Rue de Mulhouse

 

Comme vous le savez si vous nous suivez sur Facebook, nous partageons souvent les points de vue de nos amis de Deux Degrés : agence d’urbanisme décomplexée. Pour cette 56ème rue, c’est donc Mathieu de Deux Degrés qui prend la plume et nous donne sa vision de la rue de Mulhouse ! 

Que dire sur la rue de Mulhouse ? 150 mètre d’échoppes plus ou moins cossues et d’Audi garées au coeur des quartiers résidentiels chics de la barrière de Saint-Médard. Depuis les trottoirs, nous devinons les jardins derrière les grandes vérandas colorées. Rue de Mulhouse, les habitants sont paisiblement heureux. Nous les imaginons déambuler joyeusement dans les allées du Parc Bordelais le dimanche après-midi avec leurs enfants à la scolarité exemplaire. « Imaginer » car soyons honnêtes, il n’y a personne dans la rue à qui demander ce qu’il se passe vraiment par là. Alors que nous entamons notre deuxième aller-retour, un bruit léger nous interpelle. Que se passe t-il ? Un mouvement. Quelqu’un bouge. Un sénior sort doucement de sa maison. Nous nous approchons respectueusement de lui pour l’interroger sur le quotidien de la rue de Mulhouse. En vain, il refuse de nous répondre, probablement de peur de venir troubler la quiétude du lieu. Il partira silencieusement vers son break Dacia Lodgy.

Mini vs Twingo : le grand combat

Mini vs Twingo : le grand combat

Peu à peu, la rue s’anime.  Mais ici, les drames du quotidien, que ce soit la pauvre jeune femme qui a perdu son beagle ou ce jeune homme préoccupé par le rangement de ses clubs de golf, ne parviennent pas à troubler le calme de la rue. Même l’agitation liée à la proximité de la belle-famille de Julien Courbet  ne semble pas pouvoir perturber la tranquillité résidentielle par ce bel après-midi d’automne.

Faute de bars à proximité, nous poursuivons vers la pâtisserie du coin pour la traditionnelle bière. La caissière, une habitante de Saint-Michel, nous confie qu’ici, c’est calme. Très calme. Peu de problèmes à l’horizon hormis quelques personnes âgées malpolies.

Consciencieux et l’esprit en alerte grâce à notre précieux breuvage, nous retournons direction rue de Mulhouse. Nous espérons bien y trouver quelque chose à dire. Nous sommes plus attentifs aux passants, à l’ambiance. Une vieille dame en doudoune passe, un père de famille en foulard remonte la rue silencieusement. Les regards sont bas. Le silence pesant lorsque les gens se croisent. Comme s’il y avait de la méfiance dans l’air. Oui, derrière les vieilles pierres des maisons, nous ressentons un malaise, un mal profond. Le calme de la rue ne parvient pas à dissimuler la tension qui règne par ici. Les gens refusent d’en parler mais il ne fait aucun doute que la suspicion règne entre les voisins. Le doute est là. Les sourires de façade ne parviennent pas à masquer le terrible bouleversement en cours. Ce qui se joue rue de Mulhouse laisse planer une chape de plomb pesante par dessus les verdoyants jardins de ce lotissement des années 1870. Ce qui se trame rue de Mulhouse immisce le doute au plus profond des foyers. Les habitants de la rue sentent que toutes leurs certitudes peuvent bientôt voler en éclat. Tout ce qu’ils ont connu ne sera peut-être plus dans les jours à venir, quand un voisin glissera dans l’urne son bulletin François Fillon pour les primaires des Républicains. Voter François Fillon ? A Bordeaux ? Face à Alain Juppé ? Pourquoi ? Mais pourquoi ? Quel serait la signification d’un tel geste au coeur de ce quartier baigné depuis si longtemps par la douceur bienveillante d’Alain Juppé ? Nul ne le sait. Mais le doute est là. Il y a un filloniste rue de Mulhouse. Peut-être cet homme avec sa doudoune matelassée ? Peut-être cette jeune maman avec ses élégantes chaussures vernies ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais une chose est sûr, rien ne sera jamais plus comme avant rue de Mulhouse. Quelqu’un va voter François Fillon à la primaire des Républicains.

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Tout est calme, trop calme

 

Tradition & modernité

Aujourd’hui, 20 jours après cette visite, nous n’osons imaginer l’état de tension régnant rue de Mulhouse. Les voisins se salueront-ils lorsqu’ils se croiseront au bureau de vote dimanche ? Rien n’est moins sûr. Voilà de quoi geler l’animation de la rue pour quelques années encore.

 

Jour de fête rue de Mulhouse

 

Rue du Grand Maurian

38. Ca n’est pas (ou plus) notre taille de pantalon, mais c’est le nombre de tirages au sort qu’il aura fallu attendre avant d’enfin mettre un pied dans le quartier Saint-Augustin, excroissance bordelo-mérignacaise extra-boulevards. Ce quartier est une des pièces manquantes de notre exploration de la cité, mais Excel nous le fait découvrir par son axe principal : la rue du Grand Maurian.

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Nous sommes ici derrière le Parc Lescure (Stade Chaban-Delmas pour les néophytes) et le CHU (Tripode pour les poètes), mais pourtant encore sur la commune de Bordeaux. Contrairement au Caudéran voisin, il ne s’agit pas d’une histoire de rattachement économico-électoraliste dans la mesure où Saint-Augustin n’a jamais été une commune, mais il paraîtrait qu’il s’agit là d’une volonté de l’ancien maire David Johnston qui avait une propriété dans les parages, et qui apparemment aurait considéré comme insultant d’être mérignacais. Nos lecteurs du 33700 apprécieront.

Aujourd’hui, « Saint-Aug' » se veut être un « village » dans la ville. Réalité vécue ou bien slogan vide de sens ? Nous avons entendu les deux sons de cloche lors de notre promenade et invitons ceux qui le souhaitent à s’exprimer sur le sujet. Mais village ou pas, toujours est-il qu’on ressent fortement le positionnement atypique de ce quartier commerçant, calme, et plutôt chic.

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Le quartier tient son nom d’une paroisse constituée au milieu du XIXème siècle par Jenny Lepreux, une religieuse déterminée à diffuser la bonne parole et la charité hors des murs de Bordeaux, dans ce qui est alors un territoire viticole parsemé de propriétés. Sur ces terres se dresse notamment le Grand Maurian qui, comme nous l’apprend un article Sud-Ouest du 28 octobre 1968 (attention si vous êtes au bureau, ce lien fait de la musique 🙂 ), était « un pavillon de chasse, bâti au XVIIème siècle par les ducs d’Epernon (…). Vendu au début du XVIIIème siècle, il devient la propriété de familles plus ou moins illustres, puis échoit dans la seconde moitié du XIXème siècle à Mgr Dupuch, premier évêque d’Alger« .
Suite à la mort de Monseigneur Dupuch, l’archevêché de Bordeaux acquit le Grand Maurian pour y construire une chapelle qui fit office de lieu de culte du quartier, jusqu’à l’achèvement en 1894 de la construction de l’église Saint-Augustin, quelques mètres plus loin. Ce quartier bordelo-mérignacais en cours de développement avait besoin d’être relié au reste de la ville, et dès 1895 fut donc percée la rue du Grand Maurian, officiellement inaugurée en 1900. Depuis, elle est à la fois porte d’entrée et rue principale du quartier.

La rue au début du XXème siècle. Remarquez le tram, et l'orthographe "Morian"

La rue au début du XXème siècle. Remarquez le tram, et l’orthographe « Morion » (extrait du livre « Saint-Augustin en images »)

La rue au début du XXIème siècle. Remarquez heu... cette belle Citroën Saxo.

La rue au début du XXIème siècle. Remarquez heu… cette belle Citroën Saxo.

Passées ces considérations historiques, nous commençons notre exploration à table. Et à une bonne table. Le Family est une institution du quartier existant depuis plusieurs décennies, et gérée par Philippe depuis 2011. La cuisine est simple et locale, les plats savoureux et le rapport qualité-prix intéressant : on vous le conseille.
En nous parlant du quartier, Philippe parle lui aussi du « village », et surtout des efforts que des commerçants font pour maintenir et développer cette ambiance un peu à part : soutien aux clubs sportifs des JSA (les fameuses « Jeunesses de Saint-Augustin », dont le basket présidé par Boris Diaw), animations de quartier, et organisation chaque année de la fête de l’huitre dont le succès a dépassé les frontières du « village ».

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Philippe du Familly

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En profitant de notre balade digestive dans la rue, nous constatons en effet que le quartier est calme : quelques commerces au bout de la rue proche du tram, quelques autres boutiques près de l’église, et au milieu de tout cela rien que du résidentiel.

On remarque une certaine diversité dans le style architectural local : un immeuble moderne (on y reviendra), de belles maisons bourgeoises, et quelques petites échoppes aujourd’hui rénovées et pimpantes mais qui datent du début du siècle dernier, lorsque la TEOB (ancêtre de la TBC actuelle) installa un dépôt dans le quartier. Pour loger ses salariés, la TEOB a construit moult petites maisons ouvrières qui parsèment le quartier : rue du Grand Maurian elles se remarquent notamment du n°36 au n°44 et du n°41 au n°63.

Ancien habitat de fonction des traminots. Pas mal non ?

Ancien habitat de fonction des traminots. Pas mal non ?

Comme c'est mignon <3

Comme c’est mignon ❤

Nous sommes toujours à la recherche des vestiges de la propriété du Grand Maurian quand nous croisons dans la rue Gérard et Michèle, de retour de promenade avec leur chien. Après quelques considérations sur le quartier, et alors que nous craignons que l’averse de pluie qui arrive n’écourte notre conversation, ce sympathique couple habitant ici depuis les années 1970 nous propose de passer chez eux afin de consulter quelques ouvrages sur l’histoire de Saint-Augustin.
Bingo, on retrouve dans la bibliothèque de Gérard l’information tant recherchée. Le domaine du Grand-Maurian, qui avait déjà vendu des terres nécessaires à l’urbanisation, fut remplacé après guerre par un garage / station-service, puis ensuite fut construite la résidence Hermitage Saint Augustin que l’on peut encore « admirer » aujourd’hui.

En lieu et place du Grand Maurian

En lieu et place du Grand Maurian. On remarquera une offre commerciale multigénérationnelle : de l’auto-école aux pompes funèbres.

Gérard s’intéresse lui aussi aux rues de Bordeaux, et a fortiori à la sienne, et nous aiguille vers des habitants historiques du quartier. L’heure de la sieste sera hélas assez défavorable à nos coups de sonnette. Une dame d’un certain âge nous confirme néanmoins l’existence de la station-service avant la résidence moderne sur le terrain de feu le Grand Maurian, mais se souvient encore avant de la présence d’une famille de Biarrots qui organisait des colonies de vacances vers la Côte Basque. Agée mais pas tant que ça, notre riveraine-témoin n’a en revanche pas connu la propriété du Grand Maurian, dont finalement seuls les panneaux semblent conserver le souvenir.

Nous quittons donc Gérard, que nous remercions encore pour son aide précieuse. Avant de revenir intra-boulevards, et tandis que les éléments se déchaînent à présent sur la rue, nous repassons tout de même au Family. Philippe avait raison : il n’y a pas de bistrot de quartier à Saint-Augustin, et le seul débit à bière de la rue, c’est son restaurant. C’est néanmoins avec plaisir que nous y revenons prendre notre traditionnel demi de fin de visite, ignorant cette citation de Saint-Augustin : « L’abstinence totale est plus facile que la parfaite modération ».

A la tienne Saint-Aug'

A la tienne Saint-Aug’

 

BONUS JEU DE MOTS DOUTEUX :

Grand Maurian

Rue Malbec

Excel est définitivement un petit coquin ! Après nous avoir mené dans le minuscule Passage Pambrun, le logiciel fait le grand écart et nous amène dans la plus longue de nos rues visitées à ce jour. Du Cours de la Marne jusqu’à la Place Nansouty, nous voilà partis à la découverte d’une rue de plus d’un kilomètre de longueur : la rue Malbec.

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Malheureusement pour les amateurs de gros rouge, a priori le nom de la rue n’a rien à voir avec le cépage cadurcin, mais serait plutôt emprunté à une famille du coin. Autre hypothèse possible, un dérivé du gascon « mau bec », pour « mauvaise tête », mais on va se garder cette explication sous le coude pour la rue Maubec elle-même, située à Saint-Michel.

Mauvaise ou pas, la tête de gondole côté cours de la Marne est en tout cas déconcertante. En effet à l’angle de la rue se dresse le fameux immeuble « glissière d’autoroute », œuvre de Jacques Hondelatte. Si pour le Bordelais lambda cet immeuble peut aisément concourir au grand prix du bâtiment le plus laid de notre ville, Robert Coustet et Marc Saboya dans leur livre « Bordeaux, la conquête de la modernité » nous livrent l’analyse suivante : « Le parti architectural fait référence à la prévention, à la protection, à la vitesse. Identitaire dans un lieu sans identité, dramatique et brutale, l’oeuvre de Jacques Hondelatte ne travaille pas ici l’esthétique du compromis historique et ne cherche pas à s’intégrer dans un quartier déstructuré, (…) ce bâtiment unique est l’expression d’une violence urbaine contemporaine. »
Vu comme ça…

Après ce geste architectural, la rue présente un visage plus classique : bordée d’échoppes et d’anciennes maisons bourgeoises, plus ou moins en bon état, et souvent divisées en petits appartements. On croise ci et là des ensembles récents, venus s’insérer dans les quelques dents creuses créées par la fermeture des usines du quartier.

Belle expression de la "violence urbaine contemporaine", en effet.

Belle expression de la « violence urbaine contemporaine », en effet.

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Ca et là, quelques maisons de maître.

Ca et là, quelques maisons de maître.

En continuant notre progression vers Nansouty, nous trouvons sur notre droite le siège de l’Union Saint Jean. Institution bordelaise au même titre que l’Union Saint Bruno, l’USJ fait à la fois office de maison de quartier, de club sportif (dont une tout à fait valeureuse équipe de basket qui se reconnaîtra), de lieu d’accueil périscolaire, etc. Et ce depuis 1906 (1939 pour ce qui concerne la rue Malbec) ! Nous vous invitons à consulter directement leur site internet pour découvrir la riche histoire du lieu. On soulignera tout de même que le siège de l’USJ abritait également le Cinévog, dans lequel Eddy Mitchell vint en 1982 tourner quelques épisodes de « La dernière séance ».

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Culture toujours, quelques mètres plus loin sur le trottoir d’en face arrive le moment pour Vinjo, Pim & Vanou (une fidèle lectrice nous accompagnant dans notre visite ce jour là), de visiter le premier musée du blog. Un musée rue Malbec ? Oui oui, nous voilà partis à la découverte du Musée des Compagnons du Tour de France, situé dans une grande maison léguée au mouvement compagnonnique dans les années 1960 par une famille. C’est bien entendu un tout petit musée, mais on y comprend mieux le fonctionnement de ce mouvement mêlant depuis plusieurs siècles mission sociale, excellence de la formation et traditions très codifiées, parfois délicieusement anachroniques ou loufoques (telle l’amende de 20 centimes en cas de juron intempestif, comme dans le bistrot « Le Tivoli » où nous étions passés l’été dernier).

Dans notre musée de la rue Malbec, charpentiers, maçons, ébénistes ou encore serruriers sont à l’honneur. On notera pour les passionnés de Bordeaux que de très belles reproductions en bois de différents lieux emblématiques de notre ville sont exposées au sous-sol. Derrière le musée, ce sont 40 compagnons qui vivent ensemble durant un an, avant de reprendre la route vers une nouvelle ville pour espérer finir pourquoi pas Meilleur Ouvrier de France.

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Cet éloge de l’effort et du travail bien fait nous donne soif. Fort heureusement, et même si peu de Compagnons doivent pouvoir en profiter au vu des règles de vie assez strictes qui leur sont imposées, le bar « L’Expresso » se trouve quelques mètres plus loin, à l’angle avec la rue de Bègles. Ambiance PMU et multiculturelle : les clients sont concentrés sur les tiercés, quartés et autres quintés et profitent des pauses équestres pour s’injurier folkloriquement ou se menacer de s’introduire des objets divers et variés dans l’arrière-train, dans une ambiance assez cocasse donc.

L'Expresso, où l'on ne boit pas que du café.

L’Expresso, où l’on ne boit pas que du café.

Une bière à mi-rue pour compenser sa longueur.

Une bière à mi-rue pour compenser sa longueur.

La bière avalée, nous reprenons notre petit trot jusqu’à la fin de la rue, et passons d’un pas assuré devant le siège girondin de la MGEN. La hauteur des maisons baisse, les échoppes sont de plus en plus présentes et nous amènent au final Place Nansouty, là ou s’achève notre rue du jour, après 1,2 kilomètres de marche parcourus en deux heures environ : on met au défi n’importe quel papy du quartier de remonter la rue aussi lentement que nous.
Le sens retour ne sera guère plus rapide, et commence quelques mètres après la place par un arrêt dans un autre petit troquet dont les recoins de Bordeaux ont le secret. Nous voici chez Maria, gérante portugaise du bar-restaurant « La récré ». Installée là depuis 1991, Maria nous livre sa vision du quartier : un endroit calme où tout le monde se connait et où l’on se rend service. Maria aime son bar-resto, et quand l’heure de la retraite aura donné sa clientèle lui manquera, notamment cet habitué qui depuis des années mange tous les jours à la même table, sur la même chaise … « et une fois je lui ai demandé : qu’est-ce que je vais devenir le jour où je ne vous vois pas, je vais m’inquiéter ? Ne vous inquiétez pas il m’a répondu, si j’ai un problème il y a un papier sur moi disant de vous prévenir ».

Cette clientèle fidèle vient de tout le quartier, et même si les écharpes de Lisbonne, Braga ou Porto décorent la salle, Maria ne donne pas dans le communautarisme exacerbé « ils sont gentils les Portugais mais ils parlent trop fort, c’est fatigant ». Elle aime le calme notre patronne, et c’est peut-être comme cela qu’elle arrive à faire pousser ces immenses roses trémières devant le restaurant, sa grande fierté. Snobée par les concours photos de Sud Ouest, Bordeaux 2066 répare cette injustice et vous présente la pétillante Maria, devant ses roses trémières et son restaurant.

Maria et ses roses trémières

Maria et ses roses trémières

Sur le chemin du retour, dernière halte chez Françoise et Mang, habitants du quartier depuis bientôt un demi-siècle. Arrivés de Dordogne (pour elle) et de Cochinchine (pour lui), ils nous dressent le portrait d’un quartier convivial et ouvert, même si depuis quelques années les petites entreprises (ils se souviennent d’une ancienne tannerie, remplacée par des immeubles modernes, moins odorants) et commerces se font de plus en plus rares, et que le trafic automobile s’intensifie en parallèle, renforçant l’effet « couloir » que l’on peut ressentir en se promenant dans la rue.

Françoise et Mang, témoins de la rue.

Françoise et Mang, témoins de la rue.

Aperçu de l'offre commerciale de la rue.

Aperçu de l’offre commerciale de la rue.

Nous clôturons cette longue promenade rue Malbec avec le témoignage de notre premier invité VIP du blog. Non ça n’est pas Johnny Hallyday qui a grandi rue Malbec, mais Michel Cardoze, connu pour sa météo poétique sur TF1, sa grosse voix portant un chantant accent du païs, et son érudition sans limite sur Bordeaux et son histoire que l’on peut retrouver ici. C’est quand il ne portait pas encore sa célèbre moustache que notre journaliste local, à la fin de l’occupation, a passé quelques années d’enfance rue Malbec. Il se souvient de l’ambiance ouvrière (son père, à l’instar de nombre de voisins, était cheminot à la gare), des courses à l’économat de la SNCF rue Amédée Saint-Germain, de l’école de la rue Francin dont la cour n’a pas changé depuis, des virées au cimetière israélite situé juste derrière chez Françoise et Mang, des histoires de voisinage et de la vie de tous les jours au sortir de la guerre. Tandis que nous remontons la rue une seconde fois en sa compagnie, il se souvient aussi d’un terrible accident de la circulation qui a fait qu’aujourd’hui encore l’immeuble situé à l’angle avec la rue de Bègles semble rafistolé.

Devant la maison d'enfance...

Devant la maison d’enfance…

La plus longue rue du blog à ce jour nous a montré un passé riche, et un présent encore marqué par la solidarité et la vie de quartier. Alors la prochaine fois que vous y passez, levez un petit peu le pied. Ca fera plaisir à Françoise et Mang de ne pas faire trembler leurs fenêtres, ça vous permettra d’apercevoir les œuvres des Compagnons, et si vous avez le temps vous dégusterez le menu ouvrier de Chez Maria. En y sirotant votre Porto, vous vous direz peut-être comme nous que décidément, cette rue Malbec est un grand cru.

Passage Pambrun

En ce samedi de mai, l’équipe de Bordeaux 2066 a une fois de plus peur. Rien d’effrayant dans les premières températures d’été, et encore moins dans le nombre des années qui augmente pour Pim en cette veille d’anniversaire. Notre peur est bien plus primaire : Excel nous a encore joué un tour. Après les 43 mètres de la rue Fénelon, nous voici confrontés aux 47 mètres du Passage Pambrun.

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Mais là où la rue Fénelon était remplie de magasins, et donc de témoins potentiels, nous nous attendons à trouver beaucoup moins de quidams dans ce passage reculé, proche de la gare et à la limite de Bègles. A notre descente du tram à l’arrêt Carle Vernet, nous tombons d’abord sur la Maison du projet de Bordeaux Euratlantique : et oui, le passage Pambrun, tout comme la rue Sarrette ou la rue Brulatour risque de bien changer dans les prochaines années, avec l’arrivée du TGV, la sortie de terre de nombreux projets immobiliers, le développement d’un quartier d’affaire etc.

Mais pour le moment, maison du projet mise à part, il n’y a pas encore de signe de grands bouleversements. Après avoir parcouru la rue Cazeaux perpendiculaire au tram, nous arrivons sur place : passage Pambrun nous voici !

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Avouons le, le premier ressenti ne nous rassure pas … 47 mètres c’est court ! Nous remarquons d’ailleurs que ce passage reste une adresse quasi exclusive puisque pour y vivre vous n’avez le choix qu’entre le numéro 1 ou le numéro 2, ensuite les maisons basculent automatiquement sur la rue Cazeaux ou la rue Poissonnier.

C’est justement rue Poissonnier, à la sortie du passage, que nous croisons Dominique, qui nous accueille couteau dans la main. Pas d’inquiétude, Dominique n’a nullement l’intention de nous mener dans la ruelle pour nous montrer son Opinel. Au contraire, son arme blanche Dominique l’utilise en tant que Michel Morin du quartier pour réajuster la cane d’une mamie … belle convivialité entre voisins ! Est-ce ainsi dans tout le quartier ? Cela dépend nous dit Dominique, « ici vous avez la rue des c…., et là celle de la solidarité ». Bon, ne nous attardons pas trop longtemps sur les quelques conflits passés de voisinage qui suscitent encore quelques noms d’oiseaux, concentrons nous plutôt sur la solidarité.

Le 1 passage Pambrun

Le 1 passage Pambrun

Le 2 passage Pambrun

Le 2 passage Pambrun

Dominique nous le dit clairement : ici historiquement, c’est un quartier populaire, d’immigrés, d’ouvriers et de cheminots. Des gens qui ont appris à se serrer les coudes et à compter les uns sur les autres. D’accord, mais aujourd’hui alors, que pense Dominique des futurs projets ? Si les immeubles ne l’enchantent pas forcément, il n’a pas peur des nouveaux habitants « des jeunes s’installent dans le quartier depuis quelques années, la population se renouvelle, mais ils sont tous très gentils, très aimables. Ils redonnent de la vie au quartier, et puis il y a des couples avec des racines différentes, ça apporte de nouvelles choses, c’est bien ».

Vue générale du Passage Pambrun

Vue générale du Passage Pambrun – sens aller

Vue générale du Passage Pambrun - sens retour

Vue générale du Passage Pambrun – sens retour

Chantre de la mixité sociale et ethnique, Dominique est également un apôtre de l’intergénérationnel et nous propose d’aller sonner chez une voisine, un peu plus loin, qui connaît toute l’histoire du quartier. Au premier coup de sonnette, et après les aboiements de Valou, fidèle chien de garde, nous voyons arriver Jeanne. Au premier coup d’œil c’est le coup de cœur : pas de doute, Jeanne sera une belle rencontre, comme celles que ce blog nous a d’ores et déjà offert dans d’autres rues.

Octogénaire à la démarche paisible, à l’œil vif et au sourire charmeur, Jeanne nous parle derrière sa grille de jardin « pour ne pas laisser échapper le chien, à mon âge je ne peux plus le rattraper ! ». Chien qui ne manquera pas de se faire remarquer lors de notre passage « Valou, tu as encore pété ! Tu m’empestes ! ».

Mais une fois le canidé rabroué, notre sympathique mamie s’intéresse à notre démarche et enclenche la machine à souvenirs. Pendant une heure de discussion à bâtons rompus, nous repassons toute l’histoire du quartier : des dizaines d’anecdotes, de fragments de vie, d’histoires drôles ou tragiques. Difficile de tout retranscrire ici mais en vrac sachez que près du passage Pambrun coulait autrefois à ciel ouvert l’Estey Sainte-Croix. On y menait boire les vaches, et quand il faisait chaud Jeanne s’y baignait et se chamaillait avec ses camarades à grands coups de sangsues lancées sur l’un ou l’autre.

Le quartier a bien sur connu la guerre, et tous les habitants qui se réfugiaient dans la maison d’en face, se partageaient, ironie du sort, des pastilles Vichy en attendant la fin de l’alerte. Ensuite les années fastes, l’arrivée du tout à l’égout, et toujours la convivialité : « on n’avait pas la télé, alors le soir vous savez on sortait les chaises dehors et on discutait entre voisins, tout simplement ».
Voisinage toujours avec des histoires cocasses et loufoques : un coup de fusil par ci, un ferrailleur coureur de jupons par là, ou encore un voisin qui avait sa carte et à la CGT et au RPR car comme il avait dit « moi tant qu’on me donne du boulot, je prends la carte ».

Jeanne nous confirme aussi la tradition populaire du quartier : beaucoup de cheminots, comme souvent à Bordeaux des Espagnols, et plus inattendue une communauté tchèque, venue cristalliser son savoir-faire à la verrerie Domecq voisine ou à l’usine Saint Gobain des boulevards, celle là même où avait travaillé notre copine Fernande de la rue Brulatour. Cette communauté tchèque, on n’en trouve plus trace aujourd’hui, malgré la présence du dernier ressortissant Tchèque Diabaté.

La maison des Pambrun, entièrement refaite il y a quelques années

La maison des Pambrun, entièrement refaite il y a quelques années

Sur le passage qui nous occupe aujourd’hui, Jeanne nous apprend que la famille Pambrun était propriétaire d’une grande partie des terrains qui forment le pâté de maisons actuel. Les Pambrun étaient « moutonniers », ce qui ici ne veut pas dire qu’on avait affaire à des gens grégaires mais bien à des bergers périurbains, quand l’actuel quartier Carle Vernet ressemblait encore à de la palu bien grasse. Après quelques recherches, un descendant de la famille Pambrun nous a d’ailleurs confirmé l’implantation du fief familial dans les Hautes-Pyrénées, avant d’essaimer vers les Landes et le Bordelais, à contre-courant de la transhumance.

Le soleil se couche et voici l’heure de quitter Jeanne et Dominique. Mais Jeanne on ne l’oubliera pas de sitôt, et là voilà à tout jamais dans la photothèque de Bordeaux 2066, avec son voisin et ses nains de jardin.

Dominique et Jeanne

Dominique et Jeanne

Lecteur rassure toi, après deux rues dans lesquelles nous n’avions pas eu l’occasion de boire la traditionnelle mousse finale, l’offense est réparée puisque nous nous offrons quelques jours plus tard un déjeuner au restaurant le Banlieue Sud, bien connu de ceux qui ont usé leurs nerfs aux feux rouges à l’angle de la rue d’Armagnac et de la rue Carle Vernet. C’est une cantine populaire comme on l’imagine : service uniquement le midi, repas copieux et savoureux, ambiance décontractée et petits prix ! Une bonne adresse, et surtout l’occasion de renouer avec le houblon.

Au Banlieue Sud

Au Banlieue Sud

Les 47 mètres du Passage Pambrun mènent bien plus loin qu’à la rue Cazeaux et à la rue Poissonnier. En remontant l’Estey Sainte-Croix dans lequel Jeanne barbotait, on arrive jusqu’aux Pyrénées des Pambrun. De là, en grimpant par temps clair, on aperçoit l’Espagne et ses plaines dépeuplées au profit des faubourgs ouvriers de Burdèos. Une vie de labeur, y compris pour les verriers arrivant de la Bohême. Aujourd’hui, dans le sillage du TGV, se pointent quelques bourgeois. Mais on n’efface pas l’histoire si rapidement : en hommage à la communauté tchèque disparue, certains de ces bourgeois sont aussi bohèmes.

Rue Fonfrède

Le dimanche à Bordeaux… c’est le jour du tirage.

Tandis que la fin de l’hiver se profile, et après nous avoir promené dans différents recoins de la commune, Excel nous amène cette fois dans une rue au nom familier pour tous ceux qui empruntent ou ont emprunté les lignes de bus passant par le Cours de la Somme, spéciale dédicace à feu la ligne G, chère à Vinjo.

Rue_Fonfrède

En effet, Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède fait partie de ces personnalités, qui comme Pierre Trébod ont laissé une trace doublement visible dans la ville en réalisant le combo rue + arrêt de bus à leur nom. Bien joué JB, tu ne t’es pas fait guillotiner à 27 ans tout à fait pour rien (fichtre, 27 ans, c’est l’âge de vos serviteurs !).  Quand on est député de la Convention nationale en 1791, et que l’on dénonce les agissements d’un certain Marat , ce sont des choses qui peuvent arriver.

JB Fonfrède, un député swag (source : wikipedia)

JB Fonfrède, un député swag (source : wikipedia)

Quelques recherches sur Internet nous montrent qu’une des spécialités de la famille Fonfrède, outre le commerce triangulaire (mais Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède lui-même s’est opposé à l’esclavage, ce sont ses négociants de parents qu’il faut semble-t-il blâmer), c’est bien le nom de rue en héritage.

Dans la famille Fonfrède, je demande :

– la mère : Marie-Caroline Journu, comme le Cours Journu-Auber à Bordeaux
– le neveu : Théodore Ducos, décapité en même temps que tonton, et qui a une rue à son nom à Bordeaux également
– le frère : François Boyer-Fonfrède, industriel qui a une ruelle étroite du Vieux Toulouse à son nom.

Assez d’histoire et de jeu des sept familles, venons-en au présent. Nous arrivons à pieds depuis la Victoire par le Cours de la Somme, et arpentons une première fois cette rue qui ressemble à ses voisines : populaire et tranquille, un peu crasseuse sur les bords. Il n’y a pas foule en ce dimanche, hormis deux ouvriers rangeant un chantier, une dame affirmant ne rien connaître sur la rue, et de présumés Bulgares débonnaires prenant l’air sur un bout de trottoir. Le coin est plutôt cosmopolite, et en regardant un peu les noms sur les sonnettes des maisons et immeubles, on devine des origines du Maghreb, de l’Afrique Noire, du Gascon pur bœuf de Bazas, du Portugal, de l’Espagne, des pays de l’Est…

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La rue est composée majoritairement de petits immeubles en pierre bordelaise avec un ou deux étages maximum. Elle croise le Cours de l’Yser, et se termine en impasse dans une copropriété des années 80, le Pavé de Fonfrède, qui semble occuper l’emplacement d’une ancienne usine. Lors de recherches immobilières Vinjo y avait visité un appartement, et a principalement gardé en mémoire l’odeur tenace de cannabis qui flottait dans les couloirs.

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Le Pavé de Fonfrède

Le Pavé de Fonfrède

Carré VIP du Pavé

Carré VIP du Pavé

En continuant l’exploration nous croisons Clémence et ses beaux cheveux rouges. Elle est accompagnée de Tekos, jeune chiot un peu maladroit aux yeux très bleus. Tekos a été nommé en hommage aux « teufs », c’est-à-dire des rassemblements musicaux qui font « boum-boum », pour schématiser, et que Clémence affectionne particulièrement. Tekos appartient à Clémence depuis quelques jours seulement, alors il fait comme nous : il arpente la rue Fonfrède dans tous les sens, sans trop savoir ce qu’il cherche. La rue Fonfrède, Clémence ne la connaît que peu puisqu’elle y a emménagé récemment, mais elle s’y sent bien. Il y a beaucoup d’étudiants, mais la rue est calme car à l’écart des itinéraires de transhumance de la viande saoule de la Victoire.

Clémence et Tekos

Clémence et Tekos

S’il suit sa maitresse dans les teknival, notre canidé devra peut être ensuite consulter Anastasia, osthéopathe pour animaux (eh oui) , contactée par nos soins car encore répertoriée par Google comme étant en activité rue Fonfrède même si ce n’est plus le cas. Fraîchement arrivée de Paris, Anastasia s’est montrée un peu plus sévère dans son jugement : elle déplore « une propreté parfois douteuse et du bruit, surtout les week-ends », avant d’ajouter que « quand on est étudiant, le quartier est sympa ».

Si les explorateurs urbains que nous sommes ont globalement apprécié l’ambiance populaire et tranquille de la rue, nous avons déploré l’absence totale de commerces. A l’angle avec le Cours de la Somme, le rideau de fer a l’air baissé depuis bien longtemps. A l’angle avec la rue Kléber , il y a eu un temps les Montauzier qui proposaient des « vins de Gironde », mais vu l’état de l’inscription, il y a probablement plusieurs décennies qu’ils ont quitté les lieux. Quelques recherches sur Internet nous aiguillent vers une famille de négociants originaire de Charente (chose qui peut arriver même aux meilleurs), et dont la descendance sévit actuellement dans le Haut-Médoc.

Vestige des vins Montauzier

Vestige des vins Montauzier

Avec tous ces commerces disparus, on aurait du croire que la rue Fonfrède se meurt, que la rue Fonfrède is dead, que la rue Fonfrède périt (vous l’avez ?).

Heureusement nous n’avons pas à marcher trop longtemps pour trouver de quoi boire la traditionnelle bière post – arpentage de rue. On vous rappelle que notre rue Fonfrède croise le Cours de l’Yser, qui est constellé de nombreux bars majoritairement espagnols et portugais. Quasiment à l’angle avec la rue Fonfrède, le Coco Louco nous ouvre ses portes et nous plonge immédiatement dans cette ambiance si particulière d’un dimanche après-midi Cours de l’Yser. Alors que toute la ville ronronne doucement en profitant des dernières heures du week-end, ici la musique est poussée au maximum, les hommes plus ou moins ventrus jouent au baby-foot et aux fléchettes, des jurons pittoresques fusent dans plusieurs langues (surtout en Portugais), les enfants courent et les dames devisent avec parfois plus de véhémence que leurs conjoints.

On aime ou on n’aime pas, mais nous on aime ! Surtout quand une fois notre Superbock commandée la serveuse brésilienne nous amène gentiment une petite salade de poulpe à picorer ! Dans cette ambiance sympathique et survoltée, il nous a été impossible de ne pas recommander une deuxième bière.

Super Bock & Paul le Poulpe

Super Bock & Paul le Poulpe

Egayés par le houblon lusitanien nous avons essayé de réaliser une vidéo à la volée pour capter rapidement cette ambiance unique. La réalisation chaotique n’est pas due à un excès de boisson mais bien à notre timidité de cinéastes débutants. Enfin bon, c’est surtout le son que l’on vous conseille d’écouter.

Alors décidément, Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède n’a pas été guillotiné tout à fait pour rien et a légué son nom à une rue où la bonne humeur règne, au moins le dimanche.

Avant de repartir vers une nouvelle rue à explorer, nous vous disons : « Saùde » !

Rue Hériard Dubreuil

Frustré de nous avoir fait boire du café au Cours des Aubiers , Excel est bien décidé à se rattraper et nous envoie, pour cette douzième visite, vers une grande famille de propriétaires et négociants de Cognac et autres boissons alcoolisées : la rue Hériard Dubreuil.

La famille Hériard Dubreuil se cache donc derrière des boissons aussi connues et appréciées que le Cognac Rémy Martin, le Cointreau ou même le Passoa de notre adolescence. L’empire est toujours dans la famille, et toujours aussi puissant puisque Dominique Hériard Dubreuil est même considérée comme l’une des femmes les plus puissantes du monde, comme nous l’indique le magazine « Rayon Boissons ».
Trève d’alcoolémie, revenons en à notre rue.  Nous ne sommes pas si loin des Aubiers, mais le décor est tout autre. Ici ce sont les quartiers chics, entre la rue Turenne et la rue de la Croix Blanche, proche des grands établissements scolaires privés de Bordeaux.

Tout roule rue Hériard Dubreuil

Tout roule rue Hériard Dubreuil

Pour tout vous dire elle est calme cette rue, très calme même. On oscille ici entre belles maisons rénovées, ravalées et pimpantes et demeures un peu plus à l’abandon. Mme E. (instant culture littéraire : elle porte le nom d’un célèbre écrivain bordelais, et non ça n’est pas Emontaigne ou Emauriac) explique peut-être cela par les changements que connait le quartier. Beaucoup de personnes installées ici il y a quelques décennies sont parties vers l’au-delà, laissant parfois les maisons à l’abandon, le temps que le droit des successions fasse son œuvre. La géographie immobilière de la ville étant fluctuante, le quartier attire maintenant de plus en plus de jeunes … enfin bon Mme E. nous rassure : « C’est calme ici, après 21h, il n’y a plus personne dehors ».

Tellement calme d’ailleurs que Mme E. habite dans un ancien bar mais « fermé depuis longtemps car moi je suis là depuis plus de 30 ans ! ». Eh oui, c’est que Mme E. a beau pétiller de mille feux, elle a 80 ans passés ! Dont 60 passés dans notre ville, ce qui n’était pas gagné à l’avance. Mme E. a en effet connu une jeunesse parisienne, durant laquelle elle venait en train à Bordeaux pour attraper un bus vers les Landes, son fief familial. Elle s’était alors jurée de ne jamais vivre dans cette ville si triste et si grise. 60 ans et quelques rénovations plus tard, Mme E. s’est rangée avec sagesse à l’opinion majoritaire : « Qu’est-ce que c’est devenu beau ! »

Chez Madame E.

Les regrettées bières et limonades de la rue Hériard Dubreuil.

Notre exploration de la rue nous donne l’occasion de croiser deux ou trois autres passants, en cette heure de débauche (au sens « Sud Ouest » du terme bien entendu, le sens générique étant peu adapté au quartier). Rien de bien notable hormis quelques notables : tout le monde confirme la tranquillité de la rue et du quartier. Le problème principal semble être la difficulté de stationner.

Le bout de la rue nous réserve lui quelques « surprises ». Débouchant sur une place, ou plutôt sur le croisement de plusieurs rues au milieu duquel on a planté deux cabines téléphoniques, la rue accueille à cet endroit quelques commerces. Une boulangerie d’abord, mais mauvaise pioche, nos maitres du fournil sont des itinérants de la baguette. Installés depuis peu, ils ont roulé leur miche un peu partout en France et n’ont pas grand chose à nous dire sur notre rue … et le quartier ? « Un peu rupin »

A côté de nos boulangers, un cabinet spécialisé dans l’aide contre la dysgraphie. La dysgraphie c’est quoi ? C’est le fait d’écrire un peu comme un médecin qui rédige sa 32ème ordonnance de la journée…  OU A LAURE COMME QUELQU’UN QUI OREE ABUSER DES BOISSONS DES AIRYAR DUBREUIL. 

DiSgraPhIE

DiSgraPhIE

Et enfin sur notre petite place, notons quand même la présence d’un puits ! Enfin un puits du XXIème siècle : sorte de mélange entre l’horodateur et la borne de chargement d’une voiture électrique. Ca perd quand même de sa puissance onirique : fini les pièces au fond du puits, le caillou qui tombe jusqu’au plouf fatal…

Le puits du XXIème siècle, un peu triste quand même...

Le puits du XXIème siècle, un peu triste quand même…

Pour se consoler de ce puits sans fond car sans trou, nous partons à la recherche d’une mousse. Nos boulangers nous suggèrent d’aller chez Karim, qui tient le bar « L’Acropole » rue Ernest Renan, à deux pas de la rue Hériard Dubreuil. (NB : Pourquoi « Acropole » ? Parce que Ernest Renan est un historien qui s’est intéressé à la Grèce, té !)

Bonne pioche ! Karim, sympathique quadragénaire aux cheveux poivre et sel, tient un bar-resto tout simple mais chaleureux. Mais surtout, il est un interlocuteur parfait pour les explorateurs de rues que nous sommes. Natif de Quinsac, Karim est un enfant du Clairet, devenu Bordelais, et pas qu’à moitié. « On l’aime notre ville quand même. Dès que je pars plus d’une semaine, ça me manque ces belles pierres ». Rue du Muguet, rue de la Fusterie, rue Renière… Karim affectionne tout particulièrement les ruelles tortueuses du Bordeaux médiéval, où il a habité quelques années, et où il aime revenir se perdre de temps en temps. Et son quartier  actuel ? « Pas si rupin, on a de tout par ici ! Quand je me suis installé dans les années 90 ça ne me parlait pas plus que ça, mais maintenant j’y suis très bien. » En plus son établissement donne sur la rue Rosa Bonheur, dont il adore le nom, et visiblement il n’est pas le seul puisque la plaque de la rue « a été piquée 50 fois déjà ».

On vous présente Karim, de dos. Le mieux pour voir son visage c'est encore de lui rendre visite !

On vous présente Karim, de dos. Le mieux pour voir son visage c’est encore de lui rendre visite !

Quand on reviendra, Karim nous présentera son plus fidèle client : un papi de 97 ans, en forme olympique, qui est un véritable archiviste du quartier à lui tout seul.

Alors santé à lui, comme aux Hériard Dubreuil, aux dysgraphiques et à vous tous !

Fin de la rue, nous Athénions l'acropole

Fin de la rue, nous Athénions l’acropole

Cours des Aubiers

« Et donc votre logiciel, il vous a fait venir ici, aux Aubiers !? Ahh l’bâtaaaard ! » Jamel, sourire un peu ironique, a mine de rien assez bien résumé notre pensée initiale. Reprenons.

Les Aubiers, ou Los Aubios comme aiment l’appeler les jeunes du quartier, c’est d’après un long article de l’Humanité « une erreur d’urbanisme faite de barres denses et compactes, occupées par la misère ».

En vrai, ce sont plus de 4 000 habitants répartis dans des barres de 17 étages, du côté de Bordeaux Lac, dans un quartier très longtemps isolé du reste de la ville. Construit sans permis au début des années 1970, ce quartier a connu une évolution similaire à celle de tant d’autres qui défrayent la chronique.

En 2006 le Pont de Cracovie est tombé, le tramway est arrivé, mais il n’en demeure pas moins que la cité se débarrasse mal de sa mauvaise réputation qui lui colle au bitume. Il y a eu bien sur l’affaire Larbi (elle n’est pas joyeuse alors on vous laisse vous renseigner vous-mêmes si vous ne connaissez pas), quelques épisodes de violences urbaines à l’occasion, mais surtout un discours volontiers partagé par une grande majorité de Bordelais comme quoi là bas « ça craint », tout simplement, et peu de personnes extérieures ont déjà mis ne serait-ce qu’un demi-orteil dans la cité.

Vinjo et Pim, eux, n’ont guère eu le choix puisque Excel a choisi de les emmener Cours des Aubiers, à savoir l’artère centrale du quartier. Nous avons donc loué un fourgon blindé, acheté quelques AK47, et sommes partis sans arrière-pensée aucune à la rencontre des gens du quartier.

Los Aubios, forteresse sans permis

Los Aubios, forteresse sans permis

En cette fin du mois de septembre 2013, le tram est encore interrompu au nord de la Place Ravezies pour cause de travaux. Pour aller vers les Aubiers, il faut prendre un bus ou marcher, option que nous avons choisie.

Rama lui aussi a préféré marcher. Gaillard d’origine congolaise, il vit aux Aubiers depuis huit ans. Au fur et à mesure de la conversation, les barres se font de plus en plus massives, dressées derrière de grands terrains vagues. Suite à nos questions naïves, Rama se montre sage et rassurant : « Si tu es gentil avec les gens, les gens sont gentils avec toi. Mais si tu es méchant, alors là ils sont méchants, c’est tout ».

Rama arrive à sa barre d’immeubles, sous laquelle nous devons passer pour trouver le Cours des Aubiers, notre but du jour. En effet, ce qui est frappant pour les visiteurs extérieurs que nous sommes, c’est de voir comme le quartier est refermé sur lui-même au sens physique du terme. Contrairement au Grand Parc que nous avions visité deux mois plus tôt, on ne peut pas venir aux Aubiers par hasard, il faut le vouloir.

Le Cours des Aubiers est donc devant nous, enfermé entre les barres d’immeubles. Il constitue le cœur d’animation du quartier, puisqu’on y trouve pêle-mêle une pharmacie, une poste, un centre social, un commissariat, une boulangerie, une boucherie, une supérette, etc. Pas de stigmate visible d’abandon hormis des rideaux de fer taggués qui s’avéreront être ceux du marchand de journaux, parti à la retraite et non remplacé pour le moment. Au fond quelques gravats, témoins d’une démolition récente visant justement à aérer la rue dans le cadre d’un projet de réhabilitation.

Un cours en impasse

Un cours en impasse

On entre « Chez Fafa », le café du Cours des Aubiers. Un attroupement de jeunes devant, des hommes qui devisent en mâtinant le Français avec quelques mots d’Arabe, et Jamel, sourire jusqu’aux oreilles. « Comment ça va les gars ? Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? » Pas de bière, Bordeaux 2066 n’est pas dogmatique et prend un café.

"Chez Fafa" (image issue d'une capture d'écran street view, nous l'avouons)

« Chez Fafa » (image issue d’une capture d’écran street view, nous l’avouons)

Vivant entre Valenciennes et les Aubiers, Jamel est toujours content de passer du temps dans la cité bordelaise, il y est heureux. Ce qu’il préfère ici, nous dit-il, c’est la grande convivialité et mixité ethnique, qui fait qu’en bas des tours tout le monde se retrouve : « Les Noirs, les Blancs, les Arabes, y a même des Chinois ici ! ». Cette convivialité est confirmée par les deux hommes plus âgés de la table d’à côté. Tous ne comprennent pas pourquoi on dit que les Aubiers ça craint, alors que franchement… « Chicago c’est pas ici, c’est à La Benauge », douce rivalité entre quartiers.

Jamel, intéressé par notre démarche, s’improvise comme notre attaché de presse : « Je vais vous appeler des gars du quartier, ils vont venir vous parler ». Quelques minutes plus tard, un interlocuteur du cru arrive mais repart aussitôt : son bracelet électronique lui impose des pointages réguliers au commissariat. La justice française a privé cet homme d’un café avec Vinjo et Pim, gageons que cela lui fera passer l’envie de récidive.

C’est donc avec Jamel que nous terminons la conversation. Il est visiblement content qu’on soit là : «C’est courageux de venir, d’aller au-delà des clichés. Tu regardes la télé, ils montrent que des Arabes qui foutent la merde …  nous-mêmes au bout d’un moment on en devient racistes, t’imagines !? ».

Jamel et un membre anonyme de l'équipe Bordeaux 2066

Jamel et un membre anonyme de l’équipe Bordeaux 2066

Au final, la courte visite du Cours des Aubiers ne nous permettra pas d’avoir un avis définitif et complet sur le quartier, dont le nom continuera certainement quelques temps à marquer l’imaginaire local. Aubiers d’ailleurs, kézako ? Stricto sensu l’aubier est la partie tendre entre l’écorce et le cœur de l’arbre. De la tendresse, du cœur … Bordeaux 2066 ne vire pas bisounours, mais une chose est sure : sous la dure écorce des clichés, il y a de belles rencontres à faire aux Aubiers.

BONUS : vous trouverez sur ce lien une analyse assez intéressante sur la perception de l’insécurité dans le quartier des Aubiers, datant de 2005.

Passage de l’Hôpital

Excel logiciel politique ? Excel logiciel polémique ? Va savoir … En tout cas Excel a choisi de coller à l’actualité et nous emmène pour cette neuvième découverte aléatoire en plein centre ville, pour visiter le Passage de l’Hôpital, qui semble-t-il s’appelait déjà comme cela bien avant l’arrivée de l’hôpital Saint-André à proximité.

passagedelhopital

Premier « Passage » du blog, après sept rues et une avenue, cette voie étroite et étrange a récemment fait l’objet d’un long article dans Sud Ouest , que nous avions relayé sur notre compte Facebook et d’un débat non moins passionné. Pourquoi ? Car il s’agit d’une de ces rues que la Mairie envisage de fermer la nuit. Fermer des rues ? Quelle idée ? On parque ? On ghettoïse ? Pas si simple, car ici la solution vient suite aux demandes des riverains eux mêmes (ou tout du moins d’une partie).

Alors, coupe-gorge, nid à problèmes et pissotière en plein air le Passage de l’Hôpital ? Pour vous, Bordeaux 2066 a mené l’enquête (à lire avec un ton Bernard de la Villardière).

entréecursol

Nous arrivons par la rue de Cursol, à deux pas de la très classique et très sage rue du Maréchal Joffre et là que dire … franchement pas grand-chose. La voie est certes étroite et petite, du genre inquiétante la nuit, mais comme des dizaines d’autres à Bordeaux et dans toutes villes au patrimoine médiéval. En avançant dans la rue que découvre-t-on ? Aucune trace d’incivisme, par contre un sacré méli-mélo architectural regroupant bow windows, parpaings, pierres blondes et pierres noircies, maison d’avocats et logements insalubres. Pas de clochard non plus : le Passage de l’Hôpital se fout de la charité.

Medina du Sahel ? Non, Passage de l'Hôpital.

Medina du Sahel ? Non, Passage de l’Hôpital.

La Corogne ? Non, Passage de l'Hôpital.

La Corogne ? Non, Passage de l’Hôpital.

Petit village de l'Entre-Deux-Mers ? Non, Passage de l'Hôpital !

Petit village de l’Entre-Deux-Mers ? Non, Passage de l’Hôpital !

Toutefois, au fil de l’exploration, on commence à mieux comprendre … la rue se resserre petit à petit, jusqu’à un étrange renfoncement ouvrant lui-même sur un long corridor noir de quelques mètres. Au bout du corridor, c’est la lumière des belles façades de la rue du Hâ. La voilà donc l’explication du problème : un couloir aussi sombre qu’anxiogène, qui convenons-en s’avère plus que propice à toutes sortes de menus larcins. Nous avons d’ailleurs eu la joie d’y croiser deux jeunes personnages aux cigarettes suspectes, mais peu désinhibés pour autant car assez taiseux sur les quelques questions que nous leur avons posées sur la rue.

Hâ, une rue !

Hâ, une rue !

Haussmann se retournerait dans sa tombe.

Haussmann se retournerait dans sa tombe.

Toujours est-il que Vinjo et Pim n’ont pas encore troqué leur vocation d’explorateurs urbains pour celle de vigiles de quartier. Faisant fi de la petite délinquance, le passage est exploré de nouveau et cette fois ci dans l’autre sens. Et là, coup de chance, nous rencontrons un ange ou plutôt une Angèle.

Angèle…ahh…Angèle. Angèle c’est un poème, une mémoire, un bout d’histoire à elle seule. Angèle quand on la voit, on l’aime. Octogénaire (« 80, 70, 60 ans… j’en ai rien à foutre moi »), espagnole d’origine, bordelaise de coeur, voilà 40 ans qu’Angèle vit dans sa petite maison du passage de l’hôpital.

Les cheveux rouge / rose, l’œil pétillant, les lèvres carmin, Angèle c’est un monument. Un monument de gouaille surtout … un phrasé et un accent bordeluches que l’on aimerait enregistrer pour vous le faire écouter tant il fait partie de notre patrimoine immatériel, et mériterait d’être à l’UNESCO lui aussi. Les roulements chantants, les « gensses », les « pardine » et le franc parler : oh anqui tout y est !

Nous abordons Angèle tandis qu’elle discute avec Francisco, un voisin, à sa fenêtre : « Fais gaffe que le pigeon te chie pas sur la gueule, ça te ferait de la gomina », nous prévient-elle en pointant du doigt ses amis à plumes. Angèle nous met tout de suite à l’aise.

Angèle, elle aime bien sa rue … il y a 40 ans c’était comme un village, tout le monde se connaissait, se parlait. Aujourd’hui ce n’est plus tout à fait pareil nous dit-elle … mais quand même, Angèle connait tout le monde, et tout le monde la connaît, lui apporte du pain, des cigarettes, lui fait ses courses …  En 15 minutes de conversation (Angèle n’a pas vraiment besoin qu’on la relance) elle aura d’ailleurs le temps de saluer quatre passants par leur prénom et de nous raconter la vie d’une dizaine d’autres (l’avocat qui est un monsieur très gentil, sa femme, Paulette, la voisine d’en face etc. etc.)

Et la polémique sur la fermeture du passage? Pardine elle n’a pas trop d’avis, par contre une chose est sure : trop de jeunes profitent de l’endroit pour « faire vous savez quoi » nous dit elle. Bon on ne sait pas vraiment quoi d’ailleurs (petits trafics ? alcoolisation excessive ? passes ?) et comme Angèle n’a pas voulu nous faire un dessin, nous n’avons aucune certitude sur cette délinquance. Toujours est il qu’Angèle, près de sa fenêtre, garde son bâton de bois pour se défendre, au cas où, et qu’elle n’a pas peur de mettre un intrus en fuite si besoin.

Pas de bâton contre nous, « des petits jeunes très polis qui demandent des renseignements eh bé té je les renseigne moi et puis voilà hé » et malheureusement pas de photos non plus. Elle est comme ça Angèle, gouailleuse, mais timide dans le fond, à ne pas vouloir trop se montrer, s’exposer. Il est temps de la laisser, elle a des pigeons à nourrir, et nous une rue à finir. Nous la saluons, et elle nous gratifie d’un dernier conseil tandis que nous abordons la traversée du fameux corridor : « Ne vous faites pas violer hé les drolles ».

Une photo avec de la tendresse (si si, regardez bien !)

Une photo avec de la tendresse (si si, regardez bien !)

Plus personne Passage de l’Hôpital, et point de bar à l’horizon. Dernière traversée du corridor noir et nous voici rue du Hâ. Le bar le plus proche, on ne sait pas, car un restaurant nous accueille avant : l’Abissynia. C’est l’un des deux seuls restos éthiopiens de Bordeaux, et nous tombons à pic puisque c’était ce jour là le nouvel an éthiopien, que nous avons arrosé d’une « Saint George Beer ».

Au final cet article n’apportera rien au débat des fermetures d’impasses. Mais à vrai dire ce n’est pas notre but. Notre souhait c’est d’ouvrir les yeux sur ces rues connues et inconnues, et pas d’y mettre une grille… pardine !

Bonne année à la communauté éthiopienne de Bordeaux !

Bonne année à la communauté éthiopienne de Bordeaux !