Passage Pambrun

En ce samedi de mai, l’équipe de Bordeaux 2066 a une fois de plus peur. Rien d’effrayant dans les premières températures d’été, et encore moins dans le nombre des années qui augmente pour Pim en cette veille d’anniversaire. Notre peur est bien plus primaire : Excel nous a encore joué un tour. Après les 43 mètres de la rue Fénelon, nous voici confrontés aux 47 mètres du Passage Pambrun.

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Mais là où la rue Fénelon était remplie de magasins, et donc de témoins potentiels, nous nous attendons à trouver beaucoup moins de quidams dans ce passage reculé, proche de la gare et à la limite de Bègles. A notre descente du tram à l’arrêt Carle Vernet, nous tombons d’abord sur la Maison du projet de Bordeaux Euratlantique : et oui, le passage Pambrun, tout comme la rue Sarrette ou la rue Brulatour risque de bien changer dans les prochaines années, avec l’arrivée du TGV, la sortie de terre de nombreux projets immobiliers, le développement d’un quartier d’affaire etc.

Mais pour le moment, maison du projet mise à part, il n’y a pas encore de signe de grands bouleversements. Après avoir parcouru la rue Cazeaux perpendiculaire au tram, nous arrivons sur place : passage Pambrun nous voici !

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Avouons le, le premier ressenti ne nous rassure pas … 47 mètres c’est court ! Nous remarquons d’ailleurs que ce passage reste une adresse quasi exclusive puisque pour y vivre vous n’avez le choix qu’entre le numéro 1 ou le numéro 2, ensuite les maisons basculent automatiquement sur la rue Cazeaux ou la rue Poissonnier.

C’est justement rue Poissonnier, à la sortie du passage, que nous croisons Dominique, qui nous accueille couteau dans la main. Pas d’inquiétude, Dominique n’a nullement l’intention de nous mener dans la ruelle pour nous montrer son Opinel. Au contraire, son arme blanche Dominique l’utilise en tant que Michel Morin du quartier pour réajuster la cane d’une mamie … belle convivialité entre voisins ! Est-ce ainsi dans tout le quartier ? Cela dépend nous dit Dominique, « ici vous avez la rue des c…., et là celle de la solidarité ». Bon, ne nous attardons pas trop longtemps sur les quelques conflits passés de voisinage qui suscitent encore quelques noms d’oiseaux, concentrons nous plutôt sur la solidarité.

Le 1 passage Pambrun

Le 1 passage Pambrun

Le 2 passage Pambrun

Le 2 passage Pambrun

Dominique nous le dit clairement : ici historiquement, c’est un quartier populaire, d’immigrés, d’ouvriers et de cheminots. Des gens qui ont appris à se serrer les coudes et à compter les uns sur les autres. D’accord, mais aujourd’hui alors, que pense Dominique des futurs projets ? Si les immeubles ne l’enchantent pas forcément, il n’a pas peur des nouveaux habitants « des jeunes s’installent dans le quartier depuis quelques années, la population se renouvelle, mais ils sont tous très gentils, très aimables. Ils redonnent de la vie au quartier, et puis il y a des couples avec des racines différentes, ça apporte de nouvelles choses, c’est bien ».

Vue générale du Passage Pambrun

Vue générale du Passage Pambrun – sens aller

Vue générale du Passage Pambrun - sens retour

Vue générale du Passage Pambrun – sens retour

Chantre de la mixité sociale et ethnique, Dominique est également un apôtre de l’intergénérationnel et nous propose d’aller sonner chez une voisine, un peu plus loin, qui connaît toute l’histoire du quartier. Au premier coup de sonnette, et après les aboiements de Valou, fidèle chien de garde, nous voyons arriver Jeanne. Au premier coup d’œil c’est le coup de cœur : pas de doute, Jeanne sera une belle rencontre, comme celles que ce blog nous a d’ores et déjà offert dans d’autres rues.

Octogénaire à la démarche paisible, à l’œil vif et au sourire charmeur, Jeanne nous parle derrière sa grille de jardin « pour ne pas laisser échapper le chien, à mon âge je ne peux plus le rattraper ! ». Chien qui ne manquera pas de se faire remarquer lors de notre passage « Valou, tu as encore pété ! Tu m’empestes ! ».

Mais une fois le canidé rabroué, notre sympathique mamie s’intéresse à notre démarche et enclenche la machine à souvenirs. Pendant une heure de discussion à bâtons rompus, nous repassons toute l’histoire du quartier : des dizaines d’anecdotes, de fragments de vie, d’histoires drôles ou tragiques. Difficile de tout retranscrire ici mais en vrac sachez que près du passage Pambrun coulait autrefois à ciel ouvert l’Estey Sainte-Croix. On y menait boire les vaches, et quand il faisait chaud Jeanne s’y baignait et se chamaillait avec ses camarades à grands coups de sangsues lancées sur l’un ou l’autre.

Le quartier a bien sur connu la guerre, et tous les habitants qui se réfugiaient dans la maison d’en face, se partageaient, ironie du sort, des pastilles Vichy en attendant la fin de l’alerte. Ensuite les années fastes, l’arrivée du tout à l’égout, et toujours la convivialité : « on n’avait pas la télé, alors le soir vous savez on sortait les chaises dehors et on discutait entre voisins, tout simplement ».
Voisinage toujours avec des histoires cocasses et loufoques : un coup de fusil par ci, un ferrailleur coureur de jupons par là, ou encore un voisin qui avait sa carte et à la CGT et au RPR car comme il avait dit « moi tant qu’on me donne du boulot, je prends la carte ».

Jeanne nous confirme aussi la tradition populaire du quartier : beaucoup de cheminots, comme souvent à Bordeaux des Espagnols, et plus inattendue une communauté tchèque, venue cristalliser son savoir-faire à la verrerie Domecq voisine ou à l’usine Saint Gobain des boulevards, celle là même où avait travaillé notre copine Fernande de la rue Brulatour. Cette communauté tchèque, on n’en trouve plus trace aujourd’hui, malgré la présence du dernier ressortissant Tchèque Diabaté.

La maison des Pambrun, entièrement refaite il y a quelques années

La maison des Pambrun, entièrement refaite il y a quelques années

Sur le passage qui nous occupe aujourd’hui, Jeanne nous apprend que la famille Pambrun était propriétaire d’une grande partie des terrains qui forment le pâté de maisons actuel. Les Pambrun étaient « moutonniers », ce qui ici ne veut pas dire qu’on avait affaire à des gens grégaires mais bien à des bergers périurbains, quand l’actuel quartier Carle Vernet ressemblait encore à de la palu bien grasse. Après quelques recherches, un descendant de la famille Pambrun nous a d’ailleurs confirmé l’implantation du fief familial dans les Hautes-Pyrénées, avant d’essaimer vers les Landes et le Bordelais, à contre-courant de la transhumance.

Le soleil se couche et voici l’heure de quitter Jeanne et Dominique. Mais Jeanne on ne l’oubliera pas de sitôt, et là voilà à tout jamais dans la photothèque de Bordeaux 2066, avec son voisin et ses nains de jardin.

Dominique et Jeanne

Dominique et Jeanne

Lecteur rassure toi, après deux rues dans lesquelles nous n’avions pas eu l’occasion de boire la traditionnelle mousse finale, l’offense est réparée puisque nous nous offrons quelques jours plus tard un déjeuner au restaurant le Banlieue Sud, bien connu de ceux qui ont usé leurs nerfs aux feux rouges à l’angle de la rue d’Armagnac et de la rue Carle Vernet. C’est une cantine populaire comme on l’imagine : service uniquement le midi, repas copieux et savoureux, ambiance décontractée et petits prix ! Une bonne adresse, et surtout l’occasion de renouer avec le houblon.

Au Banlieue Sud

Au Banlieue Sud

Les 47 mètres du Passage Pambrun mènent bien plus loin qu’à la rue Cazeaux et à la rue Poissonnier. En remontant l’Estey Sainte-Croix dans lequel Jeanne barbotait, on arrive jusqu’aux Pyrénées des Pambrun. De là, en grimpant par temps clair, on aperçoit l’Espagne et ses plaines dépeuplées au profit des faubourgs ouvriers de Burdèos. Une vie de labeur, y compris pour les verriers arrivant de la Bohême. Aujourd’hui, dans le sillage du TGV, se pointent quelques bourgeois. Mais on n’efface pas l’histoire si rapidement : en hommage à la communauté tchèque disparue, certains de ces bourgeois sont aussi bohèmes.

Rue Brulatour

Lorsque nous débarquâmes rue Brulatour en ce début de soirée d’automne, la chose n’était pas très engageante. Une petite bruine, des affiches politiques plus ou moins extrêmes, et un toxicomane titubant sur le trottoir.

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Ne nous fions pas à notre première impression, et engageons-nous dans la courte rue Brulatour. Nous sommes ici dans les faubourgs Sud de Bordeaux, à la limite de la commune de Bègles, ex banlieue rouge devenue verte.

Le soleil pointe un rayon, un arc-en-ciel se forme. Moins de deux minutes plus tard, nous avons fini d’arpenter l’alignement d’échoppes et sommes déjà au bout de la rue, qui se prolonge en « Cité Brulatour ». Une autre fois, peut-être.

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Tandis que nous prenons quelques photos, Christian, en train de rentrer chez lui, nous interpelle d’un air amusé : « Vous êtes journalistes ? ». Non, pas vraiment. On lui explique la raison de notre visite. Alors il nous raconte, lui qui habite dans la rue depuis environ 30 ans : « C’est un quartier populaire ici, il y avait auparavant une usine de chaussures au bout de la rue, et beaucoup d’habitants y travaillaient. » Les yeux de Christian pétillent, il a une idée. « Venez, on va aller sonner un peu plus loin, je vais vous présenter la mamie, c’est la plus ancienne de la rue ». Le coup de sonnette est énergique, car Fernande est assez âgée. C’est même pour l’instant la doyenne des interlocutrices du blog, puisqu’elle a 92 ans. Née à Paris, Fernande est partie en exil en Chine pour embrasser le maoïsme, elle s’est ensuite mariée avec un armateur grec avec qui ils ont fait le tour du monde, et a choisi de poser ses valises pour une retraite heureuse à Bordeaux Sud. En fait non. Fernande a vécu ici, dans sa maison, les 80 dernières années. Et avant elle n’était pas bien loin, puisqu’elle est née sur le Boulevard Albert 1er, à 200 mètres de là. Autant dire que c’est une locale. Alors, accoudée à son portillon un peu plus haut qu’elle, Fernande nous raconte. Sa voix est assurée, ses souvenirs sont précis.

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Il y avait les usines bien sur : Marmillon, qui transformait les os pour en faire notamment du suif. L’usine à chaussures, dont « on » racontait qu’elle avait été montée suite à une filouterie. Un peu plus loin, plus près de la Garonne, c’était la métallurgie.  Côté Bègles, juste de l’autre côté du boulevard, c’était bien entendu le royaume de la morue. D’ailleurs, les rails que l’on aperçoit encore aujourd’hui au bout de la rue Brulatour voyaient passer des trains remplis de morues ou d’autres marchandises. Tout cela n’était pas sans conséquences olfactives !  On n’oubliera pas non plus l’usine Saint-Gobain, oh non, puisque Fernande y a travaillé 37 années durant !  Mais n’allez pas imaginer une grande usine avec d’interminables chaînes, ils n’étaient que 6 ou 7 à y travailler !

Au pays de la morue (source : http://crdp.ac-bordeaux.fr/)

Au pays de la morue (source : http://crdp.ac-bordeaux.fr/) 

Il y avait bien entendu une vie à côté de l’usine, et rue Brulatour il y avait surtout une épicerie et un café où tout le monde se rencontrait. Il y avait aussi l’Estey Sainte-Croix (qui est un des bras de l’Eau Bourde, au bord de laquelle 50% de l’équipe de Bordeaux 2066 a grandi, ô émotion), aujourd’hui enfoui sous la rue Brascassat. Jusque dans les années 50, il était à l’air libre, et un petit pont avec un puits reliait la rue Brulatour à la cité Brulatour. Ceux qui n’avaient pas le courage d’aller jusqu’au lavoir officiel faisaient leur lessive ici, mais gare à l’appariteur de la mairie qui patrouillait, car quand il arrivait et qu’il vous voyait « il fallait courir ».

Fernande nous a raconté tout cela et bien d’autres choses encore pendant presque une demi-heure. On ne vous la montrera pas, elle est atteinte du syndrome Angèle. Et puis, « c’est pas à mon âge que je vais devenir célèbre ». Mais on peut la remercier, vraiment, pour ce précieux témoignage, ainsi que Christian de nous avoir mené à elle.

C’est la tête pleine de ces histoires d’un passé pas si lointain mais qui semble tellement loin aujourd’hui que nous continuons notre exploration. Justement au bout de la rue, la manufacture de chaussures est là, belle et pimpante sous ses couleurs bleu Majorelle.

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Car oui rue Brulatour c’est de l’histoire mais c’est aussi le futur. L’usine d’hier (déménagée en 1995 à Blanquefort si les souvenirs de Fernande sont exacts) est aujourd’hui devenue la Manufacture Atlantique : une scène culturelle, accueillant théâtre, danse et autres manifestations. Ce soir là justement un spectacle est en cours et nous donne l’occasion de papoter avec les traiteurs qui attendent l’entracte … tapas et boissons proposés par Quicook, association multifonctions et très sympathique.

 Caroline, qui travaille ici, nous invite à repasser voir le lendemain midi ce que donnent les lieux au soleil, et en effet c’est un chouette endroit :

Le "Collectif Mixeratum Ergo Sum" en répétition.

Le « Collectif Mixeratum Ergo Sum » en répétition.

L'espace bar à l'entrée

L’espace bar à l’entrée

Des artistes en pause déjeuner à côté de ce qui était autrefois un local syndical.

Des artistes en pause déjeuner à côté de ce qui était autrefois un local syndical.

A tous les nostalgiques de l’industrie locale, sachez que l’usine existe encore, même si la chaussure, ça ne marche pas fort.

Pour finir, et puisque certains de nos lecteurs se sont plaint de la disparition des photos de bières sur ce blog, nous terminons l’exploration de la rue à La Muse Café pour y déguster une bière locale bio : la Mascaret. Ici aussi on connait l’histoire du quartier, puisque le lieu était auparavant un grand resto que fréquentaient surtout les cheminots, mais on attend de pied ferme le futur. Nicolas à ouvert il y a cinq ans ce café concept où l’on vient pour boire un verre mais aussi pour jouer à un des nombreux jeux de société présents sur place, participer à une soirée jeu de rôle, bref échanger car Nicolas « croit au jeu comme biais de sociabilité ». La clientèle est là, mais il attend de pied ferme tous les nouveaux geeks qui vont arriver avec les chantiers de Bègles et la future cité numérique qui doit s’installer sur le site des Terres Neuves, tout près du café.

Mascaret sur ancien estey.

Mascaret sur ancien estey.

Nicolas

Nicolas

Numérique, morue(s), chaussures, Saint Gobain, estey et mascaret … passé, présent, futur, c’est un beau voyage dans le temps que nous a offert la rue Brulatour. D’apparence calme c’est un bout d’histoire et un territoire qui cherche aujourd’hui à se réinventer.

Désindustrialisée la rue Brulatour, indéniablement. Déshumanisée, certainement pas !

BONUS : Pour avoir quelques extraits de témoignages d’ouvriers locaux, vous pouvez fouiller ce blog de l’IJBA.

BONUS 2 : On a apprécié l’hétéroclisme des affiches de la rue Brulatour (non, ça n’est pas la programmation de la Manufacture Atlantique) :

Michel Sardou et Choeurs de l'Armée Russe

Michel Sardou et Choeurs de l’Armée Russe