Rue des Deux Ormeaux

Un peu de patience, ça vient...

Un peu de patience, ça vient…

Il ne croyait pas si bien dire, ce fan Facebook… Au moment où il « lâchait son com », comme on dit sur les Skyblog, Vinjo et Pim étaient en plein concours de lâcheté pour savoir qui allait rédiger l’article sur la rue des Deux Ormeaux : « Tu le fais ce soir ? – Ah non ce soir heu… je dois sortir ma poubelle, donc c’est mort tu vois ! Heu vendredi dans 15 jours ptet ! »

Bref, pendant le mois qui vient de s’écouler, les membres de Bordeaux 2066 quand ils se disaient qu’ils devaient rédiger ce p***** d’article sur cette p***** de rue ressemblaient à peu près à ça :

Et puis finalement, il a bien fallu se sortir les doigts (Dieu sait d’où car il est omniscient) pour vous parler dans la douleur, mesdames, messieurs, de la rue des Deux Ormeaux.
Cette rue, lorsque nous l’avons abordée à vélo, elle nous a assez rapidement évoqué le concept de « ville chiante » chère à nos amis de Deux Degrés. Une ville où il ne se passe rien, ni en positif ni en négatif, et qui finalement serait recherchée pour ça. Se complaire dans la platitude, s’emmerder doucement mais surement, pourquoi pas après tout ! A Bordeaux il est d’usage de claironner que la Belle Endormie s’est réveillée. Mais finalement le sommeil c’est sacré non ? La Belle ne peut pas aller de Fête du Vin en Fête du Fleuve en passant par un Marathon sous peine d’avoir les yeux qui piquent et mauvaise haleine, aussi doit-elle parfois se rendormir.

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Et pour un sommeil bien réparateur et bien profond, quoi de mieux qu’un quartier à la fois excentré et bourgeois ?
Plantons le décor. La rue des Deux Ormeaux est un petit passage reliant la rue de Caudéran (qui permet aux Caudéranais d’accèder à Bordeaux Centre) au Cours Marc Nouaux (qui permet aux Caudéranais de rentrer chez eux). Son entrée est surveillée par le très select groupe scolaire Sainte-Clotilde / Assomption, fournisseur officiel de minettes à sacs Longchamp depuis 1860.
Sur les trottoirs on y trouve une biodiversité assez fascinante : de la Mini Cooper au Porsche Q7, ce sont de nombreuses espèces qui parviennent à se développer rue des Deux Ormeaux.

La rue des Deux Ormeaux

La rue des Deux Ormeaux

Sur le trottoir, on y trouve également Jacqueline et sa valise, qui reviennent de l’aéroport. Jacqueline vit dans une des maisons signées de l’architecte Tusseau qui ornent la rue. Ces élégantes demeures du début du 20ème siècle sont de style néo-18ème, et elles en imposent pas mal à vrai dire. Mais sans vouloir faire injure aux habitants de ce trottoir ci, c’est tout de même la baraque du voisin d’en face qui nous le plus impressionné, avec ses murs en moellons et son bow-window à l’anglaise. Il faut dire que c’est un grand nom qui en est l’auteur : Cyprien Alfred-Duprat, fils de Bertrand Alfred-Duprat, architecte également.
Les Alfred-Duprat, outre un nom rigolo, ont à leur actif un certain nombre de réalisations. Côté père, on trouve notamment un certain nombre de demeures le long du Parc Bordelais, rue du Bocage, y compris celle où il vivait lui-même (on n’est jamais mieux servi que par soi-même, en l’occurrence surtout quand on est architecte pour se faire une maison).

Chez Alfred-Duprat père, le long du Parc Bordelais

Chez Alfred-Duprat père, le long du Parc Bordelais

Réalisation du fils, rue des Deux Ormeaux

Réalisation du fils, rue des Deux Ormeaux

Côté fils, on trouve notamment l’Hôtel Schwabe le long du Parc Bordelais, la maison cantonale de la Bastide, et donc une maison rue des Deux Ormeaux. Mais ce qui nous plait surtout chez Cyprien Alfred-Duprat, c’est son livre « Bordeaux un jour ! », écrit en 1929, dans lequel il rivalise d’idées loufoques sur le devenir de notre ville : un toit-terrasse pour les Grands Hommes, une rampe d’accès automobile pour le haut du Grand Théâtre, une tour de 40 étages sur les quais… Que du très moderne pour l’époque, et surtout de l’anti ville chiante par excellence !

La Place Lainé imaginée par Cyprien Alfred-Duprat

La Place Lainé imaginée par Cyprien Alfred-Duprat

Car en attendant nous sommes toujours rue des Deux Ormeaux, et une fois qu’on a admiré les quelques maisons d’architecte il faut bien reconnaître que les explorateurs urbains que nous sommes se trouvent un peu démunis.
Le bar le plus proche se trouve Barrière Saint-Médard, et c’est le Rick Angel. Voilà qui promet de relever le niveau de cette tiède visite, se dit-on alors en googlisant cet étrange nom, qui s’avère être le pseudonyme d’un ancien conseiller de l’UMP devenu acteur porno.

Quizz. Rick Angel est-il A) en meeting à Arcachon ? B) en tournage sur la plage Nord du Porge ?

Quizz. Rick Angel est-il
A) en meeting à Arcachon ?
B) en tournage sur la plage Nord du Porge ?

Si nous en savons un peu plus sur Rick Angel (pas trop non plus hein), nous n’en saurons en revanche pas plus sur le Rick Angel de la Barrière Saint-Médard, fermé pour travaux. C’est donc un peu plus loin, au bar « Le bocage » que nous contemplons le flot de voitures qui rentrent à Caudéran le long du SM évoqué lors de notre précédente visite.

La rue des Deux Ormeaux… la rue Bel-Orme juste en face. Mais pourquoi cette obsession pour les ulmacées dans le quartier ? Visiblement, avant le milieu du 19ème siècle, ormes et ormeaux ornaient le parc de la maison Harmensen, « établissement de plaisir » du nom d’une famille de notables hambourgeois. Attention, pas le même plaisir que Rick Angel, plutôt du plaisir en tout bien tout honneur consistant à s’en mettre plein la panse et à danser entre gens bien nés.

Depuis, la maison Harmensen est devenue un couvent puis une résidence, les deux ormeaux ont été a priori coupés, et le plaisir n’est plus évoqué que brutalement par l’allusion à Rick Angel. La Belle Endormie s’est réveillée, mais rue des Deux Ormeaux, on a repris quelques somnifères.

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Le point 45°N 0° à Puynormand : à l’intersection du méridien de Greenwich et du 45ème parallèle

NB : cet article a été traduit de l’anglais par Jean-Yves Bart. La version originale a été publiée sur Invisible Bordeaux.

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Suite à ma récente visite à la borne du 45ème parallèle nord à Saint-André-de-Cubzac, il m’est apparu soudainement qu’un point de convergence totalement unique se trouve à 60 kilomètres à l’est de Bordeaux : il s’agit de l’intersection entre le 45ème parallèle et le méridien de Greenwich.

En faisant quelques recherches, je me suis rendu compte que la visite de tels points de convergence est devenue un hobby pour des amateurs du monde entier, qui publient leurs récits de voyage et leurs photos sur le site www.confluence.org. J’ai donc pu constater en lisant les textes d’autres visiteurs du point 45°N 0° qu’il n’y avait en fait somme toute pas grand chose à voir sur place.

J’ai néanmoins jugé que le sujet méritait bien que je lui consacre du temps et de l’effort. Compte tenu de la distance à parcourir, il m’est venue l’idée de constituer une équipe de choc pour le road trip, pour laquelle j’ai recruté Dorian, mon fils de dix ans, qui a récemment appris la latitude et la longitude à l’école, et Vincent Bart, moitié de l’excellent blog Bordeaux 2066, qui a immédiatement sauté sur l’occasion d’aller découvrir quelque chose qui n’existe pas vraiment.

Nous avons fixé une date… et nous nous y sommes tenus malgré les conditions météo exécrables le jour venu. Nos espoirs de profiter d’intermèdes ensoleillés dans le déluge pour bien faire le tour du sujet furent malheureusement douchés ! Dorian et moi-même sommes donc partis de notre camp de base à Saint-Aubin-de-Médoc, avant de retrouver Vincent peu après dans le centre de Bordeaux. Ayant rentré les coordonnées « 45°N 0° » dans notre GPS, nous voilà en route vers le point de convergence. Celui-ci se trouve à l’extrémité est du département de la Gironde, à mi-chemin entre Saint-Seurin-sur-l’Isle et Puynormand ; pour l’administration il est situé sur le territoire de la commune de Puynormand.

Puynormand est facile à localiser sur un globe !

Puynormand est facile à localiser sur un globe !

Il pleut toujours à verse lors de notre arrivée sur les lieux. Comme nous nous y attendions, le paysage brille par son dénuement. Vincent repère pourtant immédiatement une étrange structure métallique décrivant une sorte d’arc, ayant préalablement déterminé lors de recherches sur Google Street View qu’il s’agissait là du point de convergence.

Même si la structure abstraite ressemble plutôt à une sorte d’outil agricole, nous remarquons assez vite qu’elle représente bien une coupe transversale de la terre, ou tout du moins de l’hémisphère nord, sur laquelle le 45ème parallèle rencontre le méridien à mi-hauteur. Notre curiosité n’est pourtant pas rassasiée : faute de panneau explicatif, impossible d’avoir la confirmation que nous sommes face à une œuvre d’art publique et non un quelconque ustensile d’arrosage. Nous voulions en savoir plus.

La structure marquant le point de convergence (à gauche) et Vincent (à droite)

La structure marquant le point de convergence (à gauche) et Vincent (à droite)

No way is it some sort of farming equipment. Think of it as a cross-section of one half of the Earth! The piece is properly "interpreted" here although a part is now missing making the structure more difficult to understand...

Non, ceci n’est pas un outil agricole. Il s’agit bien d’une coupe transversale de la moitié de la Terre. Vous trouverez ici la juste interprétation de cette oeuvre, même si la disparition d’une de ses parties en rend la compréhension plus difficile.

Ne serait-ce que pour se mettre au sec, nous décidons de remonter en voiture pour rejoindre le village de Puynormand proprement dit, qui compte environ 300 habitants à l’année et qui doit son nom à sa localisation sur une colline (ou « puy ») et aux Normands (Vikings) qui ont fondé le lieu en 843. Avisant une boutique ouverte dans le village, nous entrons en quête d’informations sur le point de convergence. L’employée s’enquiert auprès de sa collègue, qui à son tour appelle immédiatement une connaissance ; peu après, nous la voyons revenir dans le magasin. Triomphante, elle nous annonce : « André Stanghellini va vous recevoir » et nous indique l’itinéraire pour se rendre chez ledit André. Nous ne nous attendions pas à une telle convocation – qui pouvait donc bien être cet homme mystère ?

C’est sans difficulté que nous localisons la maison. Devant le portail, une personne que nous supposons à juste titre être M. Stanghellini nous fait signe de pénétrer dans les lieux. Nous ne tardons pas à comprendre qu’accueillir les visiteurs avec chaleur et spontanéité est une seconde nature pour André, qui en effet gère avec son épouse une maison d’hôtes (dont les clients unanimes ne tarissent pas d’éloges). Bienvenue chez Papi et Mamie !

Après nous avoir installés au salon, André nous raconte qu’il est médecin militaire à la retraite et qu’il est revenu s’établir dans la région vers l’an 2000, avec l’espoir que le village tire parti de sa localisation unique. En 2002, il décide donc avec une poignée de passionnés de son entourage de créer l’association Greenwich 45 dans le but de constituer un véritable site touristique autour du point de convergence ; son double objectif est de « matérialiser l’endroit et de fournir des informations pédagogiques aux visiteurs ». André rêve donc d’installer des blocs de pierres pour marquer l’intersection entre les deux lignes imaginaires, assorties de panneaux explicatifs présentant les origines de la mesure du temps et le développement de la cartographie.

La vidéo vous donnera une idée de l’ambiance de notre visite, et contrairement à nous, vous n’aurez pas à vous mouiller :

Le rêve ne s’est pour le moment pas réalisé : à ce jour, l’unique indication du caractère géographiquement unique du lieu reste la structure métallique dont nous avons parlé, érigée il y a près de quatre ans à quelques mètres du point de convergence sur une parcelle appartenant à un ami d’André. André la qualifie de « machin » métallique ; on comprend bien que seule l’arrivée d’une installation plus conséquente serait à même de le satisfaire.

Le projet fait pourtant face à deux obstacles. Le premier est bien évidemment celui du financement. L’actuel maire de Puynormand, Joël Bayle, est semble-t-il plus réceptif à de telles initiatives que son prédécesseur, mais la municipalité ne pourrait de toute façon pas assurer à elle seule le coût du projet, qui doit donc mobiliser des fonds auprès d’entreprises locales. Le deuxième obstacle concerne la parcelle elle-même. Le projet tel que le conçoit André exigerait d’avoir accès à un terrain dont ASF (Autoroutes du Sud de la France) a fait l’acquisition dans le cadre de la construction de l’A89. Concédé depuis à la société Vinci, le terrain n’est pas utilisé et pourrait facilement être transformé en un petit parking pour les visiteurs. Si Vinci devait céder le terrain, il serait d’abord proposé à son propriétaire précédent puis au conseil municipal avant d’être soumis aux offres d’acheteurs privés. Pour l’heure, il semble qu’une telle transaction ne soit pas à l’ordre du jour ; en attendant une hypothétique vente, il faudra donc se contenter du « machin » en métal !

Nous demandons à André si beaucoup de gens ont entendu parler de l’intersection invisible. Selon lui, si les habitants de Puynormand connaissent l’endroit, il arrive assez peu souvent que des visiteurs comme nous viennent de plus loin exprès pour se rendre au point de convergence. Il nous raconte tout de même avoir récemment parlé à des cyclotouristes pour qui Puynormand était un des principaux arrêts d’un périple s’étirant sur toute la longueur du 45ème parallèle. André précise aussi que l’intersection a été immortalisée par un autre membre de son association, le vigneron belge Stefaan Massart : elle figure sur les étiquettes des bouteilles de son domaine, le Château Vilatte.

Au sec à la maison, quelques jours après la balade, à déguster un verre de Château Vilatte.

Au sec à la maison, quelques jours après la balade, à déguster un verre de Château Vilatte.

Inspirés par cette nouvelle, nous prenons congé d’André et retournons à la boutique du village, où nous remercions les employées pour leurs précieux conseils avant d’acheter quelques bouteilles du vin aux fameuses étiquettes. C’est en direction du point de convergence que nous reprenant la route, espérant que la pluie cesse assez longtemps pour nous permettre de nous imprégner de l’expérience unique d’être à mi-chemin entre l’équateur et le Pôle Nord, à la frontière entre est et ouest.

La vision d'un arc-en-ciel nous a laissé espérer un temps plus clément. Que dalle.

La vision d’un arc-en-ciel nous a laissé espérer un temps plus clément. Que dalle.

Il faut s’y résoudre : la pluie ne nous laissera aujourd’hui aucun répit. Après quelques minutes à l’abri, Vincent et moi-même décidons d’affronter les éléments (Dorian bénéficiant lui d’une dispense exceptionnelle) et boussole d’iPhone en main, nous mettons en quête du point (plus ou moins) exact où les deux lignes virtuelles se rencontrent. Tout en espérant ne pas attraper une pneumonie, une hypothermie ou autre maladie au nom se terminant par « ie », nous entreprenons de planter notre panneau maison indiquant les directions nord-sud (le méridien) et est-ouest (le 45ème parallèle). Nous tirons un certain plaisir de ce geste à n’en pas douter tout à fait illégal, qui marque une nouvelle étape vers l’implantation d’un véritable site sur les lieux.

Que du fait maison (au cas où vous ne l'auriez pas remarqué) !

Que du fait maison (au cas où vous ne l’auriez pas remarqué) !

Deux minutes plus tard, nous nous réfugions dans la voiture après avoir failli marcher sur un cadavre de crapaud et dans une flaque de vomi humain assez récent (on peut se demander si la personne indisposée connaissait la signification du lieu…). Nous sommes tous les deux trempés jusqu’à l’os : je ne vois plus rien à travers mes lunettes, tandis que Vincent doit retirer ses chaussures tant ses pieds sont mouillés. Chargé de nous indiquer le chemin du retour vers Bordeaux, le GPS nous ramène à l’autoroute exploitée par Vinci, la société dont dépend indirectement le succès du projet Greenwich 45. Si chez Vinci il y a des lecteurs de Bordeaux 2066, n’hésitez pas à nous contacter !

Ainsi s’achève notre aventure au point 45°N 0°, mais ce ne sera pas notre dernière visite : le rendez-vous est pris, c’est promis, nous retournerons à Puynormand (mais sous le soleil cette fois-ci !) voir si notre panneau en bois a survécu, si le « machin » métallique est toujours en place, et si le véritable site Greenwich 45 imaginé par André Stanghellini a fini par prendre forme. Puynormand, we will be back. 

Vue panoramique du point 45°N 0°

Vue panoramique du point 45°N 0°

Tim Pike, INVISIBLE BORDEAUX.

Traduit pour Bordeaux 2066 par Jean-Yves Bart.

Rue Henri Dunant

En ce samedi de juin, Bordeaux manque cruellement d’air. L’atmosphère est moite, la ville sent l’asphalte chaud, ses habitants sentent le monoï et/ou la transpiration.
L’ambiance est néanmoins légère, avec une douce euphorie que l’on peut attribuer au solstice, à moins que ça ne soit le fait des cinq buts que l’Equipe de France a inscrit la veille contre la Suisse.
Pauvres Suisses. Certes ils ne nous aiment guère et organisent régulièrement des référendums pour nous bouter hors de chez eux, mais méritaient-ils un sort si cruel ?
Comme pour redorer l’amitié franco-suisse, c’est un citoyen helvète à qui Excel nous fait rendre visite, en la personne de Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge. Après Henri Mérand, c’est le deuxième Henri à qui Bordeaux 2066 rend visite. Pas d’inquiétude si vous aimez ce prénom, notre base de données vous réserve encore 12 Henri en stock, dont le plus célèbre d’entre eux : Monsieur IV.

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C’est rive droite que notre Henri du jour est à l’honneur, ce qui nous donne l’occasion de passer le pont une seconde fois, après avoir arpenté il y a quelques temps la Cité de la Benauge. Cette fois ci pas besoin de marcher bien longtemps : la rue Henri Dunant se trouve juste derrière la Place Stalingrad et la caserne des pompiers.

Nous n’avons marché que 10 minutes depuis la Porte de Bourgogne, et pourtant on se sent loin loin du centre ville, dans un faubourg un peu désarticulé mêlant de l’ancien et du moderne, et où la vision des vertes collines des Hauts de Garonne nous transporte déjà vers l’arrière-pays.

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Se disaient-ils ça les Charentais de la fin du 19ème siècle, lorsqu’ils rentraient dans leurs champs de tournesol ? C’est qu’en 1896, en plein essor du chemin de fer, prit place dans le quartier la gare de « Bordeaux-Deschamps », du nom du quai tout proche, qui accueillait des trains de la Compagnie des Charentes. C’était une gare d’où partaient seulement deux lignes : vers le Bec d’Ambès, et vers Saintes en « Charente-Inférieure » comme se nommait le Département à l’époque (et comme s’il existait une Charente Supérieure, non mais franchement…). En proie à des difficultés financières, la Compagnie des Charentes a par la suite été rachetée par l’Etat, et on trouve aussi pour notre ancienne gare la dénomination de « Bordeaux-Etat ». Les ferrovipathes de tout poil trouveront de plus amples renseignements ici.

Gare disparue (source : http://www.histoires-de-bouliac.net/)

Gare disparue (source : http://www.histoires-de-bouliac.net/)

En 1938, avec la création de la SNCF, la petite gare du quai Deschamps ferma définitivement, et laissa place après guerre à la controversée Caserne de la Benauge. Aujourd’hui, les soldats du feu sont toujours là, et le début de la rue Henri Dunant est occupé par des bâtiments de service de la caserne, dans un état plus ou moins douteux que l’on peut attribuer à un déménagement promis dans un futur proche.

Entrée de la rue et bâtiments annexes de la caserne.

Entrée de la rue et bâtiments annexes de la caserne.

Sur le trottoir d’en face, on trouve petites maisons en pierre et sorties de garage, puis une résidence moderne qui a remplacé un ilot insalubre il y a « moins de 10 ans », dixit une riveraine. Au fond, le long du Stade Promis, une parcelle occupée par quelques mobil-homes de Gitans sédentarisés.

C’est tout ? A première vue oui, mais grâce à notre fidèle lectrice Brigitte de l’Association Histoire de la Bastide, nous poussons l’investigation un peu plus loin. A l’angle avec la rue du Général Ducheyron se trouve l’école Créasud dont il est difficile voire impossible de deviner qu’elle abrite en son sein une église désaffectée, et recouverte par des bâtiments plus modernes. Hélène, qui travaille dans l’établissement, interrompt bien volontiers sa pause déjeuner pour nous en dévoiler ses secrets. Dans le silence religieux de cette école de design, entre les salles de classe, on trouve des voûtes, des restes de fresques, ou encore des emplacements de statues. Le secret de cette église oubliée se trouve dans les turpitudes administratives de Bordeaux. Elle a été bâtie entre 1830 et 1838 par un architecte dénommé Bordes, sur un terrain cédé par un Monsieur Letellier qui a désormais une rue à son nom juste derrière. Mais à cette époque, la Bastide est un faubourg en plein essor, et on songe d’ores et déjà à une église plus grande. Vous avez deviné, Sainte-Marie-de-la-Bastide telle qu’on la connaît encore aujourd’hui a été construite en 1860, juste avant l’annexion du quartier par la commune de Bordeaux, puisqu’on se trouvait auparavant sur le territoire de Cenon. Notre petite église n’a guère eu le temps de faire office de lieu de culte qu’elle fut transformée en entrepôts, la rendant méconnaissable de l’extérieur.

Dans les couloirs de Créasud

Dans les couloirs de Créasud

Salle de classe

Salle de classe

La place du fond, toujours très prisée.

La place du fond, toujours très prisée.

Une gare disparue, une église disparue, une caserne qui va disparaître… A croire que David Copperfield est Bastidien ! Mais soyons rassurés, ceux qui ne vont pas disparaître, ce sont les lycéens de François Mauriac. On vous le gardait pour la fin, mais l’élément le plus visible de la rue Henri Dunant, c’est bien ce lycée général et technologique de la rive droite.

Lorsque nous sommes passés, aucune trace des 1400 élèves, en train de goûter au farniente pour les plus chanceux, et de réviser leur bac pour les autres. Mais pour Dominique Goncalves, pas encore de bronzette en vue. Ce professeur d’histoire et géographie aime son bahut, et nous propose une petite visite guidée un matin de semaine. Bien que situé proche de quartiers à mauvaise réputation de l’agglomération bordelaise, Dominique nous décrit un établissement calme, qui peut s’enorgueillir d’une progression de ses résultats au bac ces dernières années. C’est un lycée qui brasse des populations assez diverses : quelques ados des cités de la rive droite, d’autres venant des banlieues aisées que sont Bouliac ou Carignan, et une importante proportion de campagnards de l’Entre-Deux-Mers, souvent assez excités de découvrir la « capitale » en arrivant en Seconde. Gageons que François Mauriac, lui-même issu d’une famille bordelaise aisée et fin sociologue des campagnes girondines de l’époque, n’aurait pas renié ce mélange des genres pratiqué par le lycée qui porte son nom.
Pour enrichir son projet pédagogique, le lycée François Mauriac a opté pour le développement culturel. C’est ainsi qu’outre les classes européennes en anglais et en espagnol, on trouve à Mauriac des élèves du Conservatoire, que l’on aperçoit d’ailleurs de l’autre côté du fleuve depuis les salles de classe. Un partenariat est également en préparation avec le Musée d’Aquitaine, pour faciliter l’accès à ce grand musée du Cours Pasteur à nos jeunes banlieusards et campagnards.

Mauriac, qui n'a rien à envier à Montaigne ou Montesquieu.

Mauriac, qui n’a rien à envier à Montaigne ou Montesquieu.

La cour du lycée

La cour du lycée

En sortant du lycée, Bordeaux 2066 qui a passé son bac il y a maintenant 10 ans se sent vieux. Nous repassons devant l’ancienne église devenue Créasud. Nous décidons d’imiter les étudiants lorsqu’ils ont une pause et filons tout droit vers le Mosquito, bar-snack-tabac situé rue de la Benauge où nous accueillent Lorenza et Pascal. Comme s’ils avaient suivi les rails de feu la Compagnie des Charentes, notre couple de tenanciers est arrivé de Vendée il y a 18 mois environ, et nourrit élèves et étudiants n’appréciant pas les prestations de leur cantine. Leur terrasse possède un atout non négligeable, elle est située en face d’un garage Alfa Romeo désaffecté. Rien d’extraordinaire, si ce n’est qu’on peut y voir incrustées dans la façade deux colonnes en pierre, qui marquaient l’entrée de notre petite chapelle oubliée.

Face à l'ancien garage. Disparition programmée là encore !

Face à l’ancien garage. Disparition programmée là encore !

Lorenza, Pascal, et une cliente.

Lorenza, Pascal, et une cliente.

Notre bière terminée, nous laissons la rue Henri Dunant à sa torpeur estivale.
Là où Blayais et Charentais arrivaient en train il y a quelques décennies, ce sont dès le mois de septembre les étudiants et lycéens de l’arrière-pays de la rive droite qui feront leur retour dans cette rue chargée d’histoire et de géographie.

Dissertation : la Bastide, terre de migrations, vous avez trois heures !

Passage Pambrun

En ce samedi de mai, l’équipe de Bordeaux 2066 a une fois de plus peur. Rien d’effrayant dans les premières températures d’été, et encore moins dans le nombre des années qui augmente pour Pim en cette veille d’anniversaire. Notre peur est bien plus primaire : Excel nous a encore joué un tour. Après les 43 mètres de la rue Fénelon, nous voici confrontés aux 47 mètres du Passage Pambrun.

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Mais là où la rue Fénelon était remplie de magasins, et donc de témoins potentiels, nous nous attendons à trouver beaucoup moins de quidams dans ce passage reculé, proche de la gare et à la limite de Bègles. A notre descente du tram à l’arrêt Carle Vernet, nous tombons d’abord sur la Maison du projet de Bordeaux Euratlantique : et oui, le passage Pambrun, tout comme la rue Sarrette ou la rue Brulatour risque de bien changer dans les prochaines années, avec l’arrivée du TGV, la sortie de terre de nombreux projets immobiliers, le développement d’un quartier d’affaire etc.

Mais pour le moment, maison du projet mise à part, il n’y a pas encore de signe de grands bouleversements. Après avoir parcouru la rue Cazeaux perpendiculaire au tram, nous arrivons sur place : passage Pambrun nous voici !

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Avouons le, le premier ressenti ne nous rassure pas … 47 mètres c’est court ! Nous remarquons d’ailleurs que ce passage reste une adresse quasi exclusive puisque pour y vivre vous n’avez le choix qu’entre le numéro 1 ou le numéro 2, ensuite les maisons basculent automatiquement sur la rue Cazeaux ou la rue Poissonnier.

C’est justement rue Poissonnier, à la sortie du passage, que nous croisons Dominique, qui nous accueille couteau dans la main. Pas d’inquiétude, Dominique n’a nullement l’intention de nous mener dans la ruelle pour nous montrer son Opinel. Au contraire, son arme blanche Dominique l’utilise en tant que Michel Morin du quartier pour réajuster la cane d’une mamie … belle convivialité entre voisins ! Est-ce ainsi dans tout le quartier ? Cela dépend nous dit Dominique, « ici vous avez la rue des c…., et là celle de la solidarité ». Bon, ne nous attardons pas trop longtemps sur les quelques conflits passés de voisinage qui suscitent encore quelques noms d’oiseaux, concentrons nous plutôt sur la solidarité.

Le 1 passage Pambrun

Le 1 passage Pambrun

Le 2 passage Pambrun

Le 2 passage Pambrun

Dominique nous le dit clairement : ici historiquement, c’est un quartier populaire, d’immigrés, d’ouvriers et de cheminots. Des gens qui ont appris à se serrer les coudes et à compter les uns sur les autres. D’accord, mais aujourd’hui alors, que pense Dominique des futurs projets ? Si les immeubles ne l’enchantent pas forcément, il n’a pas peur des nouveaux habitants « des jeunes s’installent dans le quartier depuis quelques années, la population se renouvelle, mais ils sont tous très gentils, très aimables. Ils redonnent de la vie au quartier, et puis il y a des couples avec des racines différentes, ça apporte de nouvelles choses, c’est bien ».

Vue générale du Passage Pambrun

Vue générale du Passage Pambrun – sens aller

Vue générale du Passage Pambrun - sens retour

Vue générale du Passage Pambrun – sens retour

Chantre de la mixité sociale et ethnique, Dominique est également un apôtre de l’intergénérationnel et nous propose d’aller sonner chez une voisine, un peu plus loin, qui connaît toute l’histoire du quartier. Au premier coup de sonnette, et après les aboiements de Valou, fidèle chien de garde, nous voyons arriver Jeanne. Au premier coup d’œil c’est le coup de cœur : pas de doute, Jeanne sera une belle rencontre, comme celles que ce blog nous a d’ores et déjà offert dans d’autres rues.

Octogénaire à la démarche paisible, à l’œil vif et au sourire charmeur, Jeanne nous parle derrière sa grille de jardin « pour ne pas laisser échapper le chien, à mon âge je ne peux plus le rattraper ! ». Chien qui ne manquera pas de se faire remarquer lors de notre passage « Valou, tu as encore pété ! Tu m’empestes ! ».

Mais une fois le canidé rabroué, notre sympathique mamie s’intéresse à notre démarche et enclenche la machine à souvenirs. Pendant une heure de discussion à bâtons rompus, nous repassons toute l’histoire du quartier : des dizaines d’anecdotes, de fragments de vie, d’histoires drôles ou tragiques. Difficile de tout retranscrire ici mais en vrac sachez que près du passage Pambrun coulait autrefois à ciel ouvert l’Estey Sainte-Croix. On y menait boire les vaches, et quand il faisait chaud Jeanne s’y baignait et se chamaillait avec ses camarades à grands coups de sangsues lancées sur l’un ou l’autre.

Le quartier a bien sur connu la guerre, et tous les habitants qui se réfugiaient dans la maison d’en face, se partageaient, ironie du sort, des pastilles Vichy en attendant la fin de l’alerte. Ensuite les années fastes, l’arrivée du tout à l’égout, et toujours la convivialité : « on n’avait pas la télé, alors le soir vous savez on sortait les chaises dehors et on discutait entre voisins, tout simplement ».
Voisinage toujours avec des histoires cocasses et loufoques : un coup de fusil par ci, un ferrailleur coureur de jupons par là, ou encore un voisin qui avait sa carte et à la CGT et au RPR car comme il avait dit « moi tant qu’on me donne du boulot, je prends la carte ».

Jeanne nous confirme aussi la tradition populaire du quartier : beaucoup de cheminots, comme souvent à Bordeaux des Espagnols, et plus inattendue une communauté tchèque, venue cristalliser son savoir-faire à la verrerie Domecq voisine ou à l’usine Saint Gobain des boulevards, celle là même où avait travaillé notre copine Fernande de la rue Brulatour. Cette communauté tchèque, on n’en trouve plus trace aujourd’hui, malgré la présence du dernier ressortissant Tchèque Diabaté.

La maison des Pambrun, entièrement refaite il y a quelques années

La maison des Pambrun, entièrement refaite il y a quelques années

Sur le passage qui nous occupe aujourd’hui, Jeanne nous apprend que la famille Pambrun était propriétaire d’une grande partie des terrains qui forment le pâté de maisons actuel. Les Pambrun étaient « moutonniers », ce qui ici ne veut pas dire qu’on avait affaire à des gens grégaires mais bien à des bergers périurbains, quand l’actuel quartier Carle Vernet ressemblait encore à de la palu bien grasse. Après quelques recherches, un descendant de la famille Pambrun nous a d’ailleurs confirmé l’implantation du fief familial dans les Hautes-Pyrénées, avant d’essaimer vers les Landes et le Bordelais, à contre-courant de la transhumance.

Le soleil se couche et voici l’heure de quitter Jeanne et Dominique. Mais Jeanne on ne l’oubliera pas de sitôt, et là voilà à tout jamais dans la photothèque de Bordeaux 2066, avec son voisin et ses nains de jardin.

Dominique et Jeanne

Dominique et Jeanne

Lecteur rassure toi, après deux rues dans lesquelles nous n’avions pas eu l’occasion de boire la traditionnelle mousse finale, l’offense est réparée puisque nous nous offrons quelques jours plus tard un déjeuner au restaurant le Banlieue Sud, bien connu de ceux qui ont usé leurs nerfs aux feux rouges à l’angle de la rue d’Armagnac et de la rue Carle Vernet. C’est une cantine populaire comme on l’imagine : service uniquement le midi, repas copieux et savoureux, ambiance décontractée et petits prix ! Une bonne adresse, et surtout l’occasion de renouer avec le houblon.

Au Banlieue Sud

Au Banlieue Sud

Les 47 mètres du Passage Pambrun mènent bien plus loin qu’à la rue Cazeaux et à la rue Poissonnier. En remontant l’Estey Sainte-Croix dans lequel Jeanne barbotait, on arrive jusqu’aux Pyrénées des Pambrun. De là, en grimpant par temps clair, on aperçoit l’Espagne et ses plaines dépeuplées au profit des faubourgs ouvriers de Burdèos. Une vie de labeur, y compris pour les verriers arrivant de la Bohême. Aujourd’hui, dans le sillage du TGV, se pointent quelques bourgeois. Mais on n’efface pas l’histoire si rapidement : en hommage à la communauté tchèque disparue, certains de ces bourgeois sont aussi bohèmes.

Rue Wilson

On va vous l’avouer tout de suite, ce dimanche à Caudéran, nous avons eu peur.

Pour notre sécurité, oh non certainement pas : ici entre la Place de Moscou et la Place Lopès on se sent bien loin d’une supposée « France Orange Mécanique ».

Non, c’est plutôt pour vous lecteurs que nous avons eu peur, tant la rue Wilson a mis du temps à se dévoiler.

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Lorsque nous sortons du bus 16 à l’arrêt « Moscou », le ciel blafard fait penser à une journée d’été lambda dans le Douaisis natal de Pim. Un peu plus loin sur la droite, la rue Wilson nous offre sa centaine de mètres de longueur, égrenant petites maisons arcachonnaises, cubes en béton des années 70, ainsi qu’une villa très tape-à-l’œil devant laquelle on ne peut s’empêcher de persifler en voyant la grosse cylindrée immatriculée 92 qui y est garée.

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Pas d’immeubles, pas de commerces, pas d’associations, pas d’êtres humains… Perplexité. « Bon écoute, on va leur faire un copié-collé de la rue Genesta, c’était il y a longtemps, personne ne s’en rendra compte… »

Finalement, au bout de la rue Wilson, en arrivant sur la rue d’Austerlitz, nous décidons de continuer à batailler.

Un cycliste débarque à l’horizon, nous nous ruons dessus tel un aigle sur une jeune marmotte. Il vient rendre visite à ses amis Clément et Mathilde, qui habitent là depuis environ un an, et semblent nous plaindre lorsqu’on leur annonce qu’on aimerait écrire un petit article sur leur rue. En ce lendemain de UBB – Perpignan victorieux, Clément botte en touche et nous envoie chez son voisin d’en face, « un monsieur très gentil qui habite là depuis longtemps, et vu l’heure qu’il est aura surement fini sa sieste ».

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 Originaire du Pas-de-Calais, Monsieur L. habite en effet là depuis 30 ans, et coule une paisible retraite caudéranaise après une belle carrière d’ingénieur en ponts et chaussées. La rue Wilson ? Monsieur L. n’a rien à en dire. A part une ou deux maisons démolies / reconstruites depuis son arrivée à Bordeaux, rien n’a changé, et à vrai dire il ne s’y est jamais vraiment intéressé. Il peut nous parler un peu du quartier en revanche : la jolie chartreuse qu’on voit à peine derrière sa haute haie était un couvent de religieuses, et à la place de la résidence moderne un peu plus loin dans la rue, c’était les ateliers de la Glacière de Caudéran, à ne pas confondre avec la Glacière de Mérignac, un peu plus connue.

A ce stade de l’exploration, ça va déjà mieux. On n’en sait guère plus sur la rue Wilson en elle-même, mais au moins connaît-on un peu l’histoire du pâté de maisons.

Arpentant la courte rue Wilson une nouvelle fois, Frédéric, en pleine taille de ses arbres, nous envoie chez Lucien, « lui il aura plein de choses à vous dire ».

Vous la reconnaissez ?

Vous la reconnaissez ?

Ouvrant son volet suite à notre coup de sonnette, Lucien prétend gentiment qu’on ne le dérange pas, même si on devine bien qu’on a écourté sa sieste.

Lucien, c’est un personnage truculent comme on les aime. Chevalière au doigt, très fort accent gascon en bouche, Lucien aime les entrecôtes « épaisses commeu ça » (montrer la hauteur d’un trottoir) et le rugby de clocher. Lui qui allait voir jouer à la fois Bègles et le SBUC à l’époque s’est abonné lorsque l’UBB est remonté en Top 14, mais n’a pas récidivé en raison du speaker qui lui « casse les oreilles », à bon entendeur…

Lucien est sympa, c’est une chose, mais surtout il est une vraie encyclopédie sur son quartier. Natif des Landes, il s’est fixé à Caudéran il y a quasiment cinquante ans, après un passage par Maubeuge que l’on aurait aimé filmer tant le décalage culturel devait être amusant.

Lucien

Lucien

 Lucien nous confirme que la jolie chartreuse du bout de la rue Wilson était auparavant occupé par des religieuses : les Dames du Sacré-Cœur. Le petit bouquin « Mémoires de Caudéran », de Pierre Debaig, nous apprend que le pensionnat de ces dames (probablement demoiselles d’ailleurs) occupait 25 hectares, et comprenait des vignes et une grande chapelle. En 1907, deux ans après l’adoption de la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ces dames sont expropriées, la chapelle est démolie et des rues sont percées, dont la rue Wilson, qui comme le montre la photo ci-dessous n’avait pas encore reçu de nom en 1909.

Caudéran en 1909, extrait de "Mémoires de Caudéran"

Caudéran en 1909, extrait de « Mémoires de Caudéran »

Du bâtiment des Dames du Sacré-Cœur il ne reste qu’un morceau : c’est notre fameuse chartreuse, qui fut habitée un temps par Armand Faulat, le dernier maire du Caudéran indépendant.

Début XXème

Début XXème

Début XXIème

Début XXIème

Vous aurez aussi remarqué sur le vieux plan qu’en 1909 le Boulevard du Président Wilson s’appelait encore Boulevard de Caudéran, d’où le doublon Boulevard / Rue Wilson, qui lorsqu’ils ont été nommés au lendemain de la Première Guerre Mondiale n’étaient pas encore sur la même commune.

Lucien poursuit son récit en évoquant le charbonnier Baillarin, « comme les canelés », qui a construit la plupart des maisons du quartier en mélangeant la grave du sol avec le mâchefer qu’il récupérait. Certains ont reproché au charbonnier de mettre bien peu de ciment dans ses constructions. N’ayant pas de compétence en bâtiment, Bordeaux 2066 s’abstiendra de tout jugement.

Enfin, la rue Wilson a été marquée par un dénommé Menaldo, entrepreneur qui avait ses bureaux dans la rue même jusque dans les années 1980, et qui y a construit plusieurs maisons.

Les maisons de Menaldo

Maisons dont on croyait qu’elles étaient de Menaldo, jusqu’à ce qu’on reçoive des mails nous indiquant le contraire (correction de juin 2014). 

Lucien nous a appris tout ce qu’on pouvait savoir sur la rue Wilson, et le bougre nous a donné soif avec ses anecdotes de troisième mi-temps. Nous serions volontiers aller boire un coup à la Dame Blanche, juste au bout de la rue, mais malheureusement nous sommes arrivés deux ans trop tard. Alors finalement c’est dans le petit jardin du PMU « Le Marigny », rue Etchenique, que nous buvons notre demi d’après-balade.

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Comme l’aurait déclaré Thomas Woodrow Wilson en 1912, « nul ne peut adorer Dieu ou aimer son prochain s’il a l’estomac creux ». Venant d’un Américain, cette citation s’acclimate parfaitement à nos terres de cocagne, et soyons-en certains, aura su consoler les Dames du Sacré-Cœur de leur exil forcé en 1907. On leur dédicace notre 1664, elles sans qui cette chronique n’aurait pu voir le jour.

Adishats !

 

BONUS, pour ceux qui veulent en savoir plus sur la Glacière de Caudéran située juste derrière la rue Wilson, Yves Simone vous raconte tout :
La glacière de Caudéran et son aménagement – kewego
Présenté par Yves Simone et Olivia Lancaster

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Rue Fonfrède

Le dimanche à Bordeaux… c’est le jour du tirage.

Tandis que la fin de l’hiver se profile, et après nous avoir promené dans différents recoins de la commune, Excel nous amène cette fois dans une rue au nom familier pour tous ceux qui empruntent ou ont emprunté les lignes de bus passant par le Cours de la Somme, spéciale dédicace à feu la ligne G, chère à Vinjo.

Rue_Fonfrède

En effet, Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède fait partie de ces personnalités, qui comme Pierre Trébod ont laissé une trace doublement visible dans la ville en réalisant le combo rue + arrêt de bus à leur nom. Bien joué JB, tu ne t’es pas fait guillotiner à 27 ans tout à fait pour rien (fichtre, 27 ans, c’est l’âge de vos serviteurs !).  Quand on est député de la Convention nationale en 1791, et que l’on dénonce les agissements d’un certain Marat , ce sont des choses qui peuvent arriver.

JB Fonfrède, un député swag (source : wikipedia)

JB Fonfrède, un député swag (source : wikipedia)

Quelques recherches sur Internet nous montrent qu’une des spécialités de la famille Fonfrède, outre le commerce triangulaire (mais Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède lui-même s’est opposé à l’esclavage, ce sont ses négociants de parents qu’il faut semble-t-il blâmer), c’est bien le nom de rue en héritage.

Dans la famille Fonfrède, je demande :

– la mère : Marie-Caroline Journu, comme le Cours Journu-Auber à Bordeaux
– le neveu : Théodore Ducos, décapité en même temps que tonton, et qui a une rue à son nom à Bordeaux également
– le frère : François Boyer-Fonfrède, industriel qui a une ruelle étroite du Vieux Toulouse à son nom.

Assez d’histoire et de jeu des sept familles, venons-en au présent. Nous arrivons à pieds depuis la Victoire par le Cours de la Somme, et arpentons une première fois cette rue qui ressemble à ses voisines : populaire et tranquille, un peu crasseuse sur les bords. Il n’y a pas foule en ce dimanche, hormis deux ouvriers rangeant un chantier, une dame affirmant ne rien connaître sur la rue, et de présumés Bulgares débonnaires prenant l’air sur un bout de trottoir. Le coin est plutôt cosmopolite, et en regardant un peu les noms sur les sonnettes des maisons et immeubles, on devine des origines du Maghreb, de l’Afrique Noire, du Gascon pur bœuf de Bazas, du Portugal, de l’Espagne, des pays de l’Est…

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La rue est composée majoritairement de petits immeubles en pierre bordelaise avec un ou deux étages maximum. Elle croise le Cours de l’Yser, et se termine en impasse dans une copropriété des années 80, le Pavé de Fonfrède, qui semble occuper l’emplacement d’une ancienne usine. Lors de recherches immobilières Vinjo y avait visité un appartement, et a principalement gardé en mémoire l’odeur tenace de cannabis qui flottait dans les couloirs.

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Le Pavé de Fonfrède

Le Pavé de Fonfrède

Carré VIP du Pavé

Carré VIP du Pavé

En continuant l’exploration nous croisons Clémence et ses beaux cheveux rouges. Elle est accompagnée de Tekos, jeune chiot un peu maladroit aux yeux très bleus. Tekos a été nommé en hommage aux « teufs », c’est-à-dire des rassemblements musicaux qui font « boum-boum », pour schématiser, et que Clémence affectionne particulièrement. Tekos appartient à Clémence depuis quelques jours seulement, alors il fait comme nous : il arpente la rue Fonfrède dans tous les sens, sans trop savoir ce qu’il cherche. La rue Fonfrède, Clémence ne la connaît que peu puisqu’elle y a emménagé récemment, mais elle s’y sent bien. Il y a beaucoup d’étudiants, mais la rue est calme car à l’écart des itinéraires de transhumance de la viande saoule de la Victoire.

Clémence et Tekos

Clémence et Tekos

S’il suit sa maitresse dans les teknival, notre canidé devra peut être ensuite consulter Anastasia, osthéopathe pour animaux (eh oui) , contactée par nos soins car encore répertoriée par Google comme étant en activité rue Fonfrède même si ce n’est plus le cas. Fraîchement arrivée de Paris, Anastasia s’est montrée un peu plus sévère dans son jugement : elle déplore « une propreté parfois douteuse et du bruit, surtout les week-ends », avant d’ajouter que « quand on est étudiant, le quartier est sympa ».

Si les explorateurs urbains que nous sommes ont globalement apprécié l’ambiance populaire et tranquille de la rue, nous avons déploré l’absence totale de commerces. A l’angle avec le Cours de la Somme, le rideau de fer a l’air baissé depuis bien longtemps. A l’angle avec la rue Kléber , il y a eu un temps les Montauzier qui proposaient des « vins de Gironde », mais vu l’état de l’inscription, il y a probablement plusieurs décennies qu’ils ont quitté les lieux. Quelques recherches sur Internet nous aiguillent vers une famille de négociants originaire de Charente (chose qui peut arriver même aux meilleurs), et dont la descendance sévit actuellement dans le Haut-Médoc.

Vestige des vins Montauzier

Vestige des vins Montauzier

Avec tous ces commerces disparus, on aurait du croire que la rue Fonfrède se meurt, que la rue Fonfrède is dead, que la rue Fonfrède périt (vous l’avez ?).

Heureusement nous n’avons pas à marcher trop longtemps pour trouver de quoi boire la traditionnelle bière post – arpentage de rue. On vous rappelle que notre rue Fonfrède croise le Cours de l’Yser, qui est constellé de nombreux bars majoritairement espagnols et portugais. Quasiment à l’angle avec la rue Fonfrède, le Coco Louco nous ouvre ses portes et nous plonge immédiatement dans cette ambiance si particulière d’un dimanche après-midi Cours de l’Yser. Alors que toute la ville ronronne doucement en profitant des dernières heures du week-end, ici la musique est poussée au maximum, les hommes plus ou moins ventrus jouent au baby-foot et aux fléchettes, des jurons pittoresques fusent dans plusieurs langues (surtout en Portugais), les enfants courent et les dames devisent avec parfois plus de véhémence que leurs conjoints.

On aime ou on n’aime pas, mais nous on aime ! Surtout quand une fois notre Superbock commandée la serveuse brésilienne nous amène gentiment une petite salade de poulpe à picorer ! Dans cette ambiance sympathique et survoltée, il nous a été impossible de ne pas recommander une deuxième bière.

Super Bock & Paul le Poulpe

Super Bock & Paul le Poulpe

Egayés par le houblon lusitanien nous avons essayé de réaliser une vidéo à la volée pour capter rapidement cette ambiance unique. La réalisation chaotique n’est pas due à un excès de boisson mais bien à notre timidité de cinéastes débutants. Enfin bon, c’est surtout le son que l’on vous conseille d’écouter.

Alors décidément, Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède n’a pas été guillotiné tout à fait pour rien et a légué son nom à une rue où la bonne humeur règne, au moins le dimanche.

Avant de repartir vers une nouvelle rue à explorer, nous vous disons : « Saùde » !

Avenue de la Gare

13h11, un dimanche de janvier encore trop doux avec cet hiver qui ne vient jamais. Nous prenons place à bord du TER Aquitaine 866123 à destination du front du Médoc, sur la ligne du Verdon. 15 minutes plus tard, alors que nous sommes bercés par le ronronnement du TER, Excel nous ordonne de descendre : notre voirie à explorer ce jour est en vue. Nous voilà arrivés Avenue de la Gare … Saint Jean ? Que nenni, Excel est farceur, l’Avenue de la Gare est à Caudéran, à la frontière avec Mérignac.

AvenuedelaGare

Abjurons tout de suite nos péchés : nous ne sommes pas venus en train. Non pas faute de mauvaise volonté, mais la liaison Bordeaux – Le Verdon est assez peu fréquente le dimanche. Pour autant c’est bien par la gare que nous commençons notre visite de l’avenue éponyme.

Gare

Construite en 1933, la gare de Caudéran-Mérignac prend place sur la ceinture ferroviaire de Bordeaux pour desservir l’ouest bordelais, alors en plein développement. Le bâtiment révèle un charme désuet : petite gare aux accents art-déco, avec sa frise ornée de grappes de raisin qui nous rappelle que la route des châteaux n’est plus très loin, et que le secteur était jusqu’au début du 20ème siècle couvert par les vignes du Château Bourran tout proche, aujourd’hui devenu l’IUFM. L’urbanisation a définitivement gagné le secteur, et on a pu craindre pour la survie de la gare avec l’ouverture à deux kilomètres plus au Sud de la gare de Mérignac-Arlac, en connexion avec la ligne A du tramway. Mais on ne met pas fin si facilement à 80 ans d’histoire : enclavée, peu mise en valeur, mais vaillante, la gare de Caudéran-Mérignac a résisté, et sont ainsi venus s’ajouter au bâtiment historique quelques équipements plus modernes.

Frise_gare

 Téléphone

BLS

La présence de la gare a indéniablement contribué à la densification du quartier. On est ici à une vingtaine de minutes du centre de Bordeaux, et ce sont donc de nombreuses résidences modernes qui se dressent les unes à côté des autres dans l’avenue de la gare. Oh, pas de grande tour qui monte gratter le ciel, mais un ensemble de résidences de trois ou quatre étages plantées là pour accueillir une population urbaine en recherche de tranquillité.

L'Avenue de la Gare. A droite, l'Avenue Albert 1er (Mérignac).

L’Avenue de la Gare. A droite, l’Avenue Albert 1er (Mérignac).

Maisons mitoyennes et HLM du Clos Montesquieu (Mérignac)

Maisons mitoyennes de l’Avenue de la Gare et HLM du Clos Montesquieu (Mérignac)

Car le quartier est calme, pas de doute là-dessus. Marie et Jean-Louis, qui habitent depuis quinze ans dans une des maisons mitoyennes face aux petites tours HLM du Clos Montesquieu (qui elles sont sur la commune de Mérignac) nous vantent la douceur de vivre avenue de la Gare. Les logements sociaux construits récemment ? Aucun problème, le plus pénible pour Jean-Louis fut la concertation en amont du projet, « où l’on a entendu plein de peurs, de craintes inutiles, alors que tout se passe très bien. On a toujours peur de ce que l’on ne connaît pas, c’est dommage ». Et puis Jean-Louis est un enfant de Bacalan, mais « du vrai, à l’époque où Bordeaux était loin de nous » alors les soi-disant dangers de la mixité caudéranaise le font doucement rire.

Pour en apprendre plus sur l’histoire du quartier, Jean-Louis nous conseille d’aller sonner chez Colette, un peu plus loin. Bonne pioche ! Elle et son mari nous racontent le passé du quartier, avant les résidences : Lamourelle le concessionnaire de tracteurs Ford en face de chez eux, l’usine de poteaux et le marchand de bois un peu plus loin. En 1973, quand ils ont fait bâtir, il n’y avait qu’une poignée d’habitants dans la rue. Un passé aujourd’hui disparu et qu’ils regrettent un peu : le quartier a beaucoup changé ces dernières années, et leurs repères se sont évanouis au fur et à mesure. Ils ne se font d’ailleurs guère d’illusions et pensent que leur maison au grand terrain ne leur succédera pas : l’appétit des promoteurs sera trop féroce.

Ce que personne ne regrette en revanche, c’est l’occupation de la gare par les Allemands pendant la guerre. D’ailleurs, quand Colette et son mari ont fait construire, ils ont retrouvé dans leur terrain des fondations de baraquements militaires !

L’exploration de la rue se poursuit sur le côté Sud de la gare, avec l’IUFM en ligne de mire. Moins longue, cette partie de la voirie rassemble plusieurs résidences récentes, une station Bluecub, et le SIVU de Bordeaux-Mérignac, fournisseur officiel des repas des cantines pour les écoles et maisons de retraites bordelaises et mérignacaises depuis 2004. Tous les jours, ce sont 19 000 repas qui sont concoctés Avenue de la Gare, ce qui en fait certainement la rue de Bordeaux où l’on fait le plus à manger (non, vous n’avez pas préparé 19 000 repas pour l’anniversaire du petit dernier). C’est plein d’émotion que nous marquons une minute de silence en mémoire de la cantine de notre enfance : bataille de petit pois, mie de pain dans la carafe, et malédiction des choux de Bruxelles sont encore bien présents dans nos esprits.

Où la ville de Bordeaux réaffirme son intégrité territoriale face à l'impérialisme mérignacais.

Où la ville de Bordeaux réaffirme son intégrité territoriale face à l’impérialisme mérignacais.

La rue continue encore un peu, jusqu’à devenir mérignacaise, sans pour autant changer de nom. Notre code de déontologie nous empêchant formellement de franchir une telle frontière, nous arrêterons là notre description.

Nous voilà repartis sur nos pas, à la recherche d’une petite mousse quand soudain tel Richard Anthony, nous entendons siffler le train, ou plutôt la charmante voie de Nicole SNCF, qui nous annonce l’arrivée du 16h27 à destination de Lesparre (via « Mouli », Nicole, tu pourrais tout de même faire un effort sur la prononciation de nos bleds, surtout quand ils abritent de célèbres grands crus). Ni une ni deux, nous voilà sur le quai à attendre l’arrivée du monstre de fer.

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Arrivée du TER sous les ogives

Arrivée du TER sous les ogives

Agent SNCF émerveillée devant un flyer de Bordeaux 2066

Agent SNCF émerveillée devant un flyer de Bordeaux 2066

L’occasion de croiser Monsieur Cavalier, juché sur sa monture qui est en l’occurrence un vélo, et qui en bon ferrovipathe attend lui aussi de voir le train arriver et repartir. Retraité actif et habitant du quartier (mais côté Mérignac), il nous raconte son amour du rail, des locomotives à vapeur, des arrêts impromptus et des voyages d’antan quand aller à Paris était une « véritable aventure, alors que maintenant le TGV c’est certes rapide mais un peu triste ».

Avec Monsieur Cavalier

Avec Monsieur Cavalier

Vinjo est aux anges, lui qui partage cet amour pour le train, et songe sérieusement à fonder une section girondine des amateurs de voies ferrées.

L’émotion ferroviaire passée, il est temps de rafraîchir nos gosiers au Merle Blanc. Un merle blanc dites-vous… oiseau rare mais qui existe à l’image de ce bar-hôtel-restaurant dans lequel nous mettons les pieds. Ancien relais de gare, cet établissement  figé dans le temps est assez surréaliste, avec ses chambres à louer au mois et sa décoration pour le moins rétro. Le voici maintenant bloqué entre deux résidences de logements sociaux, et n’accueillant sûrement que trop rarement des voyageurs en transit, ou des meetings politiques.

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Entre deux gorgées de Heineken à 3 euros (oui, seul le prix de la consommation nous ramène durement de notre voyage au siècle précédent), la patronne nous explique les pressions qu’elle subit pour vendre son établissement, ses déboires avec l’administration municipale, son désamour pour la région, elle qui est arrivée de région parisienne « où il y a une bonne mentalité ». Bien que dépourvue de Picon, notre bière prend subitement un goût amer.

Au comptoir du Merle Blanc

Au comptoir du Merle Blanc

Ces terres viticoles, puis ferroviaires et industrielles, sont entrées de plein fouet dans la modernité de la métropole bordelaise ces vingt dernières années à grands renforts de béton, et il serait vain de s’en plaindre. Mais entre la gare, les repas municipaux, les résidences HLM et les maisons individuelles chacun a le droit de cultiver son jardin. Alors tout ce que l’on souhaite au Merle Blanc, c’est de siffler encore longtemps, à l’unisson du TER vers Le Verdon.

Il est grand temps de rentrer.

Il est grand temps de rentrer.

Bonus : Bordeaux 2066 avait encore un invité dans son équipe… il s’agissait cette fois de Mère Kro, dont la remarquable contribution nous fait entrer dans une nouvelle ère avec ce film unique digne des Frères Lumière : L’arrivée d’un train en gare de Caudéran-Mérignac

Terrasse du Front du Médoc

En nous amenant sur la Terrasse du Front du Médoc, Excel nous fait faire un voyage dans le temps.

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Pointe de Grave, printemps 1945.

Voilà désormais huit mois que 4 000 soldats nazis sont retranchés dans la Forteresse du Nord Médoc, un ensemble de 350 bunkers entre Soulac et Le Verdon. Huit mois particulièrement durs pour les résistants locaux et la brigade commandée par Jean de Milleret, alors que le reste de la Gironde était libéré depuis l’été 1944. Le 20 avril 1945, après 7 jours de combats violents, l’occupant est vaincu : le Front du Médoc est terrassé, non sans y faire tomber plus de 1 300 hommes, et le béton des bunkers n’est désormais plus confronté qu’aux assauts de l’océan et aux graffeurs.

Après la guerre, la vie quotidienne peut reprendre son cours dans le Médoc, tandis que la capitale girondine, désormais dirigée par l’ancien résistant Chaban, se modernise tous azimuts. Le symbole le plus spectaculaire de cette modernisation d’après-guerre, c’est certainement l’opération Mériadeck.

Bon si tu es un Bordelais moyen, Mériadeck ça doit symboliser pour toi le jour où tu es allé chercher ton permis en préfecture, les courses que tu te tapes toutes les trois semaines au Auchan, ou encore la fois où tu es allé chercher furax ta Peugeot 205 à la fourrière. C’est aussi ce quartier que tu n’as jamais trop assumé : « Putain c’est quand même beau Bordeaux, dommage qu’il y ait cette horreur de Mériadeck », et quand tu rêvasses dans la ligne A, tu contemples cette forêt de tours administratives un peu surréaliste, et tu te dis : « On en a quand même fait des conneries dans les années 1960 ».

Ou alors, si vous avez un certain âge (oui, on repasse au vouvoiement dans ce cas), vous avez peut-être connu ce quartier un peu cradingue, avec son marché aux puces, ses troquets mal famés et ses putes. « Mériadeck c’était des bordels », aurait déclaré Jacques Chaban-Delmas un jour où il était moins inspiré que d’habitude.

Les premières destructions de Mériadeck en 1955 (source : http://meriadeck.free.fr)

Les premières destructions de Mériadeck en 1955 (source : http://meriadeck.free.fr)

Bref, devant l’étendue de l’insalubrité du secteur, et comme à l’époque on ne faisait pas dans la dentelle, une grande opération de destruction du quartier est lancée en 1955, et le Mériadeck actuel commence à prendre forme dans le début des années 1970.

Mériadeck aujourd'hui

Mériadeck aujourd’hui

Les ruelles crasseuses de l’époque laissent place à urbanisme sur dalle en contre-haut des grandes artères de circulation. Un morceau de la dalle portera le nom de « Terrasse du Front du Médoc », comme si le béton moderne de Mériadeck voulait effacer définitivement le béton des bunkers nazis du Verdon.

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Pim (qui vient de se faire voler son vélo, bah ça alors ça tombe bien : le commissariat central de Bordeaux est justement à Mériadeck) et Vinjo (qui connaît déjà les lieux pour être allé chercher sa belle voiture à la fourrière quelques jours plus tôt, participant ainsi à l’effort national de renflouement des caisses de l’Etat) se donnent rendez-vous à la station de tram Mériadeck, descente des voyageurs côté gauche.

Le tram et ses pieds de vigne au pied de la Terrasse du Front du Médoc

Le tram et ses pieds de vigne au pied de la Terrasse du Front du Médoc

L’accès à la Terrasse du Front du Médoc se fait par un escalier aux odeurs mêlant urine et javel, puis elle nous apparaît, avec sa forêt de tours cruciformes, un signe de ralliement architectural du Mériadeck moderne.

Les promeneurs que nous sommes peuvent ainsi embrasser du regard le Trésor Public, un côté du Auchan, Pole Emploi, le Rectorat, des services de la CUB et du Conseil Général, et quelques tours d’habitation. Malgré quelques buissons, l’ensemble est très minéral, et en ce dimanche on ne peut pas dire qu’il y ait foule sur la dalle.

L’endroit est cependant loin d’être désert, puisque durant notre promenade dominicale nous avons pu côtoyer :

– des adolescents qui profitent de la dalle aux nombreux recoins anguleux pour faire du skateboard

– un vigile qui nous a plus ou moins suivi, trahissant mal son oisiveté ;

– des grandes et jolies filles, aussi peu vêtues que taiseuses, faisant un « shooting » au pied des tours accompagnées de photographes et cameramen (non nous ne les avons pas prises en photo, ne voulant pas passer pour des goujats lubriques) ;

– quelques paumés plus ou moins inquiétants ;

– Claudine et Bobby, postés sur la passerelle qui enjambe le tramway, contemplatifs devant la mer de béton comme les soldats devaient l’être en leur temps face à l’océan sur le front du Médoc.

Claudine et Bobby ne sont pas des citadins pur jus, puisque six mois de l’année ils résident au fin fond des landes girondines, avec leurs premiers voisins à 800 mètres. Mais voilà, Bobby n’a plus 20 ans, il se déplace en déambulateur, et si un jour il se casse la figure et qu’il y a du verglas sur la haute lande, comment elle fait Claudine ? La sagesse et la proximité de leurs enfants et petits-enfants les a incité à investir dans un studio à Mériadeck, là où le paysage pourrait difficilement être plus urbain. Forêt de tours l’hiver, forêt de pins l’été, notre couple de retraités aime être entouré.

Chez Claudine et Bobby l'été

Chez Claudine et Bobby l’été

Chez Claudine et Bobby l'hiver

Chez Claudine et Bobby l’hiver

Claudine a connu le Mériadeck d’antan, elle y travaillait même comme employée de bureau, et aimait l’ambiance franchement populaire des puces de l’époque. Mais le Mériadeck moderne ne lui déplaît pas non plus. Oh bien sur ça n’est pas très beau, m’enfin tout est à portée de main, et si on veut voir de belles pierres le centre historique de Bordeaux n’est qu’à cinq minutes à pieds. Il n’y a que la nuit que Claudine ne recommande pas Mériadeck, les recoins et les arbustes étant propices aux agissements des dealers. Un peu comme si la nuit les fantômes du Mériadeck oublié, crasseux et mal famé, se rappelaient aux bons souvenirs du Mériadeck bureaucratique et procédurier d’aujourd’hui.

Bobby, lui, était prof de maths dans différents établissements de Gironde. Un métier qui suscite peurs et répulsion chez les jeunes, ce qui l’amuse encore aujourd’hui. Comme Bordeaux 2066, Bobby s’intéresse au patrimoine et aux vieilles pierres, mais plutôt à la campagne en ce qui le concerne. Alors quand l’automne l’arrache à sa pinède, il profite d’être à Mériadeck pour emprunter des bouquins à la bibliothèque.

 Allez, courage, on s’en sortira, Bobby et Claudine sont optimistes. Claudine a toujours une place assise dans le tramway laissée par un jeune. Et Bobby est persuadé que derrière chaque jeune se cache une réussite potentielle. Seulement, il faut mettre le paquet dans l’éducation. « Les enfants, c’est très rigolo à faire, mais après il faut s’en occuper » ajoute-t-il l’œil plein de malice.

Claudine et Bobby

Claudine et Bobby

C’est sur ces belles paroles que nous laissons notre couple jovial regagner sa tour, avant de regagner l’infinie lande au printemps prochain. Le jour décroît sur Mériadeck, et la Terrasse du Front du Médoc se fait franchement vide. Pour la traditionnelle bière post-visite, il faudra une fois de plus repasser, l’unique débit de boissons de la rue (qui n’en est pas vraiment une) n’étant ouvert que le midi et en semaine.

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C’est donc un midi de semaine que nous repassons à la brasserie Elixor, au pied de la Tour Guyenne, pour boire un demi de Heineken à 3€ et manger une formule du midi d’un bon rapport qualité-prix (12€). Si comme nous vous venez un jour où il fait beau vous pourrez manger en terrasse, observer les encravatés aller et venir au pied des tours, ainsi que le ballet des dépanneuses de la fourrière s’engouffrant dans le parking du Front du Médoc. En voyant le soleil éclairer l’église Saint-Bruno, entre la tour du rectorat et la tour de la CUB, et en dominant le tramway et les automobilistes du haut de votre dalle, vous vous direz peut-être : « Finalement, on n’était pas si cons dans les années 60 ».

Santé !

Santé !

BONUS : vous vous souvenez de Monsieur Petit-Germot ? Il possède un bouquin sur le Mériadeck d’antan, alors vous pouvez passer le voir à son bistrot !

BONUS 2 : à défaut, on vous conseille un site très complet sur Mériadeck et sa transformation.

Rue de Talence

C’est par un samedi après-midi ensoleillé qu’Excel a décidé de nous emmener dans une rue au nom doucement exotique, une rue qui fleure bon le dépaysement, l’évasion et le voyage : la rue de Talence.

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Pour nos lecteurs d’Allemagne, des Etats-Unis, du Vénezuela et d’Australie, Talence est une ville de la première couronne bordelaise.

Bonjour aux robots mais aussi aux vrais gens qui nous lisent à travers le Monde.

Provenance des clics sur le blog : bonjour aux robots mais aussi aux vrais gens qui nous lisent à travers le Monde.

C’est tout de même, notons le, la 4ème ville la plus peuplée du département. Longtemps rurale, elle a connu son essor à la fin du XIXè et au début du XXè siècle avec le développement de nombreuses activités industrielles (métallurgie, chimie, chaussures etc.) et l’installation du campus universitaire dans le début des années 1970. On pourrait encore vous en dire des choses sur cette ville qui a vu naître Jérome Cahuzac, José Bové, et des membres de nos familles, mais ce blog ne s’appelle pas encore Talence 1 155 ou CUB 15 647 (chiffres arbitraires et non vérifiés) … revenons en donc à notre rue du jour.

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Pas de surprise en arrivant : on est une fois de plus dans le paysage classique des quartiers périphériques bordelais… ce tissu d’échoppes proche des boulevards qui comprend de nombreuses rues paisibles aux maisons basses et bien alignées.  Rue de Talence, on remarque tout au plus quelques œuvres d’art urbain, ainsi qu’une belle déclaration d’amour à Mimi. Notre Mimi de la Place Saint-Martial ? Mystère et boule de gomme…

Une rue pleine de sensualité

Une rue pleine de sensualité

Les 2Be3 à l'honneur rue de Talence

Les 2Be3 à l’honneur rue de Talence

Un admirateur de Mimi

Un admirateur de Mimi

Que dire au-delà de ces écritures murales ? Il faut bien le reconnaître, la rue est calme, très calme.  On y croise un quinquagénaire sortant de sa voiture, qui vit ici depuis une vingtaine d’années sans se plaindre, hormis du stationnement de plus en plus difficile. Puis  nous croisons Marie, dame blonde sortant de chez elle à vélo, et qui croyant que nous sommes en prospection immobilière nous lâche un cri du cœur : « C’est génial ici ! », citant pêle-mêle le calme, le tissu commerçant des boulevards, la proximité des cinémas de Talence…

C'est tout de même très calme...

C’est tout de même très calme…

A l'angle de la rue de Ségur, une maison avec des éléments art-déco

A l’angle de la rue de Ségur, une maison avec des éléments art-déco

Finalement, l’élément le plus remarquable de la rue, et qui vient casser l’alignement résidentiel, c’est bien l’école élémentaire Jacques Prévert. Mais déjà que c’est toute une histoire de renvoyer les drolles à l’école le mercredi, alors vous vous doutez bien que le samedi nous avons trouvé porte close. Mais pour ne pas arrêter si vite l’investigation et viser le prix Albert Londres, Bordeaux 2066 a décidé de passer un petit coup de fil à la directrice, qui nous a aussitôt aiguillé vers Madame Comeres, qui est « dame de cantine » ici depuis 1982.

L'école élémentaire Jacques Prévert

L’école élémentaire Jacques Prévert

Parfaite ressource pour le blog, Madame Comeres est de plus très bavarde (bah quoi, vous ne croyiez tout de même pas qu’on n’allait pas la faire ?). Alors c’est à 7h30 du matin un jour de la semaine qui suit notre première visite, avant l’arrivée des 170 enfants de l’école, qu’elle nous accueille gentiment et nous raconte quelques souvenirs. Avant, il y avait des maternelles et des primaires, séparés par un mur. Maintenant, les maternelles vont rue de Ségur, le mur est tombé, et Jacques Prévert est devenue une grande école élémentaire pour tous les gamins du quartier.

Madame Comeres aime son métier, surtout grâce au contact avec les enfants et leurs parents qui sont très gentils. Ici c’est un secteur résidentiel assez aisé, alors ça n’est pas un public à problèmes. Une fois sortis de l’école, les enfants vont au collège Alain Fournier, puis, s’ils poursuivent en filière générale, vers le prestigieux Lycée Magendie situé juste au bout de la rue. En 30 ans de carrière sur place, Madame Comeres a tout le même eu droit à quelques péripéties cocasses, comme cet agent de la circulation fétichiste des costumes qui est allé jusqu’à mettre le feu lui-même pour voir arriver les pompiers en tenue, ou encore comme ce voleur rusé qui est entré dans l’école car il « cherchait son chien », et qui est ressorti sans canidé mais avec argent et bijoux. Il aurait fallu lui faire montrer patte blanche…

Madame Comeres n’a finalement qu’un regret : la transformation de la cantine en self-service, qui fait qu’elle côtoie moins directement les petits.

Madame Comeres, 31 ans au service de l'école Jacques Prévert

Madame Comeres, 31 ans au service de l’école Jacques Prévert.

Fermons cette parenthèse scolaire, et revenons-en à notre visite initiale du samedi après-midi. En remontant la rue vers les boulevards, là où la rue de Talence aboutit sur la commune de… on vous le donne en mille : Talence, une boutique à l’angle attire l’œil des curieux en proposant des sacs publicitaires. 

A l’intérieur, c’est le sémillant Jean-Baptiste Caiveau qui est aux commandes. Arrivé de région parisienne il y a maintenant six ans, Jean-Baptiste possède plusieurs casquettes puisqu’il est responsable de l’association « Portes de Talence », c’est-à-dire l’association des commerçants de la Barrière Saint-Genès, et qu’il exerce également des fonctions au sein du Groupement des Entrepreneurs Talençais. On signalera que le groupement n’est pas sectaire, puisque le business de Jean-Baptiste se situe bel et bien encore sur la commune de Bordeaux. Bien que son local soit visible et qu’il ambitionne d’en faire un show-room, le truc de Jean-Baptiste, c’est le e-commerce, et son entreprise « Le sac publicitaire » a des clients dans le monde entier mais finalement assez peu en Gironde, déplore-t-il. Peut-être aurait-il du plutôt s’appeler « La poche publicitaire », lui a glissé un peu insolemment Bordeaux 2066. En attendant, Jean-Baptiste est intarissable sur les sacs à poignées torsadées, à poignées plates, en plastique, en papier kraft, etc…

Jean-Baptiste, loin d'être habillé comme un sac.

Jean-Baptiste, loin d’être habillé comme un sac.

Pour l’heure, c’est plutôt l’option sac à gnole que choisit Bordeaux 2066, puisque nous avons fini d’explorer notre rue, et qu’on est samedi accessoirement.

Le bar le plus proche est situé de l’autre côté des boulevards, et donc oui nous avons enfin franchi le pas : de la rue de Talence nous sommes passés à la commune de Talence, et nous poussons la porte du Cohiba. Ce bar au nom de cigare cubain est un lieu qui abritait jusqu’à peu le restaurant « Le Landais », connu des locaux, et qui aujourd’hui dénote un peu avec sa façade noire et violette (qui de l’avis du patron, n’aurait jamais été autorisée de l’autre côté du trottoir, où commence Bordeaux et donc le périmètre Unesco). Pour qui a l’idée de pousser la porte, la surprise est bonne. A peine entré, on se sent tout de suite à l’aise. Tenu par deux jeunes associés l’endroit est chaleureux, on s’y sent au calme pour une soirée pépère en dégustant des tapas audacieuses et délicieuses (frites de patates douces, nems au Saint-Marcellin,  etc.). Mais le Cohiba ça n’est pas que cela : c’est aussi un endroit pour faire la fête ! Florian le barman-associé, anciennement vendeur de voitures, nous montre les photos de quelques soirées … Les nuits talençaises semblent longues et on se promet d’y revenir : honnêteté journalistique oblige bien sur !

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C’est une Belzébuth que nous buvons à Talence pour clôturer l’exploration de la rue du même nom, à la santé des écoliers de Jacques Prévert et des poches publicitaires de Jean-Baptiste. Allez, on reboit une tournée, et promis on rentre à Bordeaux !

BONUS : vous êtes un peu perdus dans vos opinions politiques ? Rue de Talence, un colleur d’affiches propose un système plein d’avenir :

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Place Saint-Martial

Tirage au sort doublement inédit pour Bordeaux 2066 :

  • pour la première fois nous tirons au sort une place (on vous rappelle qu’il y en a tout de même 113 dans Bordeaux !)
  • pour la première fois nous nous rendons dans le quartier des Chartrons.

Direction la Place Saint-Martial donc, dans la douce euphorie d’un dimanche d’automne ensoleillé.

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Une place, aux Chartrons… Un sacré nid à bobos certainement ! Bande de mauvaises langues, pas du tout !

Nous arrivons sur la Place Saint-Martial par le Cours Balguerie-Stuttenberg, en un point où le tissu résidentiel et commerçant commence à se diluer dans les vieux espaces industriels annonçant les Bassins à flot tout proches.

La Place Saint-Martial, ce sont en fait fonctionnellement parlant deux places. En effet l’église Saint-Martial, bâtie au 19ème siècle dans un style rappelant les églises romaines, trône au milieu de la place et donc la coupe en deux parties distinctes.  Côté pile : un parvis engravillonné avec quelques arbres, des bancs et une station VCub. Côté face : un parvis pavé et minéral, plus petit et plus intime.

On notera que côté pile se tient tous les vendredis matin un petit marché de quartier. Il y a une logique à tout, puisqu’il fut un temps où se tenait devant l’église Saint-Martial un marché permanent sous une halle métallique.

Place Saint-Martial côté pile.

Place Saint-Martial côté pile.

Place Saint-Martial côté face

Place Saint-Martial côté face

Perspective depuis la rue Denise

Perspective depuis la rue Denise

On commence par chercher sur la place une clé USB … oui oui … apparemment c’est une installation artistique qui a poussé on ne sait qui à installer des clés USB en divers points de la Ville. Pas très douée, l’équipe de Bordeaux 2066 n’a pas trouvé la clé qui est en fait incrustée dans le mur de l’église comme le montre le site officiel de Dead Drops, du nom du mouvement qui cimente ainsi les données dans les murs des villes. Par contre, nous offrons volontiers une bière à qui possède un IPad ou outil du genre, et serait prêt à aller voir ce que contient cette fameuse clé USB de la Place Saint-Martial.

A défaut de clé, on trouve un assemblage assez hétéroclite sur les côtés de la place : immeubles en pierre bordelaise de deux ou trois étages, des maisons rénovées dans le style après-guerre, les grilles abritant l’US Chartrons (attention si vous cliquez, leur lipdub est sympathique mais donne un peu le mal de mer), un centre de yoga, un magasin de jouets, un salon de massage, un électricien, un petit pressing, ainsi que l’ancien presbytère devenu foyer pour personnes en cours de réinsertion…

Immeuble abandonné

Immeuble abandonné.

Un bel immeuble à l'angle de la rue Sainte-Philomène

Un bel immeuble à l’angle de la rue Sainte-Philomène

L'US Chartrons

L’US Chartrons

Quelques pensionnaires du foyer sont d’ailleurs en train de prendre la tiédeur de l’après-midi sur les bancs de la place. On aperçoit alors à leur fenêtre trois jeunes autochtones qui nous confirment que les personnes accueillies au foyer font partie intégrante du paysage de la place. Jamais méchants, jamais agressifs, mais souvent avec l’envie de causer. Un peu comme Bordeaux 2066 finalement !

L'ancien presbytère devenu foyer de réinsertion.

L’ancien presbytère devenu foyer de réinsertion.

Nos autochtones, ou plutôt Fred, Elo et Mimi (à ne pas confondre avec Mimimi) nous décrivent une place calme et agréable à vivre. En fumant sa cigarette, Fred discute parfois avec les gars du centre de réinsertion. Il préfère leur compagnie à celle de la fourrière, qui vient régulièrement faire du vide autour de l’église Saint-Martial. Elo quant à elle apprécie de vivre dans un quartier où les prénoms féminins sont à l’honneur, puisque la rue Denise et la rue Joséphine prennent naissance sur la Place Saint-Martial.

De gauche à droite : Fred, Mimi et Elo

De gauche à droite : Fred, Mimi et Elo

Un peu plus loin, ce sont Michel et Daniel que l’on croise sur la place. Côté face cette fois-ci. Ils viennent tranquillement, et en chaussons, tuer le temps sur la place. D’ailleurs ils réclament des bancs en meilleur état, revendication légitime vu qu’ils en sont les principaux usagers.

Si Fred, Elo et Mimi sont arrivés depuis peu dans le quartier, Michel et Daniel sont eux des anciens. Ils nous racontent la place animée, ses bars, ses commerces etc.

Débranché, notre compagnon de route du jour, se gratte la tête en songeant aux deux troquets disparus qui lui font face.

Débranché, notre compagnon de route du jour, se gratte la tête en songeant aux deux troquets disparus qui lui font face.

Maintenant, le bar le plus proche de la place est Cours Balguerie-Stuttenberg, à l’angle du Cours du Médoc. C’est le Ranelagh, qui fait aussi tabac. Nous nous y dirigeons pour y boire le traditionnel demi post-découvertes (NB : allez chers lecteurs, nous avouons la supercherie, le Ranelagh étant fermé le dimanche nous y sommes retournés un soir de semaine. Bordeaux 2066 ne recule devant aucun sacrifice).

Au Ranelagh on remarque tout de suite une forte présence de  la Française des Jeux, et une clientèle diversifiée. Ce soir là ça parlait français, portugais, bulgare et anglais (une brave dame avait lost her wallet, mais heureusement le wallet a été retrouvé sous nos yeux soulagés). Voilà qui vient parfaitement illustrer les propos de Monsieur Petit-Germot, un des associés qui tient le bar. Chartronnais pur jus, puisqu’il est né sur le Cours Balguerie-Stuttenberg, il nous raconte que le quartier a toujours mélangé toutes les classes sociales, toutes les ethnies et toutes les religions.

Quoi de commun entre un ouvrier, un petit commerçant, et un gros négociant en vins de la rue d’Aviau ? Tous ces personnages se trouvent aux Chartrons, et se côtoient quotidiennement même s’ils ne se parlent que peu.

Notre barman connaît bien l’univers du petit peuple des Chartrons, puisqu’il en a lui-même fait partie. Sacré personnage ce Monsieur Petit-Germot, avec son humour très pince-sans-rire et son look rappelant vaguement Jean-Pierre Coffe. Il a commencé par vendre des fleurs à la sauvette, il a tenu plusieurs charcuteries, il a voyagé… avant de reprendre le Ranelagh dans la rue qui l’a vu naître. Le bar aussi l’a vu naître d’ailleurs, puisque le Ranelagh qui s’appelait autrefois le Bar de la Paix a 120 ans, soit quasiment deux fois l’âge de Monsieur Petit-Germot.

Monsieur Petit-Germot, derrière le comptoir du Ranelagh

Monsieur Petit-Germot, derrière le comptoir du Ranelagh

Babeth, qui habite dans le quartier « seulement » depuis 1976 se réjouit pour nous : « Vous êtes vraiment tombés sur le bon interlocuteur, il connaît tout sur le quartier ». En effet. Il nous raconte la Place Saint-Martial de son enfance, peuplée d’ouvriers, animée par le marché et de nombreux commerces de proximité. Tout cela a commencé à décliner avec l’âge d’or de la grande distribution, et d’ailleurs le Leclerc du Cours Saint-Louis tout proche est paraît-il le premier supermarché de Bordeaux ! Il nous décrit également les différents petits métiers qui rythmaient la vie du quartier et qui sont aujourd’hui disparus : rémouleurs, chiffonniers, ferrailleurs…

Nostalgique notre barman du Ranelagh ? Pas du tout. Se lever à 5h du matin quelque soit la météo, ça n’est pas une situation enviable, et tous ces gens n’avaient pas une vie facile.

Vous aimez les anecdotes sur le Bordeaux disparu, sur les petits métiers d’autrefois, sur l’époque où Mériadeck était un quartier insalubre et mal famé ? Alors venez faire un tour au Ranelagh : discuter avec Monsieur Petit-Germot, et feuilleter les quelques livres qu’il possède sur l’histoire de la Ville.

En parlant d’histoire, savez vous qui est Saint-Martial ? C’est un évêque limougeaud du 3ème siècle après Jésus-Christ. Il aurait à l’époque éteint un incendie qui menaçait notre chère ville simplement avec son bâton. Ca méritait bien une église et une place à son nom aux Chartrons non ?

Santé, amigos !

Santé, amigos !

BONUS : saviez-vous qu’il existait un cimetière juif sur le Cours de la Marne ? C’est au numéro 105, entre une agence immobilière et un salon de coiffure, derrière une grille. Pour le visiter, il faut aller à la synagogue proche du Cours Pasteur demander la clé. Ils vous la donneront… peut-être ! Merci à Monsieur Petit-Germot pour le tuyau !