Avenue Abadie

51 je t’aime, j’en boirais des tonneaux, à me rouler par terre, dans tous les caniveaux ! C’est avec cette petite musique en tête que nous partons ce samedi découvrir notre 51ème rue. Le tirage au sort décide lui de rester sobre, pas de rue d’Armagnac, de place Marie Brizard ou de rue Picon à l’horizon, c’est sur la rive droite que nous partons découvrir l’Avenue Abadie.

 

Abadie donc voilà notre rue

Abadie donc voilà notre rue

Touchés par la grâce, la première chose que l’on voit en arrivant sur place, c’est surtout l’église Sainte-Marie qui marque le début de notre avenue. Construite pendant la deuxième moitié du XIXème siècle, l’église a été conçue par … je vous le donne en mille … Paul Abadie. Disciple de Viollet-le-Duc et architecte diocésain, Abadie fut assez actif dans la région : restauration des cathédrales d’Angoulême et Périgueux, hôtel de Ville à Périgueux, restauration de Saint-Michel à Bordeaux, et celle aussi – plus controversée – de l’église Sainte-Croix.

Rive droite en tout cas, pas de débats sur la construction de Sainte-Marie de la Bastide qui fut érigée en lieu et place de l’église oubliée que nous avions découvert rue Henri Dunant, forte croissance démographique de la rive droite liée à l’industrialisation oblige. Sainte-Marie vient plutôt confirmer le style d’Abadie, que l’on retrouvera encore plus tard dans son projet le plus célèbre : la basilique de Montmartre.

 

Bordeaux - Périgueux - Montmartre : l'Abasie's touch

Bordeaux – Périgueux – Montmartre : l’Abadie’s touch

L’avenue pris le nom de l’architecte en 1886, deux ans après sa mort, et au moment où le préfet officialisa l’avènement de Sainte-Marie comme église « officielle » de la Bastide. Avant cela elle s’appelait beaucoup plus communément, avenue de la Gare. Oui, de la Gare, car pour nos lecteurs qui l’ignoreraient, à l’époque la Gare Saint-Jean n’avait pas le monopole des trains bordelais, et sur la rive droite se tenait la Gare d’Orléans, devenue il y a maintenant 15 ans le cinéma Mégarama.

Les conteneurs au bout de l'avenue en 2002 (Photo : Histoire de la Bastide)

Les conteneurs au bout de l’avenue en 2002 (Photo : Associations Histoire(s) de la Bastide)

Comme on le voit sur cet ancien plan, la gare et ses voies s’étendaient sur une bonne partie de la rive droite, et notre avenue était donc à l’époque un cul-de-sac, terminant sa route sur un portail marquant l’emprise de la Compagnie Nouvelle des Conteneurs, ancienne filiale fret de la SNCF. Au beau milieu de ce qui est l’actuelle Avenue Abadie, se tenait donc un site de transport combiné, en d’autres termes un endroit pour décharger des camions sur des trains, et vice-versa. Pour aller de l’autre côté, vers ce qui est aujourd’hui le site du jardin botanique, il fallait emprunter une passerelle piétonne un peu plus loin. Aujourd’hui encore plusieurs friches demeurent, plus ou moins abandonnées, ou utilisées comme parking.

Relique SNCF sur parking en voie de disparition

Relique SNCF sur parking en voie de disparition

Mais demain ces terrains seront occupés par de nouvelles constructions : logements, bureaux, commerces : avenue Abadie se termine le projet d’urbanisme de Niel, nouveau quartier de la rive droite dont on devrait voir les premiers projets sortir prochainement de terre.

En attendant les futurs projets, un bâtiment moderne se dresse déjà au milieu de l’avenue. Il s’agit du pôle universitaire d’économie et gestion construit en 2007, et là … chapeau. L’équipe de Bordeaux 2066 a souvent de fortes divergences de vue sur les projets architecturaux, mais sur celui-ci nous sommes pour une fois d’accord et admiratifs du bâtiment, léger, lumineux et fleuri, et l’on se dit que l’on aurait bien aimé étudié dans ce genre d’endroit nous qui avons usé nos culottes d’étudiants dans le ciel grisâtre de Lille, entre les briques, les frites et la bière.

Pôle universitaire vu de dehors

Pôle universitaire vu de dehors

Pôle universitaire vu de dedans

Pôle universitaire vu de dedans

D’étudiants nous n’en voyons pas beaucoup, notre visite ayant lieu un samedi. Mais en marchant sur leurs pas et sur ceux de leurs professeurs nous arrivons rapidement au Pique-Feu : bar-restaurant proche de l’église et surtout bonne adresse pour des repas de qualité à budget raisonné. On y discute avec Frédéric, le patron du lieu. Voilà dix ans qu’il a quitté le tumulte de la vie parisienne pour venir s’installer sur la rive droite bordelaise. Un pari, mais un pari réfléchi puisque ce choix il l’a fait en sentant le potentiel de ce quartier … les choses ont déjà beaucoup changé depuis son arrivée nous dit-il, et il attend les prochaines étapes et ces nouveaux quartiers qui devraient continuer à dynamiser la zone.

Si Frédéric n’est là que depuis quelques années, le Pique-Feu est lui bien ancré depuis fort longtemps, et on devine encore son ancien nom sur la façade : Restaurant Menneteau. De vieux habitants du quartier, occupés mains dans le dos et casquette sur la tête à refaire le monde sur le parvis de l’église, nous expliquent que le lieu était une halte fréquentée par les routiers qui venaient charger/décharger les conteneurs de la gare … connu aussi il y a quelques temps pour ses filles de joie, comme les nomment ces vaches de bourgeois. Plus récemment le Pique-Feu était aussi réputé pour ses aloses grillées sur un grill installé dans la rue : un régal semble-t-il ! Merci en tout cas à Brigitte de l’association Histoire(s) de La Bastide, dont les témoignages et les infos nous ont été une fois de plus fort utiles !

Incroyable : une Bluecub !

Nous voilà donc en terrasse, buvant notre traditionnelle bière de fin de visite, à observer le va-et-vient des passants de l’Avenue Abadie, bien différent du ballet des camions qu’offrait le 20ème siècle. Cinquante et unième rue de nos déambulations, l’avenue Abadie est aussi, dans l’ordre alphabétique, la première de toute les voieries bordelaises. De l’alpha à l’oméga, entre l’avenue Abadie et la rue Yves Glotin, il nous reste encore 2015 rues à explorer et 4030 bières à avaler !

Bières n° 102 et 103 du blog

Bières n° 102 et 103 du blog

Passage Pambrun

En ce samedi de mai, l’équipe de Bordeaux 2066 a une fois de plus peur. Rien d’effrayant dans les premières températures d’été, et encore moins dans le nombre des années qui augmente pour Pim en cette veille d’anniversaire. Notre peur est bien plus primaire : Excel nous a encore joué un tour. Après les 43 mètres de la rue Fénelon, nous voici confrontés aux 47 mètres du Passage Pambrun.

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Mais là où la rue Fénelon était remplie de magasins, et donc de témoins potentiels, nous nous attendons à trouver beaucoup moins de quidams dans ce passage reculé, proche de la gare et à la limite de Bègles. A notre descente du tram à l’arrêt Carle Vernet, nous tombons d’abord sur la Maison du projet de Bordeaux Euratlantique : et oui, le passage Pambrun, tout comme la rue Sarrette ou la rue Brulatour risque de bien changer dans les prochaines années, avec l’arrivée du TGV, la sortie de terre de nombreux projets immobiliers, le développement d’un quartier d’affaire etc.

Mais pour le moment, maison du projet mise à part, il n’y a pas encore de signe de grands bouleversements. Après avoir parcouru la rue Cazeaux perpendiculaire au tram, nous arrivons sur place : passage Pambrun nous voici !

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Avouons le, le premier ressenti ne nous rassure pas … 47 mètres c’est court ! Nous remarquons d’ailleurs que ce passage reste une adresse quasi exclusive puisque pour y vivre vous n’avez le choix qu’entre le numéro 1 ou le numéro 2, ensuite les maisons basculent automatiquement sur la rue Cazeaux ou la rue Poissonnier.

C’est justement rue Poissonnier, à la sortie du passage, que nous croisons Dominique, qui nous accueille couteau dans la main. Pas d’inquiétude, Dominique n’a nullement l’intention de nous mener dans la ruelle pour nous montrer son Opinel. Au contraire, son arme blanche Dominique l’utilise en tant que Michel Morin du quartier pour réajuster la cane d’une mamie … belle convivialité entre voisins ! Est-ce ainsi dans tout le quartier ? Cela dépend nous dit Dominique, « ici vous avez la rue des c…., et là celle de la solidarité ». Bon, ne nous attardons pas trop longtemps sur les quelques conflits passés de voisinage qui suscitent encore quelques noms d’oiseaux, concentrons nous plutôt sur la solidarité.

Le 1 passage Pambrun

Le 1 passage Pambrun

Le 2 passage Pambrun

Le 2 passage Pambrun

Dominique nous le dit clairement : ici historiquement, c’est un quartier populaire, d’immigrés, d’ouvriers et de cheminots. Des gens qui ont appris à se serrer les coudes et à compter les uns sur les autres. D’accord, mais aujourd’hui alors, que pense Dominique des futurs projets ? Si les immeubles ne l’enchantent pas forcément, il n’a pas peur des nouveaux habitants « des jeunes s’installent dans le quartier depuis quelques années, la population se renouvelle, mais ils sont tous très gentils, très aimables. Ils redonnent de la vie au quartier, et puis il y a des couples avec des racines différentes, ça apporte de nouvelles choses, c’est bien ».

Vue générale du Passage Pambrun

Vue générale du Passage Pambrun – sens aller

Vue générale du Passage Pambrun - sens retour

Vue générale du Passage Pambrun – sens retour

Chantre de la mixité sociale et ethnique, Dominique est également un apôtre de l’intergénérationnel et nous propose d’aller sonner chez une voisine, un peu plus loin, qui connaît toute l’histoire du quartier. Au premier coup de sonnette, et après les aboiements de Valou, fidèle chien de garde, nous voyons arriver Jeanne. Au premier coup d’œil c’est le coup de cœur : pas de doute, Jeanne sera une belle rencontre, comme celles que ce blog nous a d’ores et déjà offert dans d’autres rues.

Octogénaire à la démarche paisible, à l’œil vif et au sourire charmeur, Jeanne nous parle derrière sa grille de jardin « pour ne pas laisser échapper le chien, à mon âge je ne peux plus le rattraper ! ». Chien qui ne manquera pas de se faire remarquer lors de notre passage « Valou, tu as encore pété ! Tu m’empestes ! ».

Mais une fois le canidé rabroué, notre sympathique mamie s’intéresse à notre démarche et enclenche la machine à souvenirs. Pendant une heure de discussion à bâtons rompus, nous repassons toute l’histoire du quartier : des dizaines d’anecdotes, de fragments de vie, d’histoires drôles ou tragiques. Difficile de tout retranscrire ici mais en vrac sachez que près du passage Pambrun coulait autrefois à ciel ouvert l’Estey Sainte-Croix. On y menait boire les vaches, et quand il faisait chaud Jeanne s’y baignait et se chamaillait avec ses camarades à grands coups de sangsues lancées sur l’un ou l’autre.

Le quartier a bien sur connu la guerre, et tous les habitants qui se réfugiaient dans la maison d’en face, se partageaient, ironie du sort, des pastilles Vichy en attendant la fin de l’alerte. Ensuite les années fastes, l’arrivée du tout à l’égout, et toujours la convivialité : « on n’avait pas la télé, alors le soir vous savez on sortait les chaises dehors et on discutait entre voisins, tout simplement ».
Voisinage toujours avec des histoires cocasses et loufoques : un coup de fusil par ci, un ferrailleur coureur de jupons par là, ou encore un voisin qui avait sa carte et à la CGT et au RPR car comme il avait dit « moi tant qu’on me donne du boulot, je prends la carte ».

Jeanne nous confirme aussi la tradition populaire du quartier : beaucoup de cheminots, comme souvent à Bordeaux des Espagnols, et plus inattendue une communauté tchèque, venue cristalliser son savoir-faire à la verrerie Domecq voisine ou à l’usine Saint Gobain des boulevards, celle là même où avait travaillé notre copine Fernande de la rue Brulatour. Cette communauté tchèque, on n’en trouve plus trace aujourd’hui, malgré la présence du dernier ressortissant Tchèque Diabaté.

La maison des Pambrun, entièrement refaite il y a quelques années

La maison des Pambrun, entièrement refaite il y a quelques années

Sur le passage qui nous occupe aujourd’hui, Jeanne nous apprend que la famille Pambrun était propriétaire d’une grande partie des terrains qui forment le pâté de maisons actuel. Les Pambrun étaient « moutonniers », ce qui ici ne veut pas dire qu’on avait affaire à des gens grégaires mais bien à des bergers périurbains, quand l’actuel quartier Carle Vernet ressemblait encore à de la palu bien grasse. Après quelques recherches, un descendant de la famille Pambrun nous a d’ailleurs confirmé l’implantation du fief familial dans les Hautes-Pyrénées, avant d’essaimer vers les Landes et le Bordelais, à contre-courant de la transhumance.

Le soleil se couche et voici l’heure de quitter Jeanne et Dominique. Mais Jeanne on ne l’oubliera pas de sitôt, et là voilà à tout jamais dans la photothèque de Bordeaux 2066, avec son voisin et ses nains de jardin.

Dominique et Jeanne

Dominique et Jeanne

Lecteur rassure toi, après deux rues dans lesquelles nous n’avions pas eu l’occasion de boire la traditionnelle mousse finale, l’offense est réparée puisque nous nous offrons quelques jours plus tard un déjeuner au restaurant le Banlieue Sud, bien connu de ceux qui ont usé leurs nerfs aux feux rouges à l’angle de la rue d’Armagnac et de la rue Carle Vernet. C’est une cantine populaire comme on l’imagine : service uniquement le midi, repas copieux et savoureux, ambiance décontractée et petits prix ! Une bonne adresse, et surtout l’occasion de renouer avec le houblon.

Au Banlieue Sud

Au Banlieue Sud

Les 47 mètres du Passage Pambrun mènent bien plus loin qu’à la rue Cazeaux et à la rue Poissonnier. En remontant l’Estey Sainte-Croix dans lequel Jeanne barbotait, on arrive jusqu’aux Pyrénées des Pambrun. De là, en grimpant par temps clair, on aperçoit l’Espagne et ses plaines dépeuplées au profit des faubourgs ouvriers de Burdèos. Une vie de labeur, y compris pour les verriers arrivant de la Bohême. Aujourd’hui, dans le sillage du TGV, se pointent quelques bourgeois. Mais on n’efface pas l’histoire si rapidement : en hommage à la communauté tchèque disparue, certains de ces bourgeois sont aussi bohèmes.

Avenue de la Gare

13h11, un dimanche de janvier encore trop doux avec cet hiver qui ne vient jamais. Nous prenons place à bord du TER Aquitaine 866123 à destination du front du Médoc, sur la ligne du Verdon. 15 minutes plus tard, alors que nous sommes bercés par le ronronnement du TER, Excel nous ordonne de descendre : notre voirie à explorer ce jour est en vue. Nous voilà arrivés Avenue de la Gare … Saint Jean ? Que nenni, Excel est farceur, l’Avenue de la Gare est à Caudéran, à la frontière avec Mérignac.

AvenuedelaGare

Abjurons tout de suite nos péchés : nous ne sommes pas venus en train. Non pas faute de mauvaise volonté, mais la liaison Bordeaux – Le Verdon est assez peu fréquente le dimanche. Pour autant c’est bien par la gare que nous commençons notre visite de l’avenue éponyme.

Gare

Construite en 1933, la gare de Caudéran-Mérignac prend place sur la ceinture ferroviaire de Bordeaux pour desservir l’ouest bordelais, alors en plein développement. Le bâtiment révèle un charme désuet : petite gare aux accents art-déco, avec sa frise ornée de grappes de raisin qui nous rappelle que la route des châteaux n’est plus très loin, et que le secteur était jusqu’au début du 20ème siècle couvert par les vignes du Château Bourran tout proche, aujourd’hui devenu l’IUFM. L’urbanisation a définitivement gagné le secteur, et on a pu craindre pour la survie de la gare avec l’ouverture à deux kilomètres plus au Sud de la gare de Mérignac-Arlac, en connexion avec la ligne A du tramway. Mais on ne met pas fin si facilement à 80 ans d’histoire : enclavée, peu mise en valeur, mais vaillante, la gare de Caudéran-Mérignac a résisté, et sont ainsi venus s’ajouter au bâtiment historique quelques équipements plus modernes.

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 Téléphone

BLS

La présence de la gare a indéniablement contribué à la densification du quartier. On est ici à une vingtaine de minutes du centre de Bordeaux, et ce sont donc de nombreuses résidences modernes qui se dressent les unes à côté des autres dans l’avenue de la gare. Oh, pas de grande tour qui monte gratter le ciel, mais un ensemble de résidences de trois ou quatre étages plantées là pour accueillir une population urbaine en recherche de tranquillité.

L'Avenue de la Gare. A droite, l'Avenue Albert 1er (Mérignac).

L’Avenue de la Gare. A droite, l’Avenue Albert 1er (Mérignac).

Maisons mitoyennes et HLM du Clos Montesquieu (Mérignac)

Maisons mitoyennes de l’Avenue de la Gare et HLM du Clos Montesquieu (Mérignac)

Car le quartier est calme, pas de doute là-dessus. Marie et Jean-Louis, qui habitent depuis quinze ans dans une des maisons mitoyennes face aux petites tours HLM du Clos Montesquieu (qui elles sont sur la commune de Mérignac) nous vantent la douceur de vivre avenue de la Gare. Les logements sociaux construits récemment ? Aucun problème, le plus pénible pour Jean-Louis fut la concertation en amont du projet, « où l’on a entendu plein de peurs, de craintes inutiles, alors que tout se passe très bien. On a toujours peur de ce que l’on ne connaît pas, c’est dommage ». Et puis Jean-Louis est un enfant de Bacalan, mais « du vrai, à l’époque où Bordeaux était loin de nous » alors les soi-disant dangers de la mixité caudéranaise le font doucement rire.

Pour en apprendre plus sur l’histoire du quartier, Jean-Louis nous conseille d’aller sonner chez Colette, un peu plus loin. Bonne pioche ! Elle et son mari nous racontent le passé du quartier, avant les résidences : Lamourelle le concessionnaire de tracteurs Ford en face de chez eux, l’usine de poteaux et le marchand de bois un peu plus loin. En 1973, quand ils ont fait bâtir, il n’y avait qu’une poignée d’habitants dans la rue. Un passé aujourd’hui disparu et qu’ils regrettent un peu : le quartier a beaucoup changé ces dernières années, et leurs repères se sont évanouis au fur et à mesure. Ils ne se font d’ailleurs guère d’illusions et pensent que leur maison au grand terrain ne leur succédera pas : l’appétit des promoteurs sera trop féroce.

Ce que personne ne regrette en revanche, c’est l’occupation de la gare par les Allemands pendant la guerre. D’ailleurs, quand Colette et son mari ont fait construire, ils ont retrouvé dans leur terrain des fondations de baraquements militaires !

L’exploration de la rue se poursuit sur le côté Sud de la gare, avec l’IUFM en ligne de mire. Moins longue, cette partie de la voirie rassemble plusieurs résidences récentes, une station Bluecub, et le SIVU de Bordeaux-Mérignac, fournisseur officiel des repas des cantines pour les écoles et maisons de retraites bordelaises et mérignacaises depuis 2004. Tous les jours, ce sont 19 000 repas qui sont concoctés Avenue de la Gare, ce qui en fait certainement la rue de Bordeaux où l’on fait le plus à manger (non, vous n’avez pas préparé 19 000 repas pour l’anniversaire du petit dernier). C’est plein d’émotion que nous marquons une minute de silence en mémoire de la cantine de notre enfance : bataille de petit pois, mie de pain dans la carafe, et malédiction des choux de Bruxelles sont encore bien présents dans nos esprits.

Où la ville de Bordeaux réaffirme son intégrité territoriale face à l'impérialisme mérignacais.

Où la ville de Bordeaux réaffirme son intégrité territoriale face à l’impérialisme mérignacais.

La rue continue encore un peu, jusqu’à devenir mérignacaise, sans pour autant changer de nom. Notre code de déontologie nous empêchant formellement de franchir une telle frontière, nous arrêterons là notre description.

Nous voilà repartis sur nos pas, à la recherche d’une petite mousse quand soudain tel Richard Anthony, nous entendons siffler le train, ou plutôt la charmante voie de Nicole SNCF, qui nous annonce l’arrivée du 16h27 à destination de Lesparre (via « Mouli », Nicole, tu pourrais tout de même faire un effort sur la prononciation de nos bleds, surtout quand ils abritent de célèbres grands crus). Ni une ni deux, nous voilà sur le quai à attendre l’arrivée du monstre de fer.

CaudMer

Arrivée du TER sous les ogives

Arrivée du TER sous les ogives

Agent SNCF émerveillée devant un flyer de Bordeaux 2066

Agent SNCF émerveillée devant un flyer de Bordeaux 2066

L’occasion de croiser Monsieur Cavalier, juché sur sa monture qui est en l’occurrence un vélo, et qui en bon ferrovipathe attend lui aussi de voir le train arriver et repartir. Retraité actif et habitant du quartier (mais côté Mérignac), il nous raconte son amour du rail, des locomotives à vapeur, des arrêts impromptus et des voyages d’antan quand aller à Paris était une « véritable aventure, alors que maintenant le TGV c’est certes rapide mais un peu triste ».

Avec Monsieur Cavalier

Avec Monsieur Cavalier

Vinjo est aux anges, lui qui partage cet amour pour le train, et songe sérieusement à fonder une section girondine des amateurs de voies ferrées.

L’émotion ferroviaire passée, il est temps de rafraîchir nos gosiers au Merle Blanc. Un merle blanc dites-vous… oiseau rare mais qui existe à l’image de ce bar-hôtel-restaurant dans lequel nous mettons les pieds. Ancien relais de gare, cet établissement  figé dans le temps est assez surréaliste, avec ses chambres à louer au mois et sa décoration pour le moins rétro. Le voici maintenant bloqué entre deux résidences de logements sociaux, et n’accueillant sûrement que trop rarement des voyageurs en transit, ou des meetings politiques.

MerleBlanc

Entre deux gorgées de Heineken à 3 euros (oui, seul le prix de la consommation nous ramène durement de notre voyage au siècle précédent), la patronne nous explique les pressions qu’elle subit pour vendre son établissement, ses déboires avec l’administration municipale, son désamour pour la région, elle qui est arrivée de région parisienne « où il y a une bonne mentalité ». Bien que dépourvue de Picon, notre bière prend subitement un goût amer.

Au comptoir du Merle Blanc

Au comptoir du Merle Blanc

Ces terres viticoles, puis ferroviaires et industrielles, sont entrées de plein fouet dans la modernité de la métropole bordelaise ces vingt dernières années à grands renforts de béton, et il serait vain de s’en plaindre. Mais entre la gare, les repas municipaux, les résidences HLM et les maisons individuelles chacun a le droit de cultiver son jardin. Alors tout ce que l’on souhaite au Merle Blanc, c’est de siffler encore longtemps, à l’unisson du TER vers Le Verdon.

Il est grand temps de rentrer.

Il est grand temps de rentrer.

Bonus : Bordeaux 2066 avait encore un invité dans son équipe… il s’agissait cette fois de Mère Kro, dont la remarquable contribution nous fait entrer dans une nouvelle ère avec ce film unique digne des Frères Lumière : L’arrivée d’un train en gare de Caudéran-Mérignac