Après 35 années consacrées à sa ville de Bordeaux, arrivé en retraite, il déclara avoir eu la vie dont il avait rêvé … Christophe Dugarry ? L’intendant Tourny ? Montaigne ? Aucun de ceux-là, ce satisfecit nous le devons à une autre figure locale : Jean-Paul Avisseau. Qui il faut le dire, a eu une vie plutôt réussie puisqu’une place des Chartrons porte aujourd’hui son nom et qu’il a eu l’honneur d’être visité par les explorateurs de Bordeaux 2066.
Précisons toutefois que Jean-Paul partage la place avec son père, Paul, latiniste reconnu et professeur réputé au lycée Montaigne. Mais c’est probablement grâce au fils et à sa carrière au service de la cité bordelaise que le patronyme peut aujourd’hui s’enorgueillir de se confondre avec la voirie bordelaise, dans un nom au rendu assez étrange : « Place Paul et Jean-Paul Avisseau ».
Diplômé de la faculté des lettres, il partit quelques années à Cherbourg avant de devenir directeur des archives municipales de Bordeaux. Notons également que Madame Avisseau devint à la même époque directrice des archives départementales de Gironde … on ose à peine imaginer la teneur des discussions durant les repas de famille ! Outre les archives, Jipé eut également plusieurs autres responsabilités locales : direction du musée de la marine, de la revue historique de Bordeaux, président de la société archéologique… Bref, une vraie personnalité locale.
Pied de nez aux personnages toutefois, la Ville décida d’attribuer à Avisseau père et fils une place 100% moderne, inaugurée en 2003, mais nichée au cœur d’un quartier emblématique de l’histoire bordelaise.
La place Paul et Jean-Paul Avisseau est en effet au cœur de la ZAC des Chartrons : opération d’urbanisme de la fin des années 1990 / début des années 2000 visant à renouveler ce quartier historiquement tourné vers le port et dédié au commerce. Avec le transfert des activités industrielles, ce sont des pans entiers de la ville qui se retrouvent encombrés de chais, d’entrepôts et de hangars abandonnés. Comment exploiter ces parcelles en lanières, ces bâtiments aveugles, longs et étroits ? Une zone d’aménagement concertée est créée pour offrir de nouveaux logements, et mettre en valeur le riche patrimoine chartronnais. C’est ainsi que vit le jour la place Paul et Jean-Paul Avisseau, sorte de cœur de quartier moderne reliant les lieux historiques emblématiques du pâté de maisons que sont la rue du Faubourg des arts et les superbes Chais de Luze.
Il faut bien l’avouer, au premier abord on ne décèle aucun charme particulier, si ce n’est celui du calme absolu. La place est bordée d’immeubles Domofrance de couleur jaune, plutôt assez bien réalisés à notre goût, joliment arborée … mais manquant sensiblement de vie. Les rares passants que nous croisons sous la chaleur bordelaise nous expliquent qu’en temps normal l’école toute proche a au moins le mérite de faire résonner les cris des enfants. Mais l’Education Nationale mise à part, restent pour animer la place : des cabinets médicaux, un appart’hôtel ayant fait tristement parler de lui l’an dernier, un atelier et deux restaurants dont l’un semble abandonné.
C’est peut-être le calme justement qui a attiré sur place un étiopathe. Etiopathe ? Kézako ? Un psychopathe en provenance d’Ethiopie ? Non, tout simplement un rebouteux mais avec un mot savant, un mot qui fait bien. Wikipédia nous le confirme : l’étiopathe pratique la médecine sans appareils et sans médicaments (c’est pas automatique, ne l’oublions pas). La discipline repose en effet sur un postulat simple : l’identification intuitive de la cause d’un symptôme permet l’auto-traitement. Malheureusement le cabinet étant fermé lors de notre passage, nous ne pourrons pas tester pour vous cette médecine douce.
La quiétude du quartier permet aussi de s’y ressourcer et d’y trouver l’inspiration créatrice. Lyrique Bordeaux 2066 ? Rassurez vous, nous ne parlons pas de nous, mais de Jofo, célèbre artiste bordelais qui a élu résidence sur la place Paul et Jean-Paul Avisseau.
Pour nos lecteurs les moins branchés sur l’art, Jofo c’est le père de ce personnage de Toto que l’on croise un peu partout depuis des années dans Bordeaux et au gré des expositions : fresque de Bergonié, Maison du Vélo du Cours Pasteur, toile « polémique » exposée à Blaye, et en ce moment expo au Saint-James à Bouliac, sur les hauteurs bordelaises. Pour nos amis parisiens, Jofo c’est également le « cylindre à totos » installé aux Halles, œuvre imposante que la Mairie de Paris, décidée à réaménager le quartier, a choisi de démonter pour la rendre en kit à son hauteur : la grande classe !
Malgré ce coup du sort l’artiste n’a pas perdu le feu sacré. En entrant dans son atelier on admire les toiles et les dessins exposés sur les murs, entassés par terre, sur les tables. Ca bouillonne et ça foisonne d’idées ! Jofo, via son personnage de Toto, nous raconte ses humeurs : nostalgiques de l’enfance, citoyen engagé contre les injustices en tous genres, supporter des Girondins et aussi grand amoureux de sa ville et de sa région dont il peint les œuvres architecturales dans les séries Chapô Bordeaux et Chapi Chato où il se promène dans les plus grands noms du vignoble. Il nous raconte la quiétude de son atelier où il est installé depuis maintenant quelques années, au milieu de cette place mêlant étudiants, enfants, familles et touristes, et nous constatons d’ailleurs qu’en ce samedi après-midi, seule la curiosité des enfants du quartier vis-à-vis des toiles de l’artiste vient troubler la création.
Jofo a toujours eu un atelier dans Bordeaux : Saint Pierre avant, Place Paul et Jean-Paul Avisseau aujourd’hui, et surement ailleurs dans quelques années … où ? Cela reste à voir. Espérons en tout cas que nous visiterons un de ces jours une place ou une rue qui nous permettra de recroiser cette figure locale, qui nous a accueilli en toute simplicité et décontraction !
Parenthèse artistique terminée, c’est en Italie que la place Paul et Jean-Paul Avisseau nous offre un dernier voyage. La « trattoria chic des Chartrons » est fermée ce samedi après-midi mais nous y repassons en début de semaine pour déguster salades et pizza, en sirotant une bière qui, il faut malheureusement le constater, se classe deuxième au palmarès des bières les plus chères du blog : 3,50€ le demi, à croire que la tranquillité se paye.
On ne vous parlera pas du repas, ni bon ni mauvais, et puis surtout il semble de plus en plus dangereux pour un internaute de donner son avis sur une pizzeria.
Allez, on vous a parlé d’une place calme, rythmée par les va-et-vient de l’appart-hôtel, les cris des écoliers et par les aventures de Toto. Mais il faut vous avouer qu’on a un peu contribué à animer le quartier lors de notre visite en débarquant en force : Simon le réalisateur, Gilles l’ingénieur du son, Julien l’assistant de tournage et Sophie la présentatrice nous ont suivi place Paul et Jean-Paul Avisseau pour le tournage d’un épisode d’Echappées Belles consacré à la vallée de la Garonne, que vous retrouverez sur vos écrans en… février 2015 !
Paul et Jean-Paul, deux hommes d’écrit à l’honneur dans le petit écran, Avisseau zamateurs !