En ces périodes troublées dans la géopolitique mondiale, et pour la visite de notre 50ème rue, Excel nous envoie explorer une frontière hautement sensible et stratégique. Après la rue du Grand Maurian il y a quelques mois, voici donc notre seconde incursion en terre saint-augustinoise, excroissance bordelaise piquée en son temps à l’imposant voisin mérignacais par la volonté du premier magistrat David Jonhston.
Et puisque le recyclage est une pratique encouragée pour la survie de notre planète, Bordeaux 2066 participe à l’effort global et ne résiste pas à l’envie de recycler le rébus alors partagé sur notre page Facebook pour faire deviner le nom du quartier visité :
Direction la rue Emile Combes, qui a la particularité de marquer la frontière entre Mérignac et Bordeaux sur l’intégralité de sa longueur, à savoir tout de même 1,4 kilomètres, de la station de tram François Mitterrand jusqu’à l’entrée de la Rue Genesta dont les vieux de la vieille se souviendront avec émotion. 1,4 kilomètres, je vous le donne en mille, Emile, c’est quasiment un mile. Bon à 200 mètres près, mais cela en fait en tout cas la plus longue rue visitée par le blog à ce jour.
Notre blog ne traitant que de Bordeaux, et le règlement intérieur (non écrit) étant trrrrrèèès strict, nous avons un temps envisagé de ne vous parler que de la partie bordelaise de la rue, à savoir le trottoir de droite lorsque l’on remonte vers le nord, mais finalement dans un geste d’apaisement envers nos lecteurs mérignacais nous consentirons à décrire également le trottoir d’en face, voire même pourquoi pas à sourire aux quelques passants qui s’y tiennent.
Notre promenade commence près de la station de tram François Mitterrand, sur la grande avenue du même nom, où la rue Emile Combes se termine étrangement par deux potelets la transformant de facto en impasse.
A notre droite : Bordeaux, où se tient une grande demeure bourgeoise divisée en trois appartements. A notre gauche : Mérignac, où la Résidence Arabella bouche quelque peu l’horizon avec ses sept étages avouons-le pas follement enthousiasmants sur le plan architectural.
Bordeaux la bourgeoise, où l’on se pavane dans des salons dorés en contemplant par derrière les rideaux de soie les gueux mérignacais entassés dans leurs immeubles bon marché ? On vous arrête, la suite de la rue Emile Combes ne nous permettra pas de tirer ce genre de conclusion, et outre les panneaux et le code postal, rien ne ressemble plus à un trottoir de la rue Emile Combes que le trottoir d’en face de la rue Emile Combes.
Ce qui est assez singulier en revanche, c’est le tracé de cette rue, qui n’a de cesse de se contorsionner et de changer de direction à chaque croisement. On s’en doutait un peu en visitant : la rue marque bien une ancienne limite de domaine, qui n’était autre que celui du Grand Maurian, déjà évoqué plus haut.
Les plus férus d’histoire d’entre vous trouveront leur bonheur sur ce lien qui montre les plans du quartier en 1828, où l’on constate donc que la rue existait déjà. On relèvera néanmoins qu’à cette époque le sénateur et Président du Conseil Emile Combes n’était pas encore né, et que la rue portait le nom de « Chemin du Pont Cassé ». Et comme la vie est faite de frustrations, nous sommes incapables d’expliquer l’origine de cet ancien nom.
La rue Emile Combes égrène échoppes bordelaises (ou mérignacaises !), petits immeubles collectifs et anciennes propriétés bourgeoises, dans un décor très typique de nos quartiers périphériques, jusqu’à un changement d’ambiance à l’approche de l’église Saint-Augustin et donc du centre du quartier. La circulation automobile se montre plus dense, et la rue Emile Combes se fait commerçante puisqu’on y trouve pêle-mêle agence immobilière, caviste, crêperie, opticien, magasins de prêt-à-porter, enseigne où on vous promet de maigrir et une inévitable banque, « parce que le monde bouge » paraît-il.
Notre visite tardive ne nous permet pas de visiter toutes ces enseignes, mais on mentionnera néanmoins plus particulièrement « Cafés Dolce », lieu repris récemment par Sabine qui était depuis 12 ans « Café Mogy » (le lieu, pas Sabine). On peut y déguster plus de 100 variétés de thés et cafés, ou bien participer le samedi à un atelier de caféologie pour en savoir un peu plus sur ce breuvage à consommer avec modération.
Après cette pause café, la rue reprend son aspect tranquille, principalement composé de jolies échoppes fleuries. On croyait vous avoir débusqué une secte ou un club échangiste, mais finalement « Bordeaux Libre » est une simple maison d’hôtes décrite par son site internet comme étant « au cœur de Bordeaux », ce qui procède d’une plaisante vision de notre ville en l’an 2350.
Un peu plus loin sur la droite, se trouve le collège Emile Combes, collège bordelais donc où ne sont scolarisés que les enfants du trottoir de droite. Les ados mérignacais sont donc invités à faire un peu de sport et à se rendre au collège Bourran, à 2,5 kilomètres de là.
Pour faire un bon article, Bordeaux 2066 aime tomber sur de vrais spécimens bordeluches au langage cru, ravis de partager leurs truculents souvenirs. Peine perdue dans le policé et globalement bourgeois Saint-Augustin se dit-on, avant de tomber sur le club de pétanque du quartier, fréquenté par des papés du genre pas intimidés de nous voir débarquer.
D. ouvre la conversation, embrayant immédiatement sur ces « branques de Parisiens qui te rachètent une ruine à 400 000€ », puis coupé tout de suite par un de ses acolytes : « Mais bougre d’âne, fais attention : qui te dit que ces messieurs ne sont pas des Parisiengggs ? ».
D. est un immigré. Originaire des Capucins, c’est l’amour de « sa bourge » qui l’a porté vers Saint-Augustin, quartier agréable et commerçant certes, mais « où même les pauvres se regardent marcher ». S’en suivra le récit de réjouissantes tranches de vie de la belle époque où « à Bordeaux il y avait un bal tous les soirs, et il n’y avait pas besoin de se protéger pour sabrer une gonzesse », et où on pouvait aller sur les quais « à 11 dans la décapotable, même complètement défoncés ».
D. n’aime pas trop la façon dont évolue Bordeaux, principalement en raison des bars qui disparaissent, et là dessus on ne peut que l’appuyer. Quand il se promène dans le quartier, D. déplore de voir par la fenêtre des jeunes rivés à leur ordinateur, au lieu d’aller échanger avec les voisins. L’occasion d’en remettre une petite couche sur les Parisiens, ces gens « qui te regardent comme si tu sortais du zoo de Vincennes quand tu leur dis bonjour ».
C’est vrai que les bars ont tendance à disparaître dans les quartiers périphériques et que la vie y est souvent anonyme, mais heureusement certains luttent contre ce phénomène et de nouvelles enseignes s’ouvrent. Rue Emile Combes, c’est Léo, enfant du quartier, qui s’y est collé. Il a repris il y a moins d’un an un ancien dépôt-vente de vêtements, et y a installé un resto-snack à bas prix mais néanmoins de qualité : la Cantine Gourmande. La bonne nouvelle, c’est que la mairie l’a autorisé à louer le petit square qui fait face au restaurant, et donc à y installer tables et jeu de fléchette, créant une sympathique ambiance de pique-nique entre copains.
Pour ceux qui sont inspirés, Léo propose de laisser sur un papier des idées de recettes de burger, et procède ensuite à un tirage au sort pour désigner « le burger du moment ».
Et pour tenter de recréer un de ces bals chers à D., Léo est actuellement en pourparlers pour avoir l’autorisation de diffuser un peu de musique live en début de soirée. Pas de quoi créer d’esclandres dans le paisible quartier de Saint-Augustin, ni de dérapages verbaux comme ceux, en 1905, du ministre Camille Pelletan sur les Corses, que son chef de gouvernement, un certain Emile Combes, avait attribué à « la chaleur communicative des banquets ».
Une simple San Miguel dégustée en fin de visite ne sera pas assez pour nous faire céder à cette chaleur des banquets, mais la douce mousse est largement suffisante pour nous (Emile) combler de joie après ce périple frontalier.