même des marécages qu’il y avait à la place de la cité quand elle était enfant. Qui sait, peut-être l’aperçoit-on dans la vidéo postée plus haut ?

Nicole ne tarit pas d’éloges sur le quartier, où « on est à proximité de tout et où d’un coup de tramway on est en centre-ville ». Surtout que sa jeunesse n’a pas été des plus faciles, avec jamais moins de 10 personnes à table, 22 vaches à gérer à la ferme, et plein de responsabilités en tant qu’aînée de la fratrie. Avant de venir étudier au lycée à Bordeaux, poussée par un papa qui tenait à lui offrir une bonne éducation, Nicole vivait en Dordogne, du côté de La Roche Chalais. Pour aller faire les courses en ville, quelle que soit la météo, c’était 3 kilomètres aller et 3 kilomètres retour. Alors parfois le médecin du bourg avait pitié de la petite Nicole, et mettait son vélo dans son coffre pour la ramener, puis la libérait quelques mètres avant la ferme pour que les parents n’en sachent rien. Le reste c’est du théâtre, il suffisait de faire semblant d’être essoufflée !

Et puis y a quand même des avantages à grandir à La Roche Chalais, regardez la carte. En à peine quelques kilomètres à vélo Nicole se payait le luxe d’une balade à cheval sur trois départements : Dordogne, Gironde et Charente-Maritime. Il n’y a pas de petits plaisirs confirme Vinjo, lui dont l’enfance a été rythmée par des balades à vélo sur trois régions dans les environs de Nadaillac  (Dordogne – Aquitaine), Gignac (Lot – Midi-Pyrénées) et Estivals (Corrèze – Limousin).

Enfin tout ça pour dire qu’après avoir connu ça, Nicole apprécie le confort de la ville, et aime venir prendre l’air à la Benauge, elle qui ne vit pas dans la cité mais n’y a jamais connu le moindre pépin.

Nicole & Robert

Parler ça donne soif, et l’avantage de revenir à la Benauge c’est qu’on peut enfin tester le bar qui était fermé lors de notre précédente visite. « Vive le Portugal » s’appelle désormais L’Insomnia, et comme son nom laisse à penser il s’agit d’un bar ouvert jusqu’à tard le soir. Jonathan (prononcer Djonatanne « à l’américaine ») est le neveu du précédent gérant. A seulement 22 ans, ce carbonblannais en a eu marre des chantiers, des « patrons qui te parlent comme de la merde », et avec un peu d’aide des siens il s’est lancé dans cette aventure, occupant le marché de niche du bar de nuit sur la rive droite, ce qui permet aux gens des Hauts de Garonne de venir prendre l’apéro « sans se faire arrêter par les condés ». Maréchaussée ou pas, Jonathan pratique des prix d’appel attractifs avec la vodka-redbull à 3,50€ ou encore le mojito à 4,50€. En pleine cagne, et vu l’heure, nous resterons à la bière, d’origine portugaise tout comme l’ensemble de la clientèle ainsi que la musique. Mais attention il ne s’agit pas à proprement parler d’un bar portugais, puisque Jonathan précise bien qu’ici chacun est le bienvenu.

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Jonathan, bien réveillé derrière le comptoir de l’Insomnia

Notre SuperBock terminée, nous prenons congé de Jonathan en train de massacrer un de ses clients aux fléchettes (au sens figuré, notre jeune entrepreneur semblant au demeurant très pacifique) et retournons une dernière fois arpenter la rue Raymond Poincaré. Nicole et Robert ne regardent plus la station-service, et en bas des immeubles de la Cité Pinçon, plus personne ne tient les murs, comme si on avait compris que la pierre de taille suffisait au bon maintien des barres d’immeubles. Pas spécialement craignos cette cité finalement, où chacun semble se côtoyer et se respecter. Rue Raymond Poincaré, on arrondit les angles.

SuperBock sponsor (quasi) officiel de Bordeaux 2066

 

BONUS : la Cité de la Benauge compte 9 rues. Nous en avons déjà visité 2. Il nous reste pour l’heure 2019 rues bordelaises à parcourir. La probabilité de retourner à la Benauge est donc de 0,35% !

Rue des Deux Ormeaux

Un peu de patience, ça vient...

Un peu de patience, ça vient…

Il ne croyait pas si bien dire, ce fan Facebook… Au moment où il « lâchait son com », comme on dit sur les Skyblog, Vinjo et Pim étaient en plein concours de lâcheté pour savoir qui allait rédiger l’article sur la rue des Deux Ormeaux : « Tu le fais ce soir ? – Ah non ce soir heu… je dois sortir ma poubelle, donc c’est mort tu vois ! Heu vendredi dans 15 jours ptet ! »

Bref, pendant le mois qui vient de s’écouler, les membres de Bordeaux 2066 quand ils se disaient qu’ils devaient rédiger ce p***** d’article sur cette p***** de rue ressemblaient à peu près à ça :

Et puis finalement, il a bien fallu se sortir les doigts (Dieu sait d’où car il est omniscient) pour vous parler dans la douleur, mesdames, messieurs, de la rue des Deux Ormeaux.
Cette rue, lorsque nous l’avons abordée à vélo, elle nous a assez rapidement évoqué le concept de « ville chiante » chère à nos amis de Deux Degrés. Une ville où il ne se passe rien, ni en positif ni en négatif, et qui finalement serait recherchée pour ça. Se complaire dans la platitude, s’emmerder doucement mais surement, pourquoi pas après tout ! A Bordeaux il est d’usage de claironner que la Belle Endormie s’est réveillée. Mais finalement le sommeil c’est sacré non ? La Belle ne peut pas aller de Fête du Vin en Fête du Fleuve en passant par un Marathon sous peine d’avoir les yeux qui piquent et mauvaise haleine, aussi doit-elle parfois se rendormir.

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Et pour un sommeil bien réparateur et bien profond, quoi de mieux qu’un quartier à la fois excentré et bourgeois ?
Plantons le décor. La rue des Deux Ormeaux est un petit passage reliant la rue de Caudéran (qui permet aux Caudéranais d’accèder à Bordeaux Centre) au Cours Marc Nouaux (qui permet aux Caudéranais de rentrer chez eux). Son entrée est surveillée par le très select groupe scolaire Sainte-Clotilde / Assomption, fournisseur officiel de minettes à sacs Longchamp depuis 1860.
Sur les trottoirs on y trouve une biodiversité assez fascinante : de la Mini Cooper au Porsche Q7, ce sont de nombreuses espèces qui parviennent à se développer rue des Deux Ormeaux.

La rue des Deux Ormeaux

La rue des Deux Ormeaux

Sur le trottoir, on y trouve également Jacqueline et sa valise, qui reviennent de l’aéroport. Jacqueline vit dans une des maisons signées de l’architecte Tusseau qui ornent la rue. Ces élégantes demeures du début du 20ème siècle sont de style néo-18ème, et elles en imposent pas mal à vrai dire. Mais sans vouloir faire injure aux habitants de ce trottoir ci, c’est tout de même la baraque du voisin d’en face qui nous le plus impressionné, avec ses murs en moellons et son bow-window à l’anglaise. Il faut dire que c’est un grand nom qui en est l’auteur : Cyprien Alfred-Duprat, fils de Bertrand Alfred-Duprat, architecte également.
Les Alfred-Duprat, outre un nom rigolo, ont à leur actif un certain nombre de réalisations. Côté père, on trouve notamment un certain nombre de demeures le long du Parc Bordelais, rue du Bocage, y compris celle où il vivait lui-même (on n’est jamais mieux servi que par soi-même, en l’occurrence surtout quand on est architecte pour se faire une maison).

Chez Alfred-Duprat père, le long du Parc Bordelais

Chez Alfred-Duprat père, le long du Parc Bordelais

Réalisation du fils, rue des Deux Ormeaux

Réalisation du fils, rue des Deux Ormeaux

Côté fils, on trouve notamment l’Hôtel Schwabe le long du Parc Bordelais, la maison cantonale de la Bastide, et donc une maison rue des Deux Ormeaux. Mais ce qui nous plait surtout chez Cyprien Alfred-Duprat, c’est son livre « Bordeaux un jour ! », écrit en 1929, dans lequel il rivalise d’idées loufoques sur le devenir de notre ville : un toit-terrasse pour les Grands Hommes, une rampe d’accès automobile pour le haut du Grand Théâtre, une tour de 40 étages sur les quais… Que du très moderne pour l’époque, et surtout de l’anti ville chiante par excellence !

La Place Lainé imaginée par Cyprien Alfred-Duprat

La Place Lainé imaginée par Cyprien Alfred-Duprat

Car en attendant nous sommes toujours rue des Deux Ormeaux, et une fois qu’on a admiré les quelques maisons d’architecte il faut bien reconnaître que les explorateurs urbains que nous sommes se trouvent un peu démunis.
Le bar le plus proche se trouve Barrière Saint-Médard, et c’est le Rick Angel. Voilà qui promet de relever le niveau de cette tiède visite, se dit-on alors en googlisant cet étrange nom, qui s’avère être le pseudonyme d’un ancien conseiller de l’UMP devenu acteur porno.

Quizz. Rick Angel est-il A) en meeting à Arcachon ? B) en tournage sur la plage Nord du Porge ?

Quizz. Rick Angel est-il
A) en meeting à Arcachon ?
B) en tournage sur la plage Nord du Porge ?

Si nous en savons un peu plus sur Rick Angel (pas trop non plus hein), nous n’en saurons en revanche pas plus sur le Rick Angel de la Barrière Saint-Médard, fermé pour travaux. C’est donc un peu plus loin, au bar « Le bocage » que nous contemplons le flot de voitures qui rentrent à Caudéran le long du SM évoqué lors de notre précédente visite.

La rue des Deux Ormeaux… la rue Bel-Orme juste en face. Mais pourquoi cette obsession pour les ulmacées dans le quartier ? Visiblement, avant le milieu du 19ème siècle, ormes et ormeaux ornaient le parc de la maison Harmensen, « établissement de plaisir » du nom d’une famille de notables hambourgeois. Attention, pas le même plaisir que Rick Angel, plutôt du plaisir en tout bien tout honneur consistant à s’en mettre plein la panse et à danser entre gens bien nés.

Depuis, la maison Harmensen est devenue un couvent puis une résidence, les deux ormeaux ont été a priori coupés, et le plaisir n’est plus évoqué que brutalement par l’allusion à Rick Angel. La Belle Endormie s’est réveillée, mais rue des Deux Ormeaux, on a repris quelques somnifères.

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Rue du Grand Maurian

38. Ca n’est pas (ou plus) notre taille de pantalon, mais c’est le nombre de tirages au sort qu’il aura fallu attendre avant d’enfin mettre un pied dans le quartier Saint-Augustin, excroissance bordelo-mérignacaise extra-boulevards. Ce quartier est une des pièces manquantes de notre exploration de la cité, mais Excel nous le fait découvrir par son axe principal : la rue du Grand Maurian.

RueduGrandMaurian

Nous sommes ici derrière le Parc Lescure (Stade Chaban-Delmas pour les néophytes) et le CHU (Tripode pour les poètes), mais pourtant encore sur la commune de Bordeaux. Contrairement au Caudéran voisin, il ne s’agit pas d’une histoire de rattachement économico-électoraliste dans la mesure où Saint-Augustin n’a jamais été une commune, mais il paraîtrait qu’il s’agit là d’une volonté de l’ancien maire David Johnston qui avait une propriété dans les parages, et qui apparemment aurait considéré comme insultant d’être mérignacais. Nos lecteurs du 33700 apprécieront.

Aujourd’hui, « Saint-Aug' » se veut être un « village » dans la ville. Réalité vécue ou bien slogan vide de sens ? Nous avons entendu les deux sons de cloche lors de notre promenade et invitons ceux qui le souhaitent à s’exprimer sur le sujet. Mais village ou pas, toujours est-il qu’on ressent fortement le positionnement atypique de ce quartier commerçant, calme, et plutôt chic.

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Le quartier tient son nom d’une paroisse constituée au milieu du XIXème siècle par Jenny Lepreux, une religieuse déterminée à diffuser la bonne parole et la charité hors des murs de Bordeaux, dans ce qui est alors un territoire viticole parsemé de propriétés. Sur ces terres se dresse notamment le Grand Maurian qui, comme nous l’apprend un article Sud-Ouest du 28 octobre 1968 (attention si vous êtes au bureau, ce lien fait de la musique 🙂 ), était « un pavillon de chasse, bâti au XVIIème siècle par les ducs d’Epernon (…). Vendu au début du XVIIIème siècle, il devient la propriété de familles plus ou moins illustres, puis échoit dans la seconde moitié du XIXème siècle à Mgr Dupuch, premier évêque d’Alger« .
Suite à la mort de Monseigneur Dupuch, l’archevêché de Bordeaux acquit le Grand Maurian pour y construire une chapelle qui fit office de lieu de culte du quartier, jusqu’à l’achèvement en 1894 de la construction de l’église Saint-Augustin, quelques mètres plus loin. Ce quartier bordelo-mérignacais en cours de développement avait besoin d’être relié au reste de la ville, et dès 1895 fut donc percée la rue du Grand Maurian, officiellement inaugurée en 1900. Depuis, elle est à la fois porte d’entrée et rue principale du quartier.

La rue au début du XXème siècle. Remarquez le tram, et l'orthographe "Morian"

La rue au début du XXème siècle. Remarquez le tram, et l’orthographe « Morion » (extrait du livre « Saint-Augustin en images »)

La rue au début du XXIème siècle. Remarquez heu... cette belle Citroën Saxo.

La rue au début du XXIème siècle. Remarquez heu… cette belle Citroën Saxo.

Passées ces considérations historiques, nous commençons notre exploration à table. Et à une bonne table. Le Family est une institution du quartier existant depuis plusieurs décennies, et gérée par Philippe depuis 2011. La cuisine est simple et locale, les plats savoureux et le rapport qualité-prix intéressant : on vous le conseille.
En nous parlant du quartier, Philippe parle lui aussi du « village », et surtout des efforts que des commerçants font pour maintenir et développer cette ambiance un peu à part : soutien aux clubs sportifs des JSA (les fameuses « Jeunesses de Saint-Augustin », dont le basket présidé par Boris Diaw), animations de quartier, et organisation chaque année de la fête de l’huitre dont le succès a dépassé les frontières du « village ».

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Philippe du Familly

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En profitant de notre balade digestive dans la rue, nous constatons en effet que le quartier est calme : quelques commerces au bout de la rue proche du tram, quelques autres boutiques près de l’église, et au milieu de tout cela rien que du résidentiel.

On remarque une certaine diversité dans le style architectural local : un immeuble moderne (on y reviendra), de belles maisons bourgeoises, et quelques petites échoppes aujourd’hui rénovées et pimpantes mais qui datent du début du siècle dernier, lorsque la TEOB (ancêtre de la TBC actuelle) installa un dépôt dans le quartier. Pour loger ses salariés, la TEOB a construit moult petites maisons ouvrières qui parsèment le quartier : rue du Grand Maurian elles se remarquent notamment du n°36 au n°44 et du n°41 au n°63.

Ancien habitat de fonction des traminots. Pas mal non ?

Ancien habitat de fonction des traminots. Pas mal non ?

Comme c'est mignon <3

Comme c’est mignon ❤

Nous sommes toujours à la recherche des vestiges de la propriété du Grand Maurian quand nous croisons dans la rue Gérard et Michèle, de retour de promenade avec leur chien. Après quelques considérations sur le quartier, et alors que nous craignons que l’averse de pluie qui arrive n’écourte notre conversation, ce sympathique couple habitant ici depuis les années 1970 nous propose de passer chez eux afin de consulter quelques ouvrages sur l’histoire de Saint-Augustin.
Bingo, on retrouve dans la bibliothèque de Gérard l’information tant recherchée. Le domaine du Grand-Maurian, qui avait déjà vendu des terres nécessaires à l’urbanisation, fut remplacé après guerre par un garage / station-service, puis ensuite fut construite la résidence Hermitage Saint Augustin que l’on peut encore « admirer » aujourd’hui.

En lieu et place du Grand Maurian

En lieu et place du Grand Maurian. On remarquera une offre commerciale multigénérationnelle : de l’auto-école aux pompes funèbres.

Gérard s’intéresse lui aussi aux rues de Bordeaux, et a fortiori à la sienne, et nous aiguille vers des habitants historiques du quartier. L’heure de la sieste sera hélas assez défavorable à nos coups de sonnette. Une dame d’un certain âge nous confirme néanmoins l’existence de la station-service avant la résidence moderne sur le terrain de feu le Grand Maurian, mais se souvient encore avant de la présence d’une famille de Biarrots qui organisait des colonies de vacances vers la Côte Basque. Agée mais pas tant que ça, notre riveraine-témoin n’a en revanche pas connu la propriété du Grand Maurian, dont finalement seuls les panneaux semblent conserver le souvenir.

Nous quittons donc Gérard, que nous remercions encore pour son aide précieuse. Avant de revenir intra-boulevards, et tandis que les éléments se déchaînent à présent sur la rue, nous repassons tout de même au Family. Philippe avait raison : il n’y a pas de bistrot de quartier à Saint-Augustin, et le seul débit à bière de la rue, c’est son restaurant. C’est néanmoins avec plaisir que nous y revenons prendre notre traditionnel demi de fin de visite, ignorant cette citation de Saint-Augustin : « L’abstinence totale est plus facile que la parfaite modération ».

A la tienne Saint-Aug'

A la tienne Saint-Aug’

 

BONUS JEU DE MOTS DOUTEUX :

Grand Maurian

Cours du Maréchal Juin

On a tous nos petites contradictions. Bordeaux 2066, par exemple, est volontiers écolo et aime se promener à pieds ou à vélo dans notre ville. Oui vraiment, quelle bonne idée d’avoir réduit la place de la bagnole : on respire mieux, c’est plus calme, les façades noircissent moins vite et c’est moins dangereux pour les mamies et les gamins.

Mais il nous arrive aussi parfois, par flemme ou par commodité, de prendre la voiture. Et là, quand il faut attendre cinq ou six feux verts pour passer la Barrière de Pessac, ou qu’il faut demi-heure pour franchir la Garonne, on se prend soudainement à rêver de gigantesques autoroutes en plein centre ville sur lesquelles on pourrait laisser libre cours à nos plus bas instincts de gros beaufs d’automobilistes forcenés.

CoursMaréchalJuin

Pour qui raisonne de la sorte, le Cours du Maréchal Juin est un vrai bol d’asphalte pur parmi nos étroites rues pavées : un cours de 2 x 3 voies en lisière de centre ville, c’est aussi presque un cours d’histoire en soi tant la chose n’est plus au goût de l’époque. En effet, notre rue du jour borde le quartier Mériadeck, sur lequel on vous invite à relire notre promenade Terrasse du Front du Médoc et à consulter cet excellent site dont l’auteur nous a accompagné pour notre visite. Mais pour résumer, Mériadeck c’est de l’urbanisme sur dalle, autour de laquelle il s’agissait de concevoir quasiment une rocade urbaine : rue Georges Bonnac au Nord, et Cours du Maréchal Juin au Sud : à fond à fond à fond.

Vrooom

Vrooom

Tut tuttt

Tut tuttt

Et ça peut servir de rouler à fond à fond à fond, surtout quand on a un beau camion rouge et des vies à sauver. Si les pompiers étaient installés en plein Saint-Pierre médiéval ça ne serait pas bien pratique, mais là ça tombe bien : la Caserne Ornano et son énorme barre de 128 logements de fonction se trouvent Cours du Maréchal Juin. Le bâtiment tel qu’on peut l’apprécier (ou le détester) actuellement date de 1966, et semble un chouïa vétuste. Notons aussi que dès 1894, et sur le même emplacement, existait une caserne en pierre, bien plus modeste.

A admirer dans le hall de la caserne.

Art pompier.

Art pompier.

Caserne Ornano by night.

Au fait, pourquoi « Caserne Ornano » alors que la rue du même nom ne commence que bien plus loin ? Tout simplement parce que le Cours du Maréchal Juin est en fait un morceau rebaptisé de la rue Ornano, comme en témoignent encore les panneaux de rue. Entre maréchaux on se comprend, et puis les exploits d’Alphonse Juin lors de la Seconde Guerre Mondiale valaient bien ça.

Passage de relais entre maréchaux.

Passage de relais entre maréchaux.

En continuant sur le même trottoir en direction des boulevards, on retrouve un paysage bordelais plus classique, composé de petits immeubles en pierre. Ici le bâti a résisté à la fièvre bâtisseuse des années Chaban, si l’on excepte l’immeuble de la DIRECCTE, qui a poussé par ici à une époque où l’UNESCO ne devait même pas savoir que Bordeaux existait.

De l’autre côté de notre 2 x 3 voies, cette fois pas de doutes : c’est bel et bien Mériadeck et son urbanisme controversé qui s’offrent à nous. Le long du Cours du Maréchal Juin, on retrouve un petit concentré de ce qui constitue ce quartier : de l’hôtellerie (présence importante du Groupe Accor, dans des immeubles des années 1980/1990), de l’administration avec des services de la CUB et du Conseil Général, un immeuble de logements, des escaliers pour mener en haut de la dalle, et enfin deux équipements incontournables pour l’agglomération : la Bibliothèque Municipale, et la Patinoire.

Lors de notre promenade il est déjà un peu tard, et ces deux équipements sont déjà fermés. Du coup nous ne vous mentionnerons que rapidement la présence du grand bâtiment en verre de la bibliothèque, qui date de 1989, et qui abrite plus d’un million de documents dans 27 000 m2, dont quelques manuscrits particulièrement précieux pouvant remonter jusqu’au 8ème siècle. Le mieux est encore d’aller y flâner vous-même, ou bien à défaut de lire son histoire complète ici.

Des Lumières aux lumières

Des Lumières aux lumières

En ce qui concerne la Patinoire, on a décidé de faire un peu plus de zèle et de s’aventurer en terrain glissant dans la mesure où la période de rédaction de l’article coïncidait avec un match des Boxers de Bordeaux. Non non mesdames, il ne s’agit pas d’une compétition de caleçons mais bien de l’équipe locale de hockey sur glace qui caracole en tête de la 1ère Division, laquelle n’est pas la meilleure division : c’est assez subtil comme sport finalement.

Ce dimanche, après un derby victorieux face à Anglet, ils affrontaient les Corsaires de Dunkerque devant 2500 spectateurs. Etant totalement ignare dans cette discipline, Bordeaux 2066 s’abstiendra de tout commentaire sportif mais retiendra une bonne branlée infligée aux Flamands, avec 6-1 en score final (et 5-1 à la fin du premier tiers-temps, autant dire que les deux autres tiers-temps étaient un cran en-dessous).

Les Boxers de Bordeaux, on connaissait tout juste leur existence avant de les voir jouer, mais franchement on reviendra. Pourquoi ? Voilà notre top 5 des raisons de venir les encourager à Mériadeck, même quand on s’en tamponne la crosse du hockey :

1°) Le chauvinisme. On est leaders, et ça c’est pas dans tous les sports hein.

2°) La mélomanie. Grâce à la banda des supporters « L’esprit Boxers », vous pourrez réviser vos classiques, de la Pitxuri jusqu’à Santiano. L’ambiance est brulante, n’en déplaise aux voisins de la caserne.

3°) L’amour. C’est un sport très câlin. Les joueurs n’hésitent pas à se serrer dans les bras, parfois avec tellement de conviction que l’arbitre croit qu’ils sont en train de se mettre des mandales alors que pas du tout voyons.

Après un gros câlin, un Dunkerquois part faire une sieste.

Après un gros câlin, un Dunkerquois part faire une sieste.

4°) Le spectacle. On ne s’ennuie pas, ou peu. En plus on peut s’installer plus ou moins où on veut, assis ou debout.

5°) Argument masculin : la population féminine. La patinoire est remplie de beautés froides.

Après toutes ces émotions, comment conclure notre visite automnale Cours du Maréchal Juin ? Pour qui n’est pas végétarien, retraverser les six voies de l’artère est une option satisfaisante : le Vach’et Nous, installé ici depuis 11 ans, est un véritable temple de la barbaque. Tendrons, rognons, carré d’agneau, boudin et tricandilles vous attendent dans cette petite adresse chaleureuse où Frantz et son équipe nous accueillent avec le sourire.

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Installés en terrasse, nous contemplons une dernière fois notre cours. L’heure avance, le trafic se calme et donne l’occasion aux automobilistes d’appuyer sur le champignon. Il est temps d’y aller, on affone notre bière en écoutant les sirènes des camions d’Ornano : à fond, à fond, à fond.

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Nota Bene : contrairement à ce que peut laisser croire la façon dont c’est rédigé, le Dunkerquois Clément Thomas est sorti sur civière suite à une blessure aux adducteurs. Aucune violence n’a été exercée pour les besoins de l’article. 

Rue de Cheverus

Dans le cadre d’Agora, Biennale d’architecture de Bordeaux, nous vous proposons un hors-série de quatre rues visitées en quatre jours, avec pour une fois un tirage au sort restreint parmi les quartiers liés à la biennale. Aujourd’hui, c’est la rue de Cheverus qui a été tirée au sort le long de l’animation « Trônes d’asphalte » d’Ann Cantat-Corsini.

Après avoir visité les limites « trash » de Bordeaux sur les boulevards automobiles de la rive droite, nous voici de retour dans du bien plus classique : en plein centre de Bordeaux, rue de Cheverus, à quelques mètres de la bouillonnante rue Sainte Catherine, du cours Alsace-Lorraine et de la place Pey Berland avec ses incessants ballets de tram.

Pourtant rue de Cheverus tout est calme, très calme. Cela n’était sûrement pas le cas il y a quelques années, lorsque le collège du même nom accueillait des centaines de jeunes en culotte courte, et que le quotidien Sud Ouest avait ses bureaux dans un superbe hôtel particulier de la rue (ayant auparavant accueilli le palais de la monnaie). Mais depuis quelques années le collège est en rénovation et les journalistes ont déménagé sur les quais de la rive droite, laissant bientôt la place à la nouvelle « promenade Sainte Catherine », déjà réputée pour ses tarifs au mètre carré.

Un petit côté ville abandonnée...

Un petit côté ville abandonnée…

 Dans le haut de la rue, on croise donc des grues de chantiers et des façades noires, parsemées ci et là de photos de chaises et autres trônes d’asphaltes, installées là par Ann Cantat-Corsini dans le cadre d’Agora. L’occasion pour nous de conseiller à tous nos lecteurs de regarder le film La clairière des Aubiers – une histoire à suivre réalisé par l’artiste et que nous avions beaucoup aimé lors de notre visite du cours des Aubiers.

Installation d'Ann Cantat Corsini

Installation d’Ann Cantat Corsini

Passée cette première impression d’une rue de village en chantier, on constate très vite que notre voirie dispose de nombreux commerces.  On est ici à l’opposé des rues voisines Sainte-Catherine ou Porte-Dijeaux avec leurs commerces de chaînes et leurs magasins souvent standardisés. Rue de Cheverus on croise par exemple Alexandre, installé depuis 18 ans au Diabolo Menthe, un des cinq disquaires de Bordeaux. Il règne dans le magasin, derrière une vieille devanture boisée, une atmosphère hors du temps et rassurante : on se sent dans un cocon entre les disques de Johnny Halliday, Bob Marley ou Black Sabbath.

Ce cocon Alexandre l’étend à toute la rue qu’il juge très agréable : même si elle évolue un peu au fil du temps et que l’offre commerciale s‘étoffe, rien ne semble la détourner d’une certaine quiétude. Pas même les différentes colocations étudiantes installées dans les appartements voisins. Une rue calme en plein centre … comment l’expliquer ? Pour Alexandre pas de doute : « Les Bordelais passent toujours par les mêmes rues, ils sont en pilote automatique : Sainte-Catherine / Porte-Dijeaux, en avant ! ». Un constat que l’on ne contredira pas puisqu’il est une des raisons des aventures de Bordeaux 2066 : découvrir toutes ces rues dont on ne parle pas, ou trop peu.

Alexandre parmi ces disques

Alexandre parmi ses disques

Juste à côté, même son de cloche avec Françoise, propriétaire de la Maison du Japon. Cette enseigne est, comme son nom l’indique, spécialisée dans le produit nippon, mais attention pas de manga ou de gadget technologique ou de folklore ici, non non, Françoise vend des produits traditionnels utilisés par les Japonais : ustensiles de cuisine, vêtements, œuvres d’arts etc. Mariée à un Japonais, Françoise est une enfant du quartier. Née à Saint Pierre, elle a toujours vécu dans les rues avoisinantes et tient sa boutique depuis 13 ans maintenant.

Pour nous décrire son cadre de vie, elle utilise spontanément la même expression qu’Alexandre : « une rue de 7 à 77 ans ». En bref une rue pour tous (si vous avez 78 ans, une dérogation doit être envisageable), avec un savant mélange d’habitants, de commerçants, de jeunes et de moins jeunes, qui vivent ensemble sans se couper les cheveux en quatre … on remarque d’ailleurs une insolite abondance de salons de coiffure dans la rue, puisqu’il y en a justement quatre. Mais Françoise nous rassure « ils ne sont pas en concurrence, ils fonctionnent tous ».

Cette harmonie et cette quiétude auraient sûrement plu à Monseigneur Cheverus. Prêtre ordonné à la révolution, il émigra en Angleterre et aux États Unis ou il devint le premier évêque de Boston puis il fut nomme archevêque de Bordeaux en 1826 et y mourut dix ans plus tard (son tombeau se trouve non loin de là, dans la cathédrale Saint-André) après une vie dédiée aux plus pauvres, ceux qui n’habiteront pas Promenade Sainte-Catherine.

La quiétude décrite jusque là a tendance à s’estomper au fur et à mesure que l’on se rapproche du cours Alsace-Lorraine. On relèvera tout juste qu’une célèbre secte a pignon sur rue ici, l’occasion de croiser Tom Cruise dans les parages peut-être ? Bien plus intéressant et bien moins nuisible qu’un local sectaire, on trouve surtout plusieurs bars en quelques mètres, dont le plus connu est sans nul doute le Fiacre : véritable institution des soirées du Bordeaux Rock. Pour les non initiés, le Fiacre existe sous ce nom depuis 1870 et accueille depuis plusieurs décennies de nombreux concerts de la scène rock bordelaise, nationale et internationale.

Une photo qui résume la philosophie de Bordeaux 2066

Une photo qui résume la philosophie de Bordeaux 2066

Bel endroit pour terminer notre visite autour d’une bière … et bien non, décidés à ne pas tomber dans la facilité, nous nous détournons du Fiacre pour entrer au Flacon, bistro à vin ouvert depuis près d’un an par Valérie et Gilles, jeune couple de Toulousains. Pas de cassoulet ni de bonbons à la violette dans l’établissement mais des petits plats ou tapas à base de produits traditionnels réinventés… un délice pour nos papilles. « Non marqués du sceau de Bordeaux », Valérie et Gilles proposent des vins assez atypiques de la France entière, ainsi que de la Jupiler, pour laquelle nous optons par respect de la tradition de ce blog.

Valérie, Gilles, la Jupi et le Flacon

Le Flacon, La Jupi, Valérie & Gilles

Au final que retenir de cette rue d’hyper-centre ? Comme nous l’a dit Françoise, « le centre de Bordeaux a toujours brassé toutes les populations ». Du rock en galette, du rock en live, des produits asiatiques, des collégiens, des Toulousains, des ménages aisés et quelques illuminés. Oui, le centre de Bordeaux est à tout le monde, au moins de 7 à 77 ans.

PS : encore un bonus pour nos lecteurs, une véritable déclaration de haine envers les hipsters … à quand la prochaine guérilla urbaine ?

Rue Charles Chaigneau

Dans le cadre d’Agora, Biennale d’architecture de Bordeaux, nous vous proposons un hors-série de quatre rues visitées en quatre jours, avec pour une fois un tirage au sort restreint parmi les quartiers liés à la biennale. Aujourd’hui, c’est la rue Charles Chaigneau qui a été tirée au sort pour le quartier Brazza.

Bordeaux ville la plus ceci, Bordeaux ville la plus cela…

C’est dingue ces temps-ci comme Bordeaux a la cote. Bordeaux réussit tout, elle est un eldorado pour cyclistes, entrepreneurs, écolos, médecins, tourneurs-fraiseurs ou encore clowns unijambistes. Dans la presse et dans le microcosme local, la machine à autosatisfaction fonctionne à plein, et on s’attend à tout moment à ce que l’Express (au hasard) nous sorte un palmarès « EXCLUSIF : les villes où il fait bon sortir sa poubelle au soleil couchant », où Bordeaux serait première bien sûr, devant Toulouse, devant Paris, devant Nantes, devant le reste de l’humanité. On commenterait alors ce nouveau palmarès sur les réseaux sociaux à base de : « Ma viiiille, trop fieeeeer ❤ », et chacun enverrait alors l’article à ses potes parisiens en écrivant : « Alors mon gars t’es bien sur le périph à sortir du bureau à 21h ? Bé moi tu vois je pars à la plage pour le dîner. Allez salut bande de loosers. »

On rigole on rigole, mais nous chez Bordeaux 2066 on est comme ça aussi. En sortant de chez soi, en allant au bureau, en buvant des coups en terrasse le dimanche ou même dans les bouchons : Bordeaux est diablement belle, sa pierre blonde nous enchante, et les reflets de la Garonne nous ravissent. Même dans les quartiers où il n’y a « rien à voir » (coucou Caudéran), le charme opère, et oui il est inutile d’être faussement modeste : nous vivons dans une ville magnifique.

Le tirage au sort pour notre première rue spécial Agora 2014 est un véritable pied de nez à toutes ces certitudes. En choisissant la rue Charles Chaigneau, Excel frappe un grand coup et nous amène dans un Bordeaux méconnu : industriel, bruyant, pollué, et surtout moche. « La beauté est dans les yeux de celui qui regarde » se plaît à dire la maman de Vinjo lorsqu’il critique sa chère ville de Limoges. Elle a raison bien sûr. Mais en ce qui concerne la rue Charles Chaigneau, l’hostilité de l’environnement est frappante, et on ne pense pas s’attirer beaucoup d’ennuis en écrivant cela.

Déjà on ne vexera aucun riverain : il n’y en a pas. Après l’astuce du 2 rue Gouvea, voilà un autre moyen de gruger les contrôleurs TBC (chose que nous ne saurions approuver) : vous pouvez dire que vous habitez rue Charles Chaigneau.

On ne peut pas non plus apprécier la poésie du paysage fluvial, puisque la rue Charles Chaigneau se transforme en Quai de Brazza dès qu’elle tangente la Garonne, nous voilà donc hors sujet.

S’y promener à pieds n’a rien d’un parcours de santé : tout un trottoir est envahi d’herbes folles, mais est surtout interdit aux piétons, pas banal pour un trottoir !

Une rue interdite aux piétons

Une rue interdite aux piétons

Non le plus adéquat pour découvrir cette rue, c’est bien la voiture. La voirie est un véritable billard, y compris pour les bus qui ont un site propre sur toute la longueur. Merci Chaban-Delmas, pas le maire, mais le pont. En effet, la rue Charles Chaigneau est l’accès principal côté rive droite du nouveau pont, et ce sont donc des milliers de véhicules qui y circulent chaque jour. Mylène, jolie brune qui elle vient travailler à vélo dans le quartier nous le confirme : la rue sature en heure de pointe, et c’est d’ailleurs la seule attraction du secteur.

Une rue favorable aux voitures

Une rue favorable aux voitures et aux bus

Tous ces automobilistes ignorent probablement qu’ils sont en train d’user leur embrayage rue Charles Chaigneau, puisque pas un seul panneau ne signale l’existence de la rue. Une rue sans adresse ni même panneau, voilà qui est fantomatique.

Fantomatique est également tout un pan de la rue, occupé par un long et haut mur, mais suffisamment abîmé pour qu’on puisse voir à travers à certains endroits. S’ouvre alors à l’œil des curieux que nous sommes un paysage post-industriel un peu désolé : celui de feu l’usine Soferti, qui a fabriqué ici des engrais et produits chimiques jusque 2006 et a légué au sol des substances qui ne donnent pas envie d’y faire son potager, pour le moment.

L'ancienne usine Soferti depuis la rue Chaigneau

L’ancienne usine Soferti, depuis la rue Charles Chaigneau

Sur le trottoir d’en face, l’industrie est encore bien vivante, avec une entreprise de peintres en bâtiment et les chantiers navals CNB (pour Constructions Navales de Bordeaux)  spécialisés dans les voiliers de luxe et rassemblant tout de même quelque chose comme 400 emplois.

Si vous allez sur leur site Internet, vous constaterez que la CNB existe depuis 1987, à peu près comme les auteurs de Bordeaux 2066. Oui mais la tradition des chantiers navals est bien plus ancienne sur la rive droite, et avant la CNB il y a eu différentes sociétés comme les « Forges et Chantiers de la Gironde », ou encore la société « Chaigneau et Bichon », dirigée un temps par le lormontais Charles Chaigneau qui nous occupe aujourd’hui. C’est à Chaigneau et Bichon, avant la naissance de Charles, que nous devons notamment le lancement en 1816 de « La Garonne », premier navire commercial à vapeur français. « Bordeaux meilleure ville d’Europe pour construire des voiliers » titrait alors L’Express de l’époque.

Les mats de l'usine CNB

Les mats de l’usine CNB

Si Charles Chaigneau n’a pas de panneau pour lui rendre hommage dans la rue qui porte son nom, au moins a-t-il hérité d’une rue en pleine cohérence avec la vie qu’il a menée.

Si l’activité navale se porte bien ,sur le trottoir d’en face tout reste à (re)faire. Rassure-toi lecteur, la rue Charles Chaigneau n’est pas condamnée à rester une expression de tout ce que l’urbanisme fait de plus trash, entre mauvaises herbes, embouteillages et friches industrielles. Si tout se déroule comme prévu, la halle de l’usine Soferti sera réhabilitée au cœur d’un secteur de 6000 habitants où l’on promet même un « quartier paysage » et que les prix ne seront pas exorbitants (coucou Ginko).

En buvant une Super Bock dans un bar-resto portugais du Bas-Cenon tout proche, Bordeaux 2066 repense à cette drôle de rue sans panneau ni riverains, bruyante, polluée, et pas franchement belle. On a tous connu une fille pas très gracieuse au collège, qui s’est avérée être une bombe par la suite, et là on se dit « si j’avais su… » . Et si c’était le même processus pour la rue Charles Chaigneau ? Et si son futur résidentiel était à la hauteur de son passé industriel ? Si les équipes du projet Brazza font du bon boulot, en 2025, on enverra à ses potes parisiens des selfies d’apéro en écrivant : « Alors looser, encore dans les bouchons ? Regarde comme moi je me mets bien sur ma terrasse au soleil, rue Charles Chaigneau ».

Produits typiquement bas-cenonais.

Produits typiquement bas-cenonais.

Bonus : pour nos lecteurs intéressés par les revendications en tout genre, ci dessous un beau spécimen trouvé sur un arrêt de bus de la rue Charles Chaigneau.

Rue Gouvea

RueGouvea

Gouvea, Gouvea… Au moment où Excel rend son verdict quant à notre destination du jour, nos pensées oscillent entre un atoll propice aux essais nucléaires ou encore une marque de gel douche, mais pas tellement vers une rue de Bordeaux. Et pourtant Vinjo en fouillant dans les souvenirs de sa folle jeunesse se souvient d’une cave de Saint-Pierre où il se trémoussait sur de la mauvaise musique en buvant du mauvais alcool. Il y avait là une demoiselle fort aimable, qui au moment de s’adonner au rituel du « zéro-six » avait laissé Vinjo médusé, déclarant préférer laisser son adresse postale, la belle ne goûtant pas trop aux joies du « Kikou g paC 1 tro bonne soirée hier jspr que toi ossi, rv o mcdo du pont de la maye à 17h si sa te di ». Non, A. était du genre à vouloir recevoir une missive en bonne et due forme dans sa boîte aux lettres, rue Gouvea donc. La suite (et c’est aussi le nom de la boîte de nuit en question, d’aucuns l’auront déjà deviné), c’est qu’il n’y en a pas. Désolé lecteurs en mal d’eau de rose, mais si les histoires d’amour finissent mal en général, il arrive parfois qu’elles ne commencent même pas, en tout cas pas rue Gouvea.

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La rue est très courte (moins de 50 mètres), mais très centrale puisque perpendiculaire à la rue Sainte-Catherine et menant vers le palais des sports, un bâtiment très ****** (insérer ici l’adjectif injurieux de votre choix). C’est néanmoins à lui que l’on doit la première curiosité que l’on remarque dans la rue : la numérotation des immeubles commence à 24 au lieu de commencer à 2, le côté ouest de la rue étant devenu « Rue Pierre de Coubertin » suite à la construction de l’enceinte sportive en 1966. Voilà qui fait de la rue Gouvea une voirie idéale pour laisser une fausse mais crédible adresse (NB : cette remarque n’a rien à voir avec l’anecdote précédente, l’adresse de A. ayant été certifiée conforme – elle peut en revanche intéresser les contrôleurs de TBC).

Perspective côté Sainte-Catherine

Perspective côté Sainte-Catherine

Perspective côté Palais des Sports

Perspective côté Palais des Sports

Si la rue s’appelle Gouvea, ça n’est pas en hommage au charme discret (hum hum) du mannequin brésilien Nana Gouvea, mais plutôt à l’œuvre de l’humaniste André de Gouvea, d’origine juive portugaise, qui fut au 16ème siècle directeur du Collège de Guyenne où étudia un certain Montaigne. L’établissement occupait alors l’angle avec la rue Sainte-Catherine, celui par lequel nous abordons notre visite, et qui a laissé place aujourd’hui à un immeuble classique abritant une pharmacie et un magasin de prêt-à-porter bon marché.

Un homme un peu hagard assis sur un scooter vide une bouteille de bière et tire sur son joint, sans prêter attention à nos déambulations. Scène banale d’après les vendeuses de la librairie Album, spécialisée dans les bandes dessinées de tous genres, et qui occupe l’angle opposé à feu le Collège de Guyenne. Rien de bien grave ou de bien méchant nous dit-on, mais ici on soupire un peu devant les petites incivilités, les parties de foot improvisées dans la rue et l’odeur perpétuelle de cannabis. « La rue Gouvea c’est un peu la chasse d’eau de la rue Sainte-Catherine » nous glisse une des vendeuses.

Une chasse d’eau, rien que ça ? D’après Wikipedia, « une chasse d’eau est un dispositif dont le rôle est d’évacuer les excréments de la cuvette des sanitaires. Le fonctionnement d’un tel mécanisme repose sur la libération brutale d’une quantité d’eau préalablement stockée dans un réservoir. Ce flux d’eau crée un courant suffisant pour entraîner avec lui les matières fécales et le papier hygiénique. »
Comparer une rue à une chasse d’eau n’est pas très académique dans la doctrine urbanistique, mais une analyse de la définition ci-dessus donne en partie raison à notre commerçante, puisqu’une autre curiosité de la rue Gouvea c’est son cimetière de poubelles, amassées devant une laverie abandonnée. « Elles finissent toutes là, on n’arrive pas à comprendre pourquoi ». Nous non plus à vrai dire, mais si un jour on doit accompagner une poubelle vers sa dernière demeure, nul doute qu’on songera à cet endroit somme toute parfaitement adapté.

On ne salit pas la chasse d'eau, merci.

A gauche : laverie abandonnée, cimetière de poubelles et copines lilloises (dont notre 1000ème fan Facebook)                                 A droite : vaine incitation

Pour admirer le cimetière de poubelles de la rue Gouvea, le mieux est encore de prendre une bière chez Louis. S’il porte ce prénom si vieille France, c’est que Louis avait un grand-père marseillais. Mais ce rude gaillard tatoué de partout est bel et bien un Yankee, un vrai. The Grind House, comprendre « la maison de la cuite », est un établissement qui joue à fond la carte Oncle Sam, avec sa décoration virile qu’on ne sait pas trop à quel degré prendre. Mais si vous aimez l’Amérique, c’est bel et bien ici qu’il faut venir, puisque d’après Louis The Grind House est le seul bar américain de Bordeaux.

Louis aime beaucoup la France, Bordeaux, et même la rue Gouvea qui est d’après lui sans problèmes, mais il va rentrer prochainement dans sa Floride qui lui manque trop. Son associé français va tenir le comptoir, mais promis l’esprit Route 66 et les tournois de Beer Pong vont rester !

Louis, Vinjo, et Greg, éphémère visiteur lillois

Louis, Vinjo, et Greg, éphémère visiteur lillois

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Amérique toujours, mais un peu plus au Sud, c’est dans l’établissement d’en face que nous terminons notre visite. Le snack-restaurant Délices des Antilles nous permet de prolonger l’apéro avec un ti-punch et un bokit à la morue. C’est économique, c’est simple et c’est bon : voilà qui constitue une alternative sérieuse aux sempiternels kebab et MacDo de milieu de soirée ! L’établissement s’est installé rue Gouvea il y a environ quatre ans, mais Patricia est loin d’être une novice puisqu’elle tenait auparavant la même enseigne à Saint-Michel puis sur le Cours de l’Argonne.

Sa ke bon menm

Sa ke bon menm

Au final, cette petite rue de 49 mètres devant laquelle des milliers de personnes passent chaque jour vaut le détour. Si vous aussi, vous trouvez parfois la rue Sainte-Catherine merdique, alors n’hésitez pas à actionner la chasse d’eau qui vous mènera rue Gouvea, jusqu’au Palais des sports qui, sous ses faux airs de fosse septique géante, est en train de s’offrir une sacrée toilette. Certes il y a un peu de drogue et beaucoup de poubelles, mais une pinte, un ti-punch et un bokit plus tard, on parvient à sentir les effluves de l’enseignement humaniste d’André de Gouvea, même quand il fait un temps de chiotte.

BONUS : ce lien ne vous laissera pas insensible.