Rue Armand Dulamon

« Bordeaux Nord »

C’est dingue comme le simple fait d’accoler le point cardinal septentrional à son nom a pendant des années rendu Bordeaux moins glamour. Bordeaux Nord, deux mots qui ont longtemps inspiré au bourgeois le détour méfiant, l’incursion rapide à Ikea en regardant la silhouette des Aubiers au loin, accompagnée de la conviction que passé le Cours du Médoc, ça n’est plus Bordeaux mais un magma post-industriel qui ne dit rien qui vaille.

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Mais depuis quelques années, il y a cette poussée de croissance. Bordeaux se réveille, Bordeaux se rénove, et inévitablement Bordeaux s’étend. Dans la novlangue du marketing municipal, Bordeaux Nord est devenue « Bordeaux maritime », comme une promesse de chaise-longue sur les plaies encore à vif d’une ville portuaire. Jadis destination alternative d’une population en quête d’exotisme urbain et de lieux abandonnés, puis point de mire des noctambules fatigués des excès de Paludate, les Bassins à Flot sont aujourd’hui à l’honneur dans les plaquettes des promoteurs. Des entreprises, des écoles, des logements, le tout autour d’une marina (on dira ici une marrona pour être plus exact) : oui, à Bordeaux, le nord ne fait plus peur.

En abordant la rue Armand Dulamon, bien que située à quelques mètres de la frénesie constructive de la rue Lucien Faure, tous ces changements semblent imperceptibles. Notre voie tirée au sort ce jour ressemble à tant d’autres rues bordelaises, avec ses échoppes blondes sagement alignées, comme une enclave dans ce quartier à l’urbanisme un peu chaotique. Côté Cours Edouard Vaillant, d’austères immeubles nous évoquent Krasnoïarsk, tandis que le Cours du Raccordement à l’autre extrémité nous offre un supermarché low-cost, une chaufferie collective et une station d’épuration.

Mais entre les deux, la rue Armand Dulamon, du nom d’un magistrat landais officiant à Bordeaux au 19ème siècle, offre l’image du Bordeaux résidentiel éternel.

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Un paysage bordelais des plus classiques

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Patrick et sa famille nous le confirment : pas grand chose à signaler dans cette rue où ils ont posé leurs bagages il y a deux ans, arrivant de la rive droite. Le hangar en face est squatté certes, mais qu’importe. Patrick et les siens sont fatigués, ils rentrent de trois jours de libations pour fêter un anniversaire, et le retour dans leur cocon de la rue Armand Dulamon sonne la fin de leurs excès.

Adolescents roulant un peu des mécaniques, Salfay et ses amis quant à eux « font un tour », ce qui semble être un synonyme de s’ennuyer ferme, mais en mouvement. Un peu déçu d’apprendre qu’on ne le filmerait ni ne le payerait, Salfay nous confie rapidement son sentiment sur ce secteur où « c’est un peu la cité » (désignant Saint-Louis au loin) et où on peut « acheter du shit » (désignant la place Lewis Brown qui forme l’entrée de la rue côté cours Edouard Vaillant).

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Pas encore tout à fait une marina

Bordeaux 2066 ne se drogue qu’à la bière, mais n’a pas remarqué de dealer en cette journée décidément calme. De ce côté là de la rue Armand Dulamon, la star du commerce, c’est bien Bruno Pelage. Le garage qui porte son nom depuis 1999 occupe un ancien bâtiment de Repelec, qui était une entreprise spécialisée en entretien et réparation de gros moteurs industriels. Aujourd’hui Bruno et ses cinq salariés réparent encore des moteurs, mais plus classiquement de voitures, et selon les deux avis Google qu’il a récolté il le fait bien.

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Ce qui chiffonne Bruno Pelage actuellement, ce sont surtout les soucis de stationnement. Son activité exige qu’il laisse des véhicules sur la voie publique, mais ça n’est pas du goût des ASVP qui le prunent sans ménagement, poussant même notre garagiste-carrossier à afficher son ras-le-bol sur la façade de son établissement. Pas de réponse de la mairie à ce jour, visiblement Bruno Pelage peut aller se brosser (désolés).

Bruno connaît bien le quartier, où il a été scolarisé avant d’y travailler et où ses parents tenaient déjà un garage à quelques rues de là. Pas de doutes pour lui, depuis quelques années les choses changent avec un gros afflux de population et notamment des Parisiens : « On en parle, mais ici on l’a vu ». Si Bruno se réjouit pour la prospérité de son activité (qui dit plus de monde dit plus de bouchons, plus d’énervement, et donc plus de tôle froissée à redresser), il remarque néanmoins le développement d’une petite délinquance, dont il n’a toutefois jamais fait les frais.

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Bruno Pelage devant son garage (rime riche)

Autre univers mais même son de cloche à l’autre bout de la rue, à l’angle avec le Cours du Raccordement, qui porte ce nom si poétique puisqu’il a été percé pour relier la gare Saint-Louis aux Bassins à Flots par lesquels arrivaient ou partaient toutes sortes de marchandises. Après quelques années de bourlingue en Afrique et aux Antilles, Stéphane Cambournac a racheté il y a cinq ans ce bar-resto historique du quartier, qui portait avant le nom de « Café de l’union » lors des grandes heures ouvrières.

En seulement cinq ans derrière les fourneaux, Stéphane a pu observer de grands changements dans le quartier et donc sa clientèle : « 80% de la rue a été vendue ces trois dernières années ». C’est toute une génération qui a disparu ou est partie, et a été remplacée par des gens plus aisés en quête de la fameuse échoppe bordelaise avec terrain. Autre effet collatéral observé par Stéphane : les caves se rénovent et deviennent habitables, la ville gagnant ainsi des mètres carrés en profondeur.

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Bordeaux grandit aussi par en dessous 

Du côté du resto-bar La Terrasse on s’adapte : avec l’installation de bureaux, de plus en plus de gens viennent déjeuner le midi, mais par contre la vie sociale autour de l’apéro du soir a tendance à disparaître, en même temps que le vieux monde ouvrier des Bassins à Flot. Conséquence directe : ça ferme à 17 heures.

Tout cela est un processus encore en cours tandis que nous écrivons ces lignes début 2018 (oui on fait comme si des gens nous liront en 2317, bonjour à vous, on espère que Bordeaux existe encore) : l’ensemble du pâté de maisons à l’angle de la rue Armand Dulamon et du Cours du Raccordement est promis à une démolition prochaine, avec la construction de petits immeubles de 2 ou 3 étages pour continuer la mue et la densification du quartier. En attendant les prochaines étapes de cette métamorphose, on peut vous conseiller d’aller manger à La Terrasse : les produits sont frais, la cuisine maison, les tarifs sont ajustés, et puis on a apprécié que Stéphane nous offre spontanément un café sans connaître notre identité de blogueurs (oui, on se fait acheter facilement).

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Stéphane, patron de la Terrasse

C’est face au Cours du Raccordement et à sa station d’épuration que nous terminons cette exploration urbaine avec notre habituelle bière. Et puis Bruno le garagiste nous l’a dit en évoquant ce clochard qui a passé 3 ans nuit et jour sur un banc du début de la rue Armand Dulamon : « L’alcool, ça conserve ». Alors trinquons, au repos de Patrick, aux errances de Salfay et ses amis, aux amendes de stationnement de Bruno, et aux plats du jour de Stéphane. Au passé glorieux de Bordeaux Nord, aux lendemains qui chantent de Bordeaux Maritime.

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Bières et station d’épuration

 

Cité Saint-Martin

Des jours, des semaines, des mois presque que l’on vous laisse sans nouvelles. L’équipe de Bordeaux 2066 a été très occupée ces derniers temps, peut-être trop, et nous avons du laisser l’exploration de côté pour un moment… jusqu’à la Saint-Glinglin ? Non, mais jusqu’à là Saint-Martin oui, car c’est bien là qu’Excel nous envoie pour cette 57ème rue.

En regardant le plan, la Cité Saint-Martin nous semble être une petite rue perdue dans les bas-fonds de la Bastide. Pourtant, nous sommes ici à quelques mètres de l’avenue Thiers et du tramway. Mais ce qui nous frappe dès notre arrivée c’est le calme : peu de bruit, tout est tranquille, les mimosas sont en fleurs, et les chats, ces véritables appâts à likes sur Facebook, se baladent remplis d’insouciance alors qu’à quelques mètres de là tramways et voitures rythment l’artère principale de la rive droite.

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Façon déloyale d’obtenir du like Facebook

Ce calme, on le doit à la configuration des lieux : la Cité Saint-Martin est en fait l’union de deux impasses, que coupe en son milieu la rue Dasvin de Boismarin, qui elle-même bute sur des friches ferroviaires. Le paysage architectural s’inscrit dans la même lignée : à première vue pas d’immeubles modernes comme on les voit de plus en plus fleurir sur la rive droite, mais un alignement d’échoppes entrecoupé çà et là de constructions plus récentes.

C’est dès le début de notre exploration que nous croisons Marie-Claude, militante communiste qui à quelques semaines des prochaines échéances électorales tracte dans les boîtes aux lettres en rêvant d’union de la gauche. Suite à quelques considérations politiques, elle évoque la vie de quartier : une ambiance qui évolue petit à petit mais qui reste encore marquée par le passé ouvrier et la solidarité qui va avec. Pas encore de boboïsation à l’horizon selon Marie-Claude : ici beaucoup de gens se connaissent et il n’est pas rare de papoter avec ses voisins en s’asseyant cinq minutes sur un banc du petit square situé un peu plus loin.

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Marie-Claude

Cet esprit de village, Yvette nous le confirme quelques minutes plus tard. Yvette et son sourire radieux habitent la Cité Saint-Martin depuis plus de 40 ans maintenant. 40 ans que ses fenêtres font face à un palace en parpaing jamais terminé, sans que cela n’entache sa bonne humeur communicative. Une fois dépassées les considérations esthétiques, Yvette égrène avec nous son chapelet de souvenirs : la vie rive droite avant l’arrivée du tramway, l’ancienne demeure bourgeoise installée à l’angle et rasée dans les années 90 pour laisser place à des logements cheminots, et puis la salle Ernest Mouche qui faisait office de garderie et de salle polyvalente avant d’être détruite puis ensuite remplacée par le parking relais Galin.

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Ma maisoon est en paaarpaings, pirouette, cacahouette…

La salle accueillait notamment les fêtes et les bals de quartier, comme l’évoque Suzanne, une habitant de la Bastide dont le témoignage est consultable ici. Le tango des amoureux a maintenant laissé la place à la valse des voitures qui se croisent à longueur de journée en regardant passer le tram. Là encore on est en plein contraste entre la cité Saint-Martin baignée de tranquillité et le ballet incessant des tramways ne semble déranger personne, et surtout pas Yvette qui trouve le tramway formidable, « enfin, je ne l’ai pris que trois fois en 10 ans, mais j’adore l’entendre au fond de mon jardin ». Et Yvette entre deux rires de nous raconter sa dernière expérience tramway : un trajet vers le Stade René Gallice pour aller voir Bordeaux-Guingamp, « et que ça sentait la pisse oh mon pauvre laaaalaaa ».

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La Cité Saint-Martin vue du P+R Galin

Finalement Yvette ce qui la dérange le plus, c’est peut-être cette nouvelle mode des maisons en bois, comme celle construite il y a peu au bout de la rue. Les membres de Bordeaux 2066 ayant des opinions architecturales assez divergentes, nous ne nous hasarderons pas ici à une critique esthétique. Ce qui est certain c’est que l’on sent petit à petit l’urbanisation boucher les quelques trous du quartier : plusieurs constructions modernes s’insèrent dans la Cité Saint-Martin et dans les rues voisines, et d’ici quelques années les quartiers de Niel et de Brazza accueilleront les futurs voisins de Marie-Claude, d’Yvette et des autres.

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Sérénité bastidienne

En attendant les nouveaux habitants, l’offre en débits de boissons pouvant satisfaire notre soif reste assez limitée. C’est donc résignés que nous retournons au Nicot, bar PMU de quartier qui nous avait déjà accueilli lors d’une précédente visite.Le soleil de fin d’hiver nous invite à tomber le manteau, sans que nous ayons l’opportunité d’en donner la moitié à un clochard comme le fit Saint-Martin en son temps. Nous prenons une Affligem de printemps, que nous buvons à la santé de nos rencontres du jour. Union de la gauche ou pas, puissent la convivialité et la solidarité bastidienne que l’on nous a vanté ce jour là continuer à planer sur la rive droite.

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Deux demis sur l’Avenue Thiers

Rue de Mulhouse

 

Comme vous le savez si vous nous suivez sur Facebook, nous partageons souvent les points de vue de nos amis de Deux Degrés : agence d’urbanisme décomplexée. Pour cette 56ème rue, c’est donc Mathieu de Deux Degrés qui prend la plume et nous donne sa vision de la rue de Mulhouse ! 

Que dire sur la rue de Mulhouse ? 150 mètre d’échoppes plus ou moins cossues et d’Audi garées au coeur des quartiers résidentiels chics de la barrière de Saint-Médard. Depuis les trottoirs, nous devinons les jardins derrière les grandes vérandas colorées. Rue de Mulhouse, les habitants sont paisiblement heureux. Nous les imaginons déambuler joyeusement dans les allées du Parc Bordelais le dimanche après-midi avec leurs enfants à la scolarité exemplaire. « Imaginer » car soyons honnêtes, il n’y a personne dans la rue à qui demander ce qu’il se passe vraiment par là. Alors que nous entamons notre deuxième aller-retour, un bruit léger nous interpelle. Que se passe t-il ? Un mouvement. Quelqu’un bouge. Un sénior sort doucement de sa maison. Nous nous approchons respectueusement de lui pour l’interroger sur le quotidien de la rue de Mulhouse. En vain, il refuse de nous répondre, probablement de peur de venir troubler la quiétude du lieu. Il partira silencieusement vers son break Dacia Lodgy.

Mini vs Twingo : le grand combat

Mini vs Twingo : le grand combat

Peu à peu, la rue s’anime.  Mais ici, les drames du quotidien, que ce soit la pauvre jeune femme qui a perdu son beagle ou ce jeune homme préoccupé par le rangement de ses clubs de golf, ne parviennent pas à troubler le calme de la rue. Même l’agitation liée à la proximité de la belle-famille de Julien Courbet  ne semble pas pouvoir perturber la tranquillité résidentielle par ce bel après-midi d’automne.

Faute de bars à proximité, nous poursuivons vers la pâtisserie du coin pour la traditionnelle bière. La caissière, une habitante de Saint-Michel, nous confie qu’ici, c’est calme. Très calme. Peu de problèmes à l’horizon hormis quelques personnes âgées malpolies.

Consciencieux et l’esprit en alerte grâce à notre précieux breuvage, nous retournons direction rue de Mulhouse. Nous espérons bien y trouver quelque chose à dire. Nous sommes plus attentifs aux passants, à l’ambiance. Une vieille dame en doudoune passe, un père de famille en foulard remonte la rue silencieusement. Les regards sont bas. Le silence pesant lorsque les gens se croisent. Comme s’il y avait de la méfiance dans l’air. Oui, derrière les vieilles pierres des maisons, nous ressentons un malaise, un mal profond. Le calme de la rue ne parvient pas à dissimuler la tension qui règne par ici. Les gens refusent d’en parler mais il ne fait aucun doute que la suspicion règne entre les voisins. Le doute est là. Les sourires de façade ne parviennent pas à masquer le terrible bouleversement en cours. Ce qui se joue rue de Mulhouse laisse planer une chape de plomb pesante par dessus les verdoyants jardins de ce lotissement des années 1870. Ce qui se trame rue de Mulhouse immisce le doute au plus profond des foyers. Les habitants de la rue sentent que toutes leurs certitudes peuvent bientôt voler en éclat. Tout ce qu’ils ont connu ne sera peut-être plus dans les jours à venir, quand un voisin glissera dans l’urne son bulletin François Fillon pour les primaires des Républicains. Voter François Fillon ? A Bordeaux ? Face à Alain Juppé ? Pourquoi ? Mais pourquoi ? Quel serait la signification d’un tel geste au coeur de ce quartier baigné depuis si longtemps par la douceur bienveillante d’Alain Juppé ? Nul ne le sait. Mais le doute est là. Il y a un filloniste rue de Mulhouse. Peut-être cet homme avec sa doudoune matelassée ? Peut-être cette jeune maman avec ses élégantes chaussures vernies ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais une chose est sûr, rien ne sera jamais plus comme avant rue de Mulhouse. Quelqu’un va voter François Fillon à la primaire des Républicains.

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Tout est calme, trop calme

 

Tradition & modernité

Aujourd’hui, 20 jours après cette visite, nous n’osons imaginer l’état de tension régnant rue de Mulhouse. Les voisins se salueront-ils lorsqu’ils se croiseront au bureau de vote dimanche ? Rien n’est moins sûr. Voilà de quoi geler l’animation de la rue pour quelques années encore.

 

Jour de fête rue de Mulhouse

 

Aux quatre coins de la Gironde – partie 3, la Salie et son wharf

187-west1Troisième et ultime partie de ce carnet de voyage, où s’achève l’exploit de Tim Pike et Vincent, consistant à explorer les extrémités nord, est, sud et ouest de la Gironde en une seule journée. Après les monuments du Verdon, les arbres de Saint-Avit- Saint-Nazaire et les maisons closes de Captieux, qu’allait donc nous réserver le point le plus à l’ouest du département ?

Un récit Tim Pike (Invisible Bordeaux) traduit par Jean-Yves pour Bordeaux 2066 : 

Il est désormais 18h30, et le compteur affiche 485 kilomètres de route alors que nous nous garons à l’ombre des pins de la plage de la Salie Sud, située peu ou prou à mi-chemin entre Arcachon et Biscarrosse. Nous partons à l’abordage du sentier sablonneux qui traverse les dunes vers la mer, prenant ainsi de la hauteur, ce qui nous vaut notre premier aperçu de l’emblématique wharf, un édifice pour le moins controversé.

Cet ouvrage de fer bleu clair s’étend sur 800 mètres de longueur. Sa fonction première est de soutenir un pipeline qui rejette environ 60 000 m 3 de déchets humains et industriels traités dans l’océan chaque jour – rien que ça ! Pourtant, le wharf tel qu’il existe aujourd’hui était à bien des égards un plan B…

Le projet initial consistait à faire transiter les déchets par un wharf de taille moindre, qui aurait été relié à un tuyau installé au fond de la mer, les contenus étant ainsi déversés à 4 kilomètres du littoral. Après plusieurs mois de travaux au début des années 1970, la compagnie néerlandaise chargée du projet dut faire face à des conditions océaniques et climatiques très délicates, et le tuyau en cours d’installation fut irréversiblement détruit après un orage.

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Suite à cet épisode, les Néerlandais furent démis du projet, et la compagnie sombra à son tour. Pendant quelque temps, les déchets (acheminés vers La Salie depuis 1971 par un réseau de tuyaux dessinant une boucle autour de tout le bassin d’Arcachon) ont été évacués dans l’océan à seulement quelques mètres de la plage. Les conséquences visuelles et olfactives étaient nous dit-on insupportables : l’odeur d’excréments humains qui régnait dans les parages s’ajoutait à celle des déchets produits par l’usine de papier de Facture, à l’époque rejetés directement dans les eaux du Bassin d’Arcachon. Entre temps, les collectivités locales ont opté pour la construction de cette solution de compromis de 800 mètres, achevée en 1974.

Quid de l’aspect sécurité ? En théorie, lorsque les déchets arrivent au wharf de La Salie, ils ont été traités dans une des trois usines de la région (Biganos, La Teste ou Cazaux). Cela n’empêche pas des controverses sans fin concernant les effets des rejets dans l’océan, pas vraiment calmées par des décrets locaux interdisant des activités telles que la pêche, la baignade, et la récolte de coquillages autour du wharf. Bien évidemment, l’accès au wharf proprement dit est strictement interdit : vous aurez sans doute deviné ce que nous en avons conclu !

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Panneau d’information et de dissuasion

Quelques instants plus tard, nous arpentons donc le monstre de métal sur toute la longueur, effectuant ainsi une petite partie du chemin vers l’autre côté de l’océan : selon mon atlas, la Nouvelle Ecosse et Boston sont les destinations les plus proches… Nous sommes loin d’être seuls à braver l’interdit : d’autres promeneurs jouissent avec nous de la vue panoramique sur l’océan, des photographes à l’affût d’un coucher de soleil prometteur ou encore quelques pêcheurs à la ligne. Si certains d’entre eux sont de toute évidence là pour passer du bon temps, nous n’avons pas pu nous empêcher de soupçonner que d’autres sont présents pour des raisons professionnelles. Que deviennent les poissons qu’ils pêchent ?

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Avec le soleil dans les yeux, le visage battu par le vent et nos peaux constellées de sel marin, on oublie facilement le flot ininterrompu d’urine et de selles projeté dans la mer à quelques mètres sous nos pieds. Peut-être est-ce pour le mieux ?

Arrivés à l’extrémité du wharf, nous nous félicitons du succès de notre entreprise, ayant conquis en un seul jour la Gironde extrême, du nord à l’est et du sud à l’ouest. Il ne nous reste plus qu’à revenir au point de départ, à Saint-Aubin- de-Médoc, après une belle journée de 570 kilomètres girondins.

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L’extrême ouest de notre beau Département déverse du pipi et du caca dans l’océan

 

  • La version originale de ce récit est à retrouver ici !
  • Récit de Tim Pike, traduction par Jean-Yves Bart

 

Retrouvez ici la vidéo de notre road-trip aux quatre coins de la Gironde :

Rue du Mulet

Saint-Pierre, ou le symbole du Bordeaux touristique et hype. Une façade de quais de grande classe, la carte postale par excellence, derrière laquelle se niche un petit trésor de quartier médiéval où il fait bon flâner, aller dans un des innombrables restaurants, et humer l’air d’un Bordeaux portuaire devenu touristique, et à l’évidence bobo, si tant est que ce terme veuille dire quelque chose.

Miroir d’eau, place de la Bourse, place du Parlement, Porte Cailhau… les joyaux du patrimoine local s’y déclinent sur quelques centaines de mètres à peine, rendant totalement inconcevable le fait d’éviter Saint-Pierre lorsque l’on fait visiter la ville à un touriste.

Mais vous commencez à nous connaître, nous ne sommes pas un blog de tourisme, et la dure loi de la statistique fait que nous avons quelque peu négligé Saint-Pierre, qui n’a accueilli qu’une seule de nos 54 précédentes visites, périmètre géographique réduit oblige.

Aujourd’hui Excel répare cette offense et nous envoie enfin découvrir le Bordeaux que l’on connaît déjà par coeur, celui du pub que l’on fréquente entre amis, du cinéma où on essaye de changer le monde et de la promenade du dimanche.

En arrivant devant la rue du Mulet, Vinjo et Pim réalisent néanmoins que si la rue du Pas-Saint-Georges perpendiculaire a été arpentée des dizaines de fois à toute heure du jour et de la nuit, cette venelle étroite leur était jusqu’alors restée inconnue.

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Perspective globale de la rue du Mulet

Un long panneau explicatif donne l’étymologie du lieu, pas de légende cocasse comme celle de la rue de la vache, et donc pas d’anecdote asine à vous compter, mais une bête erreur de sémantique puisqu’il s’agirait plutôt de la rue DE Mulet.

Arnaud de Mulet siégeait en effet au Parlement de Bordeaux à la fin du 16ème siècle, et ce Monsieur n’était pas n’importe qui puisqu’il était notamment Sieur de Préjeau (on n’a pas le moindre idée de ce que ça veut dire mais c’est sûrement super cool) et seigneur de la Tour-Saint-Maubert, devenu plus tard le fameux Château Latour dans le Médoc dont vous pouvez lire l’histoire ici, voire même vous offrir une petite bouteille si vous n’êtes du genre à avoir des problèmes de fins de mois.

Après, à quoi bon être un seigneur si c’est pour que quatre siècles plus tard les passants prennent votre rue pour un hommage à un cousin de l’âne ? La viographie est parfois taquine.

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Quelqu’un aurait 11 000 balles à nous prêter pour qu’on s’achète une caisse de Château Latour 2009 ?

Laissons De Mulet et revenons à nos moutons. Notre visite démarre à l’angle de la rue du Pas Saint-Georges, avec à notre gauche un glacier et à notre droite un restaurant italien, Osteria da Luigi, que l’on peut franchement vous conseiller après l’avoir testé (et visiblement les internautes sont du même avis que nous).

En arpentant la rue, on remarque pêle-mêle quelques immeubles en pierre divisés en appartements, un cabinet « d’ingénieur-conseil en conduite du changement », une maison d’hôtes puis un immeuble visiblement de standing, pour lequel une plaque indique qu’il date de 2006. La rue du mulet s’achève sur une petite place sur laquelle un chien court après une baballe sous l’œil d’adolescents en plein âge bête (c’est un constat, pas un jugement), avec en décor d’arrière-plan l’aire de livraison de la FNAC. La grouillante rue Sainte-Catherine n’est en effet qu’à 100 mètres de là, mais la rue du mulet contraste par son calme et sa faible fréquentation : aucune raison évidente d’emprunter cet axe biscornu qui n’offre aucune perspective sur le quartier.

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Mon coeur te dit je t’aiiiimeuuuuh

Alors ça c’était le trottoir de droite, mais sur le trottoir de gauche impossible de rater cet immense bâtiment flanqué d’un jardin, ce qui n’est pas si courant dans le quartier.

Nous poussons la porte du centre d’animation de Saint-Pierre pour en savoir plus. Quelques dessins d’enfants, une bibliothèque, un atelier de conversation en langue des signes. Au fond de la grande pièce du rez-de-chaussée, un bar « Le Zinc Pierre », chose qui ne laisse pas insensible les auteurs de Bordeaux 2066 qui ont fondé leur ligne éditoriale sur, outre le hasard, le houblon. Nassim interrompt sa partie d’échecs pour nous servir deux bières fraîches, puis très vite pour nous raconter l’histoire et le présent du centre d’animation où il exerce. Comme lors d’une promenade à la Benauge, nous sommes en présence d’un centre créé par l’ACAQB, association fondée sous Chaban, qui anime 11 centres dans Bordeaux dans le but de favoriser l’insertion, la citoyenneté et le partage. C’est ainsi qu’au 4 rue du mulet à Saint-Pierre, on peut assister à des concerts, participer à des projets de solidarité internationale, apprendre le coréen, ou tout simplement passer un moment à jouer aux échecs comme le faisaient Nassim et deux jeunes du quartier avant que nous les interrompions.

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Au centre d’animation de Saint-Pierre

Nassim nous raconte que le terrain était probablement il y a bien longtemps un cimetière, accolé à l’église Saint-Siméon (i.e. l’Utopia), avant d’appartenir à Arnaud de Mulet, dont il cherche toujours un portrait (si un de nos lecteurs a ça sous la main…). Il y a ensuite eu un terrain de jeu de paume, puis jusqu’en 1990 une école primaire avant de laisser place au centre d’animation du quartier.

Nassim a la quarantaine, et c’est un pur produit du quartier dont il nous raconte avec passion l’histoire cosmopolite et populaire, bien loin de l’image bobo qui lui colle aujourd’hui à la peau. L’enfance de Nassim à Saint-Pierre s’est déroulée dans un quartier un peu louche, avec ses dealers et sa vie souterraine, et à l’époque dire que l’on venait de Saint-Pierre générait une certaine suspicion chez son interlocuteur. C’était un quartier cosmopolite, où beaucoup de gens venaient d’Algérie comme les parents de Nassim, ou sinon de la péninsule ibérique. Un quartier craignos donc ? Non, bien au contraire, puisque tout le monde se connaissait, que les commerçants faisaient crédit, et que pour passer voir quelqu’un il suffisait d’ouvrir sa porte, l’interphone n’ayant pas encore conquis les entrées d’immeubles.

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Nassim lutte contre l’échec à Saint-Pierre

Les années 80 ont marqué un changement d’époque, avec une rénovation brutale ayant conduit la majorité des habitants historiques à migrer vers la périphérie.

Difficile d’imaginer ce passé populaire somme toute très récent lorsque l’on est attablé à un restaurant cosy du quartier entre des tablées de touristes, mais en compagnie de Nassim on arriverait presque à s’y croire.

Pour vous donner une idée, voici un extrait d’un JT de novembre 1980, où l’on évoque des loyers à 100 francs (soit 15 euros hein) et un questionnement sur la transformation de Saint-Pierre en « petit Marais » pour lequel on vous laisse libres de vos conclusions :

Petit Marais ou pas, ce qui reste certain c’est que De Mulet et sa rue nous font reprendre la plume sur ce blog un peu stérile depuis quelques temps. Promis on ne vous relaissera pas six mois sans ballades et sans bières !

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Au Zinc Pierre

Rue Jules Steeg

L’équipe de Bordeaux 2066 n’avait pas procédé à une visite de rue bordelaise depuis plusieurs mois. Mais nous avons des alibis : lors d’une rencontre avec un homme d’affaires libanais, Pim a décidé de reprendre la direction d’une mine de diamants en République Démocratique (sic) du Congo. Vinjo, lui, décida de mettre à profit ses légendaires talents d’athlète en entreprenant une traversée de l’Atlantique à la nage, ralliant Le Porge à Boston en 73 jours seulement. Problèmes relationnels avec un chef de tribu Kakongo pour l’un et légère tendinite au bras droit pour l’autre mirent fin à leurs aventures respectives, et nos héros décidèrent de revenir à leur existence tranquille de la classe moyenne bordelaise, espérant se faire pardonner cette absence momentanée par leurs fidèles lecteurs.

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Lorsqu’Excel donna la destination de cette 54ème visite, Vinjo se remémora un moment moins glorieux de son existence. Lors de l’époque bénie du stationnement gratuit, en l’an de grâce 2014, il n’était pas peu fier d’avoir réussi là où tant de ses congénères avaient échoué : trouver une place de stationnement à moins de quatre heures de marche de sa destination.
De retour pour enfourcher sa féline sochalienne vers d’autres destinations, il avait constaté avec désarroi qu’un invité indésirable s’était incrusté sur son pare-brise : un sandwich oriental enduit d’une sauce évoquant les guerriers japonais gisait sur l’automobile, et les frites qui l’accompagnaient s’étaient étalées sur une bonne partie du bolide. Après avoir imaginé une déclaration de guerre de l’empire ottoman, il fallut se rendre à l’évidence : s’être garé sous cet échafaudage à l’heure de la pause déjeuner n’avait pas été un pari gagnant. La rue Jules Steeg pour nous c’était donc ça : de longues minutes à enlever des frites froides du capot, et un détour par la blanchisserie pour automobiles du Quai de Brienne.

Attentat au kebab - Mars 2014

Attentat au kebab – Mars 2014

Ce pénible épisode avait été oublié, et nous partîmes sous un soleil quasi-printanier visiter la rue Jules Steeg, du nom d’un ancien pasteur protestant de Libourne qui fut député de la Gironde et père de l’école républicaine avec Jules Ferry.

Ceux qui s’aventurent encore en voiture dans Bordeaux connaissent probablement notre rue : elle est le prolongement de la rue Lafontaine et son radar fou, l’ensemble permettant d’aller relativement rapidement du Cours de l’Argonne vers la gare. Un radar « pédagogique » conclut la rue Jules Steeg lorsqu’elle arrive vers la Place Dormoy et le Cours Barbey, radar soit dit en passant très mal placé puisqu’en ce point précis circuler à plus de 40 km/h ne relève plus de l’imprudence mais de la bêtise pure et simple.

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Sur place, nous découvrons un paysage urbain des plus classiques dans le quartier : une pharmacie, des échoppes, quelques demeures un peu plus bourgeoises, et des habitations plus ou moins salubres.

Deux éléments retiennent néanmoins notre attention : une boîte de nuit fait l’angle avec la rue de Bègles. Son extérieur est passablement vétuste, et les souvenirs de retours à vélo à une heure un peu tardive dans le secteur nous laissent un peu dubitatifs sur la description faite par le site internet : « À Bordeaux, loin de la cohue des Quais de Paludate, proche des Bars la Victoire, la DISCOTHEQUE OXYGEN située, 66 Rue de Bégles, à proximité des Capucins, vous propose une musique intemporelle et pour tous les goûts, Funk, Rock, House club, Latino, Disco, des années 80 à nos jours, un accueil super sympa, une déco classe et confortable, une boite avec les plus belles filles et les plus beaux mecs de Bordeaux. »
Nous n’avons malheureusement pas eu le loisir de vérifier cela sur place, l’endroit étant situé dans le fameux périmètre de « tranquillisation » de la vie nocturne. Ceux que le sujet intéresse pourront lire ceci, et éventuellement faire un tour chez nos voisins espagnols pour constater que oui, vie nocturne et vie urbaine doivent coexister et qu’on ne soigne pas un panaris en amputant une jambe.

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Le côté de là où l'on trouve "les plus belles filles et plus beaux mecs de Bordeaux"

Le côté de là où l’on trouve « les plus belles filles et plus beaux mecs de Bordeaux »

Cette parenthèse refermée, cap vers le second élément de la rue Jules Steeg ayant retenu notre attention : une gigantesque halle faite de pierre et de bois, sur laquelle figure une simple plaque « Bernard Dugas – atelier de charpente ». Il fallut attendre un second passage pour trouver la porte ouverte, et entreprendre une visite guidée avec le volubile Bernard.

La halle vue de l'extérieur

La halle vue de l’extérieur

Les fanatiques d’ordre et de propreté ne trouveront guère leur compte. L’endroit, absolument immense, est en revanche une mine pour les amateurs de bric à brac poétique : vieux mats de bateaux, vieilles affiches de sécurité au travail, vieilles machines pour découper le bois, un camion… on ne sait plus où donner du regard dans cette faille spatio-temporelle que nous offre la visite.
Le clou du spectacle, c’est Bernard qui nous le montre : plusieurs puits allant jusqu’à 11 mètres de profondeur, recouverts par des plaques en métal. Au 19ème siècle, avant que l’urbanisation ne gagne le quartier, il était en effet recouvert de vignes, qu’il convenait à l’époque d’irriguer pour lutter contre le phylloxéra.

Intérieur de la halle

Intérieur de la halle

Un des puits de 11 mètres

Un des puits de 11 mètres

Bernard nous raconte que le lieu où il travaille encore le bois date du 19ème siècle, mais il n’a plus l’année exacte en tête. Ce dont il est sur, c’est que le bâtiment a toujours été occupé par des charpentiers. Google nous livrera plus de précisions : le bâtiment a été érigé en 1867 par Jean Limouzin, sûrement un cousin de Marcel Poitou-Sharentes, et ancien « Compagnon passant ». Un compagnon, tiens tiens. L’occasion de se replonger dans une de nos anciennes promenades, à peine un pâté de maisons plus loin, dans la rue Malbec qui abrite leur musée : la boucle est bouclée !
Les fans de compagnonnage et d’artisanat peuvent lire l’histoire complète des Limouzin ici, et saluer le choix d’aller s’installer dans la magnifique ville de Gradignan où a grandi la moitié de l’équipe de Bordeaux 2066 (choix rédactionnel de Vinjo) / s’interroger sur le choix de s’installer à Gradignan, un endroit fort déplaisant et surcoté (choix rédactionnel de Pim).
Les sceptiques sur la pérennité d’une telle activité artisanale encombrante en plein Bordeaux se rassureront avec les propos de Bernard, qui part à la retraite mais cède l’affaire à son fils ! Les charpentiers auront donc toujours leur propre toit rue Jules Steeg !

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Rassurés sur le fait de ne pas voir une énième résidence remplacer dans un futur proche un bâtiment historique, nous partons fêter cela en buvant une petite bière à la Casa Soto, située certes rue Lafontaine mais dont la terrasse bénéficie d’une belle vue sur la rue Jues Steeg. La première bonne surprise, c’est que Daniel, le patron, est très sympa. C’est en effet spontanément qu’il nous offre une seconde SuperBock, sans que nous ayons décliné notre identité de blogueur ni nos intentions. Merci Monsieur Soto ! Une fois les présentations faites, notre patron galicien installé à Bordeaux depuis plusieurs décennies nous décrit un quartier à la mauvaise réputation infondée et à l’ambiance conviviale et sympathique. Alors oui il y a eu des bars sans licence, oui il y a des nuisances multiples, mais après tout quel quartier n’en connaît pas.

Clairement la bière la plus bue du blog

Clairement la bière la plus bue du blog

La deuxième bonne surprise viendra quelques jours plus tard, lorsque nous testons la cuisine de la Casa Soto : c’est très bon ! Avis à ceux qui voudraient tenter : avec ou sans café, avec ou sans dessert, avec ou sans vin, c’est 15 balles quoiqu’il arrive, c’est plus simple pour la compta !

On y vient pour manger, on y vient pour boire, mais on peut aussi y venir tâter une certaine ambiance : celle du Bordeaux ibérique et populaire propre au barrio, selon le terme qui définissait un temps le secteur.

A la Casa Soto

A la Casa Soto

De la SuperBock, du vin charpenté et du lomo grillé : cette investeegation nous aura rassasié et convaincu que l’aventure est toujours au coin de la rue !

Place Puy Paulin

En pleins préparatifs de Noël, plutôt que de courir les magasins, l’équipe de Bordeaux 2066 décide de profiter d’une dernière découverte pour 2015. Excel nous offre un tour en plein centre ville : pas de Caudéran, de rive droite ou de Bacalan à l’horizon… en nous envoyant place Puy Paulin le logiciel nous installe dans la folie commerçante du centre ville, à deux pas de la rue Sainte Catherine et de l’étrange Impasse du Chapelet visitée juste avant.

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Paulin donc, ou plutôt Saint Paulin de Nole, est un homme de bonne famille qui serait né à cette adresse en 353. Ami d’Ausone, homme politique puis prêtre, il est fêté par le calendrier chaque 21 juin. Une date qui pour nombre d’entre nous sonne plutôt comme celle de la Fête de la Musique, ce qui tombe assez bien, puisque Paulin est considéré comme l’inventeur des cloches.

Si Paulin est né en ce lieu et a associé à son nom un Puy, c’est car il s’agit d’un des points culminants de la ville antique (avec une altitude vertigineuse de 12 mètres au-dessus de la mer, on ne se sent pas encore sur un sommet cantalien), tout proche des remparts de l’antique Burdigala, et où les riches familles romaines avaient élu domicile. Ceux qui iront se promener dans le secteur ne manqueront pas de remarquer des pavés de couleur différente dans la rue Guillaume Brochon, qui symbolisent le tracé de l’ancien rempart.

Une église fut ensuite construite sur le nord de la place, plus ou moins à l’emplacement actuel des Galeries Lafayette, le reste de la place accueillant le cimetière attenant. Mais Notre Dame de Puy Paulin subit au courant d’une XVIIIème siècle une profonde transformation pour devenir un hôtel particulier logeant les intendants de Guyenne, hôtel ayant lui même été détruit lors de la Révolution française.

Révolution ou pas, une fois sur place, on se sent plutôt en compagnie de la noblesse que du tiers état… Lovée entre trois artères commerçantes (Porte-Dijeaux, Intendance, Sainte-Catherine), la place accueille beaucoup moins de passage que les rues voisines, mais on relève une ambiance et un style plus Galeries Lafayette que Tati.

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Réaménagée il y a peu, Puy Paulin (parfois surnommée « Pipolin » par quelques anciens) accueille quelques commerces : la Droguerie en tête de gondole, un magasin de jouets, un magasin de meubles et quelques magasins de vêtements. Les commerçants que l’on rencontre nous expliquent que la place est un écrin assez tranquille au milieu des rues commerçantes voisines, un endroit où l’on vient pour trouver un peu de calme, un peu d’oxygène après un samedi après-midi rue Sainte-Catherine.

Au détour de notre exploration, nous entrons dans l’Hôtel de Restan, grand immeuble du 18ème siècle qui occupe tout le pan sud de la place. Le rez-de-chaussée abrite le magasin Grange, qui vend des meubles coûtant parfois plusieurs SMIC. Le responsable nous y accueille, il nous dresse rapidement l’histoire du bâtiment et du quartier, et nous invite surtout à prendre contact avec Monsieur Bombezin, ancien gérant du magasin (alors appelé Maison Dugard) et mémoire du quartier. Voilà le genre de clients dont nous sommes friands … ni une ni deux, nous partons à la rencontre des Bombezin.

Souvenir de Dugard à l'entrée de Grange

Souvenir de Dugard à l’entrée de Grange

Raymond, ancien gérant du magasin Dugard qui a précédé Grange, nous raconte les belles heures de sa carrière, quand ces dames fortunées arrivaient avec leur chauffeur pour dépenser leur argent pour son plus grand bonheur, ou encore quand la maison a eu le privilège de meubler Jacques Chaban-Delmas à son arrivée à Bordeaux.
Plus anciens encore sont les souvenirs de son épouse Denise, née il y a maintenant plus de 80 ans place Puy Paulin, au premier étage de l’Hôtel de Restan. Ses parents étaient arrivés de Paris pour prendre la tête de ce qui était dans l’entre-deux-guerres un grand magasin de tissus. La maman de Denise, à qui l’on avait promis une place chic dans Bordeaux a été un peu désarçonnée en arrivant là de trouver surtout un ballet de manutentionnaires, Puy Paulin étant l’arrière des Dames de France, devenues plus tard Galeries Lafayette. Mais qu’à cela ne tienne, les affaires ont prospéré, et de fil en aiguille c’est tout un pool économique autour du tissu qui s’était développé sur la place.

Après avoir passé une heure chez Monsieur et Madame Bombezin pour parler de la place Puy Paulin, Bordeaux 2066 a eu la bonne surprise de recevoir au courrier une lettre de Denise contenant des précisions. Le paragraphe qui suit n’a donc pas été écrit par vos serviteurs, mais par notre retraitée native de la place :

Le cadeau de Noël de Bordeaux 2066

Le cadeau de Noël de Bordeaux 2066

« Au 1er étage de l’immeuble était installé un magasin de fournitures de mode qui approvisionnait les modistes de Bordeaux et des environs. Les femmes à cette époque, c’est-à-dire jusqu’en 1960 environ, portaient des chapeaux. Et ensuite il est devenu le grand fabriquant de coiffures et chapeaux de la tournée Tichadel et également du Grand Théâtre. De ce fait toutes les artistes-danseuses-chanteuses venaient faire les essayages place Puy Paulin. Au coin de la rue Guillaume Brochon se trouvait Tissam qui était un concurrent de la Maison Dugard mais avec une clientèle différente. Tissam était connu par la publicité qu’il faisait que les écrans de cinéma « Encore un tissu Tissam », les vieux Bordelais s’en souviendront. De l’autre côté de la place il y avait une brodeuse et remailleuse de bas, cela semble incroyable pourtant cela se faisait beaucoup avant de connaître les bas nylon. Egalement en face de l’immeuble un marchand de partitions de musique, connu de tous les musiciens et chanteurs, une institution à Bordeaux ».

Denise, née place Puy Paulin

Denise, née place Puy Paulin

Aujourd’hui ces commerces de niches ont disparu, comme le rappelle l’enseigne de la Maison du Rasoir, laissée à l’abandon depuis plusieurs années.

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Le portrait historique de cette place Puy Paulin serait incomplet sans une description de l’Aiglon, haut lieu de la fête à Bordeaux jusque dans les années 70. Denise nous a décrit un lieu qui dans les années 50 était plutôt bourgeois, et où les jeunes filles venaient danser le dimanche après-midi sous le regard protecteur de leurs mères. Pas grand chose à voir avec Paludate donc, puisque d’après Denise il n’y avait ni drague ni alcool, et donc pas de bagarre sur fond de vomi sur les coups des 4 heures du mat’ en a déduit Bordeaux 2066.
Les membres du très actif groupe Facebook « Bordeaux je me souviens », en moyenne plus jeunes que Denise et Raymond, nous ont dressé un portrait un peu différent du lieu. D’après Rosine, qui a notamment fréquenté le lieu pour la Fête du Tet, c’est-à-dire le nouvel an vietnamien organisé par la communauté de Bordeaux, dans les années 60 le lieu n’était « pas bourgeois, bien au contraire », et on y croisait « des garçons au front bien bas style Guy Bedos et Sophie Daumier ». Mireille quant à elle se remémore « les jeunes filles assises autour de la piste et c’était le ballet incessant des jeunes gens qui de temps en temps essuyaient un refus ; souvent, avec l’arrivée d’un bateau, on voyait une nuée de pompons rouges pendant le slow ». Et Bernard, membre d’un ancien orchestre, de lui répondre : « C’était ça: la série de slows on la suivait depuis la scène et on rigolait de voir les mecs se prendre des vestes hi hi hi ».
D’après le panneau de chantier collé à la façade, le bâtiment de l’Aiglon va accueillir prochainement une nouvelle enseigne de vêtements. On pourra donc de nouveau se prendre des vestes place Puy Paulin, une fois de plus l’histoire bégaye…

Orchestre Chris Blanchard, 1972. Merci à Bernard pour la photo.

Orchestre Chris Blanchard, 1972. Merci à Bernard pour la photo.

A leur manière, le textile et les meubles ont réussi le passage vers le 21ème siècle sur la place Puy Paulin, en s’adaptant aux exigences d’une ville devenue piétonne et moderne. Mais le plus immuable dans tout ça, c’est quand même le fait de boire un coup. La brasserie « Le Puy Paulin » désaltère travailleurs et passants depuis plus d’un siècle, en ayant conservé une partie de son décor historique.

A la fin de l’apéritif, Bordeaux 2066 se sent le front bien bas et irait volontiers danser dans l’Aiglon envolé. Mais voilà aujourd’hui, pour se prendre des vestes et se faire rhabiller pour l’hiver, il faut sortir du centre ville. Le voici le vrai drame de la modernité urbaine, au sommet du vieux Bordeaux.

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Impasse du Chapelet

Etrange tirage au sort que ce 52ème de nos visites de rues bordelaises.

Il faut dire que la veille au soir, l’équipe de Bordeaux 2066 se livrait à une activité d’une grande originalité : boire des bières dans un bar de la Victoire. Oui mais voilà, la veille au soir, c’était le vendredi 13 novembre, et au fur et à mesure que nos bières se vidaient, nos écrans de smartphone se remplissaient de nouvelles sordides en provenance de la capitale. On ne va pas vous la jouer « Génération Batacalan » et tout le tintouin, mais il faut bien avouer qu’après avoir passé quelques heures à suivre les directs des chaînes d’infos en continu, notre état d’esprit allait plus vers un week-end en position du fœtus sur nos canapés que vers la visite d’une rue de notre ville encore hébétée.

Puis est venu le temps de se ressaisir. « Occupy terrasse, not afraid » scandait Internet, comme si le fait de parler Anglais donnait de la prestance géopolitique à un acte somme toute à la portée de tous. Soulagée par le fait que l’ordre de mobilisation générale contre l’ennemi consiste en une binouze collective, l’équipe de Bordeaux 2066 a donc éteint sa télévision et s’est rendue à l’évidence : comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous luttions contre le terrorisme depuis de longues années déjà.

On s’y voyait déjà : pourquoi pas une rue cosmopolite du Bordeaux populaire ? Une rue qui raconte l’histoire portuaire de notre ville, une rue où une vieille bordeluche nous dirait que « après tout ces messieurs les immigrés d’en face sont bien charmants », et l’on terminerait dans un café portugais où Jorge, bras dessus bras dessous avec Jean-Claude et Abdelkader célèbreraient leur amitié de 30 ans à grands renforts de Super Bock. Avec un tel tableau, Bordeaux 2066 partirait dans un éloge appuyé de notre société pas si malade que ça, et quand les types de Daesh liraient ça sur le net, ça allait drôlement leur saper le moral.

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En rouge : l'impasse (qui n'en est pas une) du chapelet

En rouge : l’impasse (qui n’en est pas une) du chapelet

Mais visiblement Excel n’était pas d’humeur à nous laisser jouer aux éditorialistes béats, et nous a donc mené impasse du Chapelet, en plein cœur du Triangle, terme qui à Bordeaux n’évoque pas que de la géométrie euclidienne, mais surtout, dans le désordre : fric / hôtels particuliers/ Mini Cooper / manteaux de fourrure / mèche / boutiques de luxe, etc.

Un repérage Google nous montre que l’impasse du chapelet est une étroite venelle qui contourne l’église Notre-Dame, pour rejoindre le marché des Grands Hommes.
En arrivant devant la susnommée église, l’équipe de Bordeaux 2066 cherche tout de suite du regard l’entrée de l’impasse du chapelet, notre préoccupation du jour, mais là enfer, horreur et damnation :

Fermé !

Fermé !

Côté Grands Hommes : idem !

Côté Grands Hommes : idem !

Aperçu

Aperçu

Alors celle là on ne nous l’avait encore jamais faite. Une rue a priori publique, puisque figurant dans notre base de données, mais fermée par une p***** de grille. Côté marché des grands hommes : pareil ! On rêvait de rencontres, d’anecdotes, de morceaux d’histoire, mais voilà que l’on contemple une grille rouillée, en cherchant vainement une façon de contourner l’obstacle.

Mais ils ne gagneront pas si facilement, et ô aubaine : devant la porte fermée de l’impasse du chapelet se tient… une terrasse ! Normalement l’équipe de Bordeaux 2066 ne s’autorise un réconfort houblonné qu’après une longue et documentée visite, mais là il en va de la survie de l’occident, aussi avons-nous fait une petite exception.
A 4,90€ la Heineken bouteille, le moins que l’on puisse dire, c’est que ça coûte cher de résister au beau milieu du Triangle.

Tremble, Daesh !

Sur cette table se trouvent 9,80€

Bordeaux 2066 profite de sa lutte anti-terroriste pour glaner quelques informations sur le mystérieux passage, et apprend que le curé de l’église Notre-Dame qui nous fait face possède LA clé.

Ce qu’on a oublié de dire, obnubilés que nous étions par notre grille, c’est qu’elle est jolie cette église Notre-Dame. L’écrivain corrézien Denis Tillinac lui a même fait une jolie déclaration : « J’ai découvert récemment, en flânant sur les allées de Tourny, un visage blond, ensoleillé, au sourire enjôleur : la façade restaurée de l’église Notre-Dame. Enfin l’Italie ».

Le Père Jean Rouet, qui nous reçoit gentiment dans son presbytère de la rue Mably quelques jours plus tard, nous retrace l’histoire de la paroisse dans laquelle il opère depuis 16 ans. Notre-Dame est une église de style baroque, denrée rare à Bordeaux puisqu’elle est semble-t-il la seule avec Saint-Bruno.
Si on peut attester d’une occupation du terrain depuis le 13ème siècle, la forme actuelle du bâti date de la fin du 17ème : les Dominicains ont alors érigé un ensemble composé d’une église et d’un couvent, qui n’est autre que la Cour Mably qui abrite aujourd’hui la Cour des Comptes. C’est à cette période qu’apparaît sur le plan de Bordeaux la Place du Chapelet. Mais quid de l’impasse ? Aucune trace historique à ce sujet, même si notre hypothèse serait qu’elle servait simplement d’évacuation sanitaire aux bâtiments du Cours de l’Intendance arrivés un peu plus tard… Nous sommes preneurs de tout élément complémentaire ou contradictoire si un lecteur a ça sous la main !
Le nom de « chapelet » vient quant à lui d’un bas-relief de l’église, qui représente Jésus remettant un chapelet à Saint-Dominique, tout simplement.

Fable moderne : le 4x4 et le chapelet

Fable moderne : le 4×4 et le chapelet

L’histoire de l’église (bien plus complète sur ce lien) et du couvent suit son cours jusqu’à la Révolution, synonyme de confiscation des biens par l’Etat. Pas une mauvaise affaire, constate avec le recul le Père Rouet, bien content de ne pas payer de sa poche les travaux d’entretien de tous ces bâtiments.
En 1802, le culte est rétabli, et Notre-Dame (qui acquiert alors seulement son nom actuel) devient même provisoirement Cathédrale de Bordeaux, en attendant que Saint-André soit remise en état.

Dans l’époque moderne, l’histoire de Notre-Dame reste marquée par l’effondrement de la voute de l’église, en 1971. Sans faire de victimes, « preuve qu’il existe un bon Dieu » nous dit Jean Rouet dans un éclat de rire. L’équipe de Bordeaux 2066 n’a pas encore pris le temps de vérifier cette information. Là encore ce fut un mal pour un bien, puisque le directeur de cabinet de Malraux, un amoureux de Bordeaux, ordonna la restauration complète de l’église, pour aboutir au résultat que l’on connaît.

La voute restaurée de l'église Notre-Dame

La voute restaurée de l’église Notre-Dame

Aujourd’hui la paroisse se porte bien, et attire des fidèles de toute l’agglomération bordelaise, dépassant largement le statut d’église de quartier. Le Père Rouet fait même salle comble le dimanche, avec environ 600 fidèles, attirés par la beauté du lieu peut-être. La beauté d’une église encourage-t-elle la foi ? Bordeaux 2066 songe à aller creuser la question du côté de l’église Saint-Delphin du Pont de la Maye, église la plus moche sur la métropole bordelaise recensée par nos soins à ce jour.

Notre -Dame vs Saint-Delphin

Notre -Dame vs Saint-Delphin

 La suite de la visite se déroulera en compagnie de Marie-Jo, bénévole à la paroisse, et heureuse détentrice de LA clé. Marie-Jo nous met tout de suite au parfum : l’impasse du Chapelet est une venelle « dégueulasse et odorante » et s’y aventurer de nuit sans lampe se fera sans elle.

Quelques minutes plus tard, il fait nuit noire dans l’impasse du chapelet. Une substance indéterminée coule le long des murs, et les pigeons frôlent nos têtes comme pour nous signifier que nous ne sommes pas les bienvenus. S’éclairer au flash d’appareil photo ne suffira pas à nous rassurer de nous trouver dans ce cloaque méconnu des beaux quartiers.

Lors de notre entrevue, Jean Rouet nous a confié que « les inquiétudes n’ont jamais fait avancer l’histoire ». Bordeaux 2066 a pensé très fort à cette sage parole, pour s’extraire de la nuit sombre de l’impasse du chapelet, autant que pour s’extraire des nuits sombres devant les chaînes d’info en continu.

Le marché des Grands Hommes semble bien loin

Le marché des Grands Hommes semble bien loin

Sombres heures de notre histoire

Sombres heures de notre histoire

Avenue Abadie

51 je t’aime, j’en boirais des tonneaux, à me rouler par terre, dans tous les caniveaux ! C’est avec cette petite musique en tête que nous partons ce samedi découvrir notre 51ème rue. Le tirage au sort décide lui de rester sobre, pas de rue d’Armagnac, de place Marie Brizard ou de rue Picon à l’horizon, c’est sur la rive droite que nous partons découvrir l’Avenue Abadie.

 

Abadie donc voilà notre rue

Abadie donc voilà notre rue

Touchés par la grâce, la première chose que l’on voit en arrivant sur place, c’est surtout l’église Sainte-Marie qui marque le début de notre avenue. Construite pendant la deuxième moitié du XIXème siècle, l’église a été conçue par … je vous le donne en mille … Paul Abadie. Disciple de Viollet-le-Duc et architecte diocésain, Abadie fut assez actif dans la région : restauration des cathédrales d’Angoulême et Périgueux, hôtel de Ville à Périgueux, restauration de Saint-Michel à Bordeaux, et celle aussi – plus controversée – de l’église Sainte-Croix.

Rive droite en tout cas, pas de débats sur la construction de Sainte-Marie de la Bastide qui fut érigée en lieu et place de l’église oubliée que nous avions découvert rue Henri Dunant, forte croissance démographique de la rive droite liée à l’industrialisation oblige. Sainte-Marie vient plutôt confirmer le style d’Abadie, que l’on retrouvera encore plus tard dans son projet le plus célèbre : la basilique de Montmartre.

 

Bordeaux - Périgueux - Montmartre : l'Abasie's touch

Bordeaux – Périgueux – Montmartre : l’Abadie’s touch

L’avenue pris le nom de l’architecte en 1886, deux ans après sa mort, et au moment où le préfet officialisa l’avènement de Sainte-Marie comme église « officielle » de la Bastide. Avant cela elle s’appelait beaucoup plus communément, avenue de la Gare. Oui, de la Gare, car pour nos lecteurs qui l’ignoreraient, à l’époque la Gare Saint-Jean n’avait pas le monopole des trains bordelais, et sur la rive droite se tenait la Gare d’Orléans, devenue il y a maintenant 15 ans le cinéma Mégarama.

Les conteneurs au bout de l'avenue en 2002 (Photo : Histoire de la Bastide)

Les conteneurs au bout de l’avenue en 2002 (Photo : Associations Histoire(s) de la Bastide)

Comme on le voit sur cet ancien plan, la gare et ses voies s’étendaient sur une bonne partie de la rive droite, et notre avenue était donc à l’époque un cul-de-sac, terminant sa route sur un portail marquant l’emprise de la Compagnie Nouvelle des Conteneurs, ancienne filiale fret de la SNCF. Au beau milieu de ce qui est l’actuelle Avenue Abadie, se tenait donc un site de transport combiné, en d’autres termes un endroit pour décharger des camions sur des trains, et vice-versa. Pour aller de l’autre côté, vers ce qui est aujourd’hui le site du jardin botanique, il fallait emprunter une passerelle piétonne un peu plus loin. Aujourd’hui encore plusieurs friches demeurent, plus ou moins abandonnées, ou utilisées comme parking.

Relique SNCF sur parking en voie de disparition

Relique SNCF sur parking en voie de disparition

Mais demain ces terrains seront occupés par de nouvelles constructions : logements, bureaux, commerces : avenue Abadie se termine le projet d’urbanisme de Niel, nouveau quartier de la rive droite dont on devrait voir les premiers projets sortir prochainement de terre.

En attendant les futurs projets, un bâtiment moderne se dresse déjà au milieu de l’avenue. Il s’agit du pôle universitaire d’économie et gestion construit en 2007, et là … chapeau. L’équipe de Bordeaux 2066 a souvent de fortes divergences de vue sur les projets architecturaux, mais sur celui-ci nous sommes pour une fois d’accord et admiratifs du bâtiment, léger, lumineux et fleuri, et l’on se dit que l’on aurait bien aimé étudié dans ce genre d’endroit nous qui avons usé nos culottes d’étudiants dans le ciel grisâtre de Lille, entre les briques, les frites et la bière.

Pôle universitaire vu de dehors

Pôle universitaire vu de dehors

Pôle universitaire vu de dedans

Pôle universitaire vu de dedans

D’étudiants nous n’en voyons pas beaucoup, notre visite ayant lieu un samedi. Mais en marchant sur leurs pas et sur ceux de leurs professeurs nous arrivons rapidement au Pique-Feu : bar-restaurant proche de l’église et surtout bonne adresse pour des repas de qualité à budget raisonné. On y discute avec Frédéric, le patron du lieu. Voilà dix ans qu’il a quitté le tumulte de la vie parisienne pour venir s’installer sur la rive droite bordelaise. Un pari, mais un pari réfléchi puisque ce choix il l’a fait en sentant le potentiel de ce quartier … les choses ont déjà beaucoup changé depuis son arrivée nous dit-il, et il attend les prochaines étapes et ces nouveaux quartiers qui devraient continuer à dynamiser la zone.

Si Frédéric n’est là que depuis quelques années, le Pique-Feu est lui bien ancré depuis fort longtemps, et on devine encore son ancien nom sur la façade : Restaurant Menneteau. De vieux habitants du quartier, occupés mains dans le dos et casquette sur la tête à refaire le monde sur le parvis de l’église, nous expliquent que le lieu était une halte fréquentée par les routiers qui venaient charger/décharger les conteneurs de la gare … connu aussi il y a quelques temps pour ses filles de joie, comme les nomment ces vaches de bourgeois. Plus récemment le Pique-Feu était aussi réputé pour ses aloses grillées sur un grill installé dans la rue : un régal semble-t-il ! Merci en tout cas à Brigitte de l’association Histoire(s) de La Bastide, dont les témoignages et les infos nous ont été une fois de plus fort utiles !

Incroyable : une Bluecub !

Nous voilà donc en terrasse, buvant notre traditionnelle bière de fin de visite, à observer le va-et-vient des passants de l’Avenue Abadie, bien différent du ballet des camions qu’offrait le 20ème siècle. Cinquante et unième rue de nos déambulations, l’avenue Abadie est aussi, dans l’ordre alphabétique, la première de toute les voieries bordelaises. De l’alpha à l’oméga, entre l’avenue Abadie et la rue Yves Glotin, il nous reste encore 2015 rues à explorer et 4030 bières à avaler !

Bières n° 102 et 103 du blog

Bières n° 102 et 103 du blog

Rue Emile Combes

En ces périodes troublées dans la géopolitique mondiale, et pour la visite de notre 50ème rue, Excel nous envoie explorer une frontière hautement sensible et stratégique. Après la rue du Grand Maurian il y a quelques mois, voici donc notre seconde incursion en terre saint-augustinoise, excroissance bordelaise piquée en son temps à l’imposant voisin mérignacais par la volonté du premier magistrat David Jonhston.

Et puisque le recyclage est une pratique encouragée pour la survie de notre planète, Bordeaux 2066 participe à l’effort global et ne résiste pas à l’envie de recycler le rébus alors partagé sur notre page Facebook pour faire deviner le nom du quartier visité :

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Direction la rue Emile Combes, qui a la particularité de marquer la frontière entre Mérignac et Bordeaux sur l’intégralité de sa longueur, à savoir tout de même 1,4 kilomètres, de la station de tram François Mitterrand jusqu’à l’entrée de la Rue Genesta dont les vieux de la vieille se souviendront avec émotion. 1,4 kilomètres, je vous le donne en mille, Emile, c’est quasiment un mile. Bon à 200 mètres près, mais cela en fait en tout cas la plus longue rue visitée par le blog à ce jour.

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Notre blog ne traitant que de Bordeaux, et le règlement intérieur (non écrit) étant trrrrrèèès strict, nous avons un temps envisagé de ne vous parler que de la partie bordelaise de la rue, à savoir le trottoir de droite lorsque l’on remonte vers le nord, mais finalement dans un geste d’apaisement envers nos lecteurs mérignacais nous consentirons à décrire également le trottoir d’en face, voire même pourquoi pas à sourire aux quelques passants qui s’y tiennent.

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Notre promenade commence près de la station de tram François Mitterrand, sur la grande avenue du même nom, où la rue Emile Combes se termine étrangement par deux potelets la transformant de facto en impasse.

A notre droite : Bordeaux, où se tient une grande demeure bourgeoise divisée en trois appartements. A notre gauche : Mérignac, où la Résidence Arabella bouche quelque peu l’horizon avec ses sept étages avouons-le pas follement enthousiasmants sur le plan architectural.

Bordeaux la bourgeoise, où l’on se pavane dans des salons dorés en contemplant par derrière les rideaux de soie les gueux mérignacais entassés dans leurs immeubles bon marché ? On vous arrête, la suite de la rue Emile Combes ne nous permettra pas de tirer ce genre de conclusion, et outre les panneaux et le code postal, rien ne ressemble plus à un trottoir de la rue Emile Combes que le trottoir d’en face de la rue Emile Combes.

Ce qui est assez singulier en revanche, c’est le tracé de cette rue, qui n’a de cesse de se contorsionner et de changer de direction à chaque croisement. On s’en doutait un peu en visitant : la rue marque bien une ancienne limite de domaine, qui n’était autre que celui du Grand Maurian, déjà évoqué plus haut.

Les plus férus d’histoire d’entre vous trouveront leur bonheur sur ce lien qui montre les plans du quartier en 1828, où l’on constate donc que la rue existait déjà. On relèvera néanmoins qu’à cette époque le sénateur et Président du Conseil Emile Combes n’était pas encore né, et que la rue portait le nom de « Chemin du Pont Cassé ». Et comme la vie est faite de frustrations, nous sommes incapables d’expliquer l’origine de cet ancien nom.

 

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Mérignac

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Bordeaux

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Mérignac

La rue Emile Combes égrène échoppes bordelaises (ou mérignacaises !), petits immeubles collectifs et anciennes propriétés bourgeoises, dans un décor très typique de nos quartiers périphériques, jusqu’à un changement d’ambiance à l’approche de l’église Saint-Augustin et donc du centre du quartier. La circulation automobile se montre plus dense, et la rue Emile Combes se fait commerçante puisqu’on y trouve pêle-mêle agence immobilière, caviste, crêperie, opticien, magasins de prêt-à-porter, enseigne où on vous promet de maigrir et une inévitable banque, « parce que le monde bouge » paraît-il.

Notre visite tardive ne nous permet pas de visiter toutes ces enseignes, mais on mentionnera néanmoins plus particulièrement « Cafés Dolce », lieu repris récemment par Sabine qui était depuis 12 ans « Café Mogy » (le lieu, pas Sabine). On peut y déguster plus de 100 variétés de thés et cafés, ou bien participer le samedi à un atelier de caféologie pour en savoir un peu plus sur ce breuvage à consommer avec modération.

Après cette pause café, la rue reprend son aspect tranquille, principalement composé de jolies échoppes fleuries. On croyait vous avoir débusqué une secte ou un club échangiste, mais finalement « Bordeaux Libre » est une simple maison d’hôtes décrite par son site internet comme étant « au cœur de Bordeaux », ce qui procède d’une plaisante vision de notre ville en l’an 2350.

Un peu plus loin sur la droite, se trouve le collège Emile Combes, collège bordelais donc où ne sont scolarisés que les enfants du trottoir de droite. Les ados mérignacais sont donc invités à faire un peu de sport et à se rendre au collège Bourran, à 2,5 kilomètres de là.

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Squatt mérignacais

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Collège bordelais

C'est ça ouais...

C’est ça ouais…

Pour faire un bon article, Bordeaux 2066 aime tomber sur de vrais spécimens bordeluches au langage cru, ravis de partager leurs truculents souvenirs. Peine perdue dans le policé et globalement bourgeois Saint-Augustin se dit-on, avant de tomber sur le club de pétanque du quartier, fréquenté par des papés du genre pas intimidés de nous voir débarquer.

D. ouvre la conversation, embrayant immédiatement sur ces « branques de Parisiens qui te rachètent une ruine à 400 000€ », puis coupé tout de suite par un de ses acolytes : « Mais bougre d’âne, fais attention : qui te dit que ces messieurs ne sont pas des Parisiengggs ? ».

D. est un immigré. Originaire des Capucins, c’est l’amour de « sa bourge » qui l’a porté vers Saint-Augustin, quartier agréable et commerçant certes, mais « où même les pauvres se regardent marcher ». S’en suivra le récit de réjouissantes tranches de vie de la belle époque où « à Bordeaux il y avait un bal tous les soirs, et il n’y avait pas besoin de se protéger pour sabrer une gonzesse », et où on pouvait aller sur les quais « à 11 dans la décapotable, même complètement défoncés ».

D. n’aime pas trop la façon dont évolue Bordeaux, principalement en raison des bars qui disparaissent, et là dessus on ne peut que l’appuyer. Quand il se promène dans le quartier, D. déplore de voir par la fenêtre des jeunes rivés à leur ordinateur, au lieu d’aller échanger avec les voisins. L’occasion d’en remettre une petite couche sur les Parisiens, ces gens « qui te regardent comme si tu sortais du zoo de Vincennes quand tu leur dis bonjour ».

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C’est vrai que les bars ont tendance à disparaître dans les quartiers périphériques et que la vie y est souvent anonyme, mais heureusement certains luttent contre ce phénomène et de nouvelles enseignes s’ouvrent. Rue Emile Combes, c’est Léo, enfant du quartier, qui s’y est collé. Il a repris il y a moins d’un an un ancien dépôt-vente de vêtements, et y a installé un resto-snack à bas prix mais néanmoins de qualité : la Cantine Gourmande. La bonne nouvelle, c’est que la mairie l’a autorisé à louer le petit square qui fait face au restaurant, et donc à y installer tables et jeu de fléchette, créant une sympathique ambiance de pique-nique entre copains.
Pour ceux qui sont inspirés, Léo propose de laisser sur un papier des idées de recettes de burger, et procède ensuite à un tirage au sort pour désigner « le burger du moment ».

Léo

Léo

Et pour tenter de recréer un de ces bals chers à D., Léo est actuellement en pourparlers pour avoir l’autorisation de diffuser un peu de musique live en début de soirée. Pas de quoi créer d’esclandres dans le paisible quartier de Saint-Augustin, ni de dérapages verbaux comme ceux, en 1905, du ministre Camille Pelletan sur les Corses, que son chef de gouvernement, un certain Emile Combes, avait attribué à « la chaleur communicative des banquets ».

Une simple San Miguel dégustée en fin de visite ne sera pas assez pour nous faire céder à cette chaleur des banquets, mais la douce mousse est largement suffisante pour nous (Emile) combler de joie après ce périple frontalier.

"La chaleur communicative des banquets" Emile Combes - 1905

« La chaleur communicative des banquets » Emile Combes – 1905