Rue de Mulhouse

 

Comme vous le savez si vous nous suivez sur Facebook, nous partageons souvent les points de vue de nos amis de Deux Degrés : agence d’urbanisme décomplexée. Pour cette 56ème rue, c’est donc Mathieu de Deux Degrés qui prend la plume et nous donne sa vision de la rue de Mulhouse ! 

Que dire sur la rue de Mulhouse ? 150 mètre d’échoppes plus ou moins cossues et d’Audi garées au coeur des quartiers résidentiels chics de la barrière de Saint-Médard. Depuis les trottoirs, nous devinons les jardins derrière les grandes vérandas colorées. Rue de Mulhouse, les habitants sont paisiblement heureux. Nous les imaginons déambuler joyeusement dans les allées du Parc Bordelais le dimanche après-midi avec leurs enfants à la scolarité exemplaire. « Imaginer » car soyons honnêtes, il n’y a personne dans la rue à qui demander ce qu’il se passe vraiment par là. Alors que nous entamons notre deuxième aller-retour, un bruit léger nous interpelle. Que se passe t-il ? Un mouvement. Quelqu’un bouge. Un sénior sort doucement de sa maison. Nous nous approchons respectueusement de lui pour l’interroger sur le quotidien de la rue de Mulhouse. En vain, il refuse de nous répondre, probablement de peur de venir troubler la quiétude du lieu. Il partira silencieusement vers son break Dacia Lodgy.

Mini vs Twingo : le grand combat

Mini vs Twingo : le grand combat

Peu à peu, la rue s’anime.  Mais ici, les drames du quotidien, que ce soit la pauvre jeune femme qui a perdu son beagle ou ce jeune homme préoccupé par le rangement de ses clubs de golf, ne parviennent pas à troubler le calme de la rue. Même l’agitation liée à la proximité de la belle-famille de Julien Courbet  ne semble pas pouvoir perturber la tranquillité résidentielle par ce bel après-midi d’automne.

Faute de bars à proximité, nous poursuivons vers la pâtisserie du coin pour la traditionnelle bière. La caissière, une habitante de Saint-Michel, nous confie qu’ici, c’est calme. Très calme. Peu de problèmes à l’horizon hormis quelques personnes âgées malpolies.

Consciencieux et l’esprit en alerte grâce à notre précieux breuvage, nous retournons direction rue de Mulhouse. Nous espérons bien y trouver quelque chose à dire. Nous sommes plus attentifs aux passants, à l’ambiance. Une vieille dame en doudoune passe, un père de famille en foulard remonte la rue silencieusement. Les regards sont bas. Le silence pesant lorsque les gens se croisent. Comme s’il y avait de la méfiance dans l’air. Oui, derrière les vieilles pierres des maisons, nous ressentons un malaise, un mal profond. Le calme de la rue ne parvient pas à dissimuler la tension qui règne par ici. Les gens refusent d’en parler mais il ne fait aucun doute que la suspicion règne entre les voisins. Le doute est là. Les sourires de façade ne parviennent pas à masquer le terrible bouleversement en cours. Ce qui se joue rue de Mulhouse laisse planer une chape de plomb pesante par dessus les verdoyants jardins de ce lotissement des années 1870. Ce qui se trame rue de Mulhouse immisce le doute au plus profond des foyers. Les habitants de la rue sentent que toutes leurs certitudes peuvent bientôt voler en éclat. Tout ce qu’ils ont connu ne sera peut-être plus dans les jours à venir, quand un voisin glissera dans l’urne son bulletin François Fillon pour les primaires des Républicains. Voter François Fillon ? A Bordeaux ? Face à Alain Juppé ? Pourquoi ? Mais pourquoi ? Quel serait la signification d’un tel geste au coeur de ce quartier baigné depuis si longtemps par la douceur bienveillante d’Alain Juppé ? Nul ne le sait. Mais le doute est là. Il y a un filloniste rue de Mulhouse. Peut-être cet homme avec sa doudoune matelassée ? Peut-être cette jeune maman avec ses élégantes chaussures vernies ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais une chose est sûr, rien ne sera jamais plus comme avant rue de Mulhouse. Quelqu’un va voter François Fillon à la primaire des Républicains.

p1050896

Tout est calme, trop calme

 

Tradition & modernité

Aujourd’hui, 20 jours après cette visite, nous n’osons imaginer l’état de tension régnant rue de Mulhouse. Les voisins se salueront-ils lorsqu’ils se croiseront au bureau de vote dimanche ? Rien n’est moins sûr. Voilà de quoi geler l’animation de la rue pour quelques années encore.

 

Jour de fête rue de Mulhouse

 

Avenue Abadie

51 je t’aime, j’en boirais des tonneaux, à me rouler par terre, dans tous les caniveaux ! C’est avec cette petite musique en tête que nous partons ce samedi découvrir notre 51ème rue. Le tirage au sort décide lui de rester sobre, pas de rue d’Armagnac, de place Marie Brizard ou de rue Picon à l’horizon, c’est sur la rive droite que nous partons découvrir l’Avenue Abadie.

 

Abadie donc voilà notre rue

Abadie donc voilà notre rue

Touchés par la grâce, la première chose que l’on voit en arrivant sur place, c’est surtout l’église Sainte-Marie qui marque le début de notre avenue. Construite pendant la deuxième moitié du XIXème siècle, l’église a été conçue par … je vous le donne en mille … Paul Abadie. Disciple de Viollet-le-Duc et architecte diocésain, Abadie fut assez actif dans la région : restauration des cathédrales d’Angoulême et Périgueux, hôtel de Ville à Périgueux, restauration de Saint-Michel à Bordeaux, et celle aussi – plus controversée – de l’église Sainte-Croix.

Rive droite en tout cas, pas de débats sur la construction de Sainte-Marie de la Bastide qui fut érigée en lieu et place de l’église oubliée que nous avions découvert rue Henri Dunant, forte croissance démographique de la rive droite liée à l’industrialisation oblige. Sainte-Marie vient plutôt confirmer le style d’Abadie, que l’on retrouvera encore plus tard dans son projet le plus célèbre : la basilique de Montmartre.

 

Bordeaux - Périgueux - Montmartre : l'Abasie's touch

Bordeaux – Périgueux – Montmartre : l’Abadie’s touch

L’avenue pris le nom de l’architecte en 1886, deux ans après sa mort, et au moment où le préfet officialisa l’avènement de Sainte-Marie comme église « officielle » de la Bastide. Avant cela elle s’appelait beaucoup plus communément, avenue de la Gare. Oui, de la Gare, car pour nos lecteurs qui l’ignoreraient, à l’époque la Gare Saint-Jean n’avait pas le monopole des trains bordelais, et sur la rive droite se tenait la Gare d’Orléans, devenue il y a maintenant 15 ans le cinéma Mégarama.

Les conteneurs au bout de l'avenue en 2002 (Photo : Histoire de la Bastide)

Les conteneurs au bout de l’avenue en 2002 (Photo : Associations Histoire(s) de la Bastide)

Comme on le voit sur cet ancien plan, la gare et ses voies s’étendaient sur une bonne partie de la rive droite, et notre avenue était donc à l’époque un cul-de-sac, terminant sa route sur un portail marquant l’emprise de la Compagnie Nouvelle des Conteneurs, ancienne filiale fret de la SNCF. Au beau milieu de ce qui est l’actuelle Avenue Abadie, se tenait donc un site de transport combiné, en d’autres termes un endroit pour décharger des camions sur des trains, et vice-versa. Pour aller de l’autre côté, vers ce qui est aujourd’hui le site du jardin botanique, il fallait emprunter une passerelle piétonne un peu plus loin. Aujourd’hui encore plusieurs friches demeurent, plus ou moins abandonnées, ou utilisées comme parking.

Relique SNCF sur parking en voie de disparition

Relique SNCF sur parking en voie de disparition

Mais demain ces terrains seront occupés par de nouvelles constructions : logements, bureaux, commerces : avenue Abadie se termine le projet d’urbanisme de Niel, nouveau quartier de la rive droite dont on devrait voir les premiers projets sortir prochainement de terre.

En attendant les futurs projets, un bâtiment moderne se dresse déjà au milieu de l’avenue. Il s’agit du pôle universitaire d’économie et gestion construit en 2007, et là … chapeau. L’équipe de Bordeaux 2066 a souvent de fortes divergences de vue sur les projets architecturaux, mais sur celui-ci nous sommes pour une fois d’accord et admiratifs du bâtiment, léger, lumineux et fleuri, et l’on se dit que l’on aurait bien aimé étudié dans ce genre d’endroit nous qui avons usé nos culottes d’étudiants dans le ciel grisâtre de Lille, entre les briques, les frites et la bière.

Pôle universitaire vu de dehors

Pôle universitaire vu de dehors

Pôle universitaire vu de dedans

Pôle universitaire vu de dedans

D’étudiants nous n’en voyons pas beaucoup, notre visite ayant lieu un samedi. Mais en marchant sur leurs pas et sur ceux de leurs professeurs nous arrivons rapidement au Pique-Feu : bar-restaurant proche de l’église et surtout bonne adresse pour des repas de qualité à budget raisonné. On y discute avec Frédéric, le patron du lieu. Voilà dix ans qu’il a quitté le tumulte de la vie parisienne pour venir s’installer sur la rive droite bordelaise. Un pari, mais un pari réfléchi puisque ce choix il l’a fait en sentant le potentiel de ce quartier … les choses ont déjà beaucoup changé depuis son arrivée nous dit-il, et il attend les prochaines étapes et ces nouveaux quartiers qui devraient continuer à dynamiser la zone.

Si Frédéric n’est là que depuis quelques années, le Pique-Feu est lui bien ancré depuis fort longtemps, et on devine encore son ancien nom sur la façade : Restaurant Menneteau. De vieux habitants du quartier, occupés mains dans le dos et casquette sur la tête à refaire le monde sur le parvis de l’église, nous expliquent que le lieu était une halte fréquentée par les routiers qui venaient charger/décharger les conteneurs de la gare … connu aussi il y a quelques temps pour ses filles de joie, comme les nomment ces vaches de bourgeois. Plus récemment le Pique-Feu était aussi réputé pour ses aloses grillées sur un grill installé dans la rue : un régal semble-t-il ! Merci en tout cas à Brigitte de l’association Histoire(s) de La Bastide, dont les témoignages et les infos nous ont été une fois de plus fort utiles !

Incroyable : une Bluecub !

Nous voilà donc en terrasse, buvant notre traditionnelle bière de fin de visite, à observer le va-et-vient des passants de l’Avenue Abadie, bien différent du ballet des camions qu’offrait le 20ème siècle. Cinquante et unième rue de nos déambulations, l’avenue Abadie est aussi, dans l’ordre alphabétique, la première de toute les voieries bordelaises. De l’alpha à l’oméga, entre l’avenue Abadie et la rue Yves Glotin, il nous reste encore 2015 rues à explorer et 4030 bières à avaler !

Bières n° 102 et 103 du blog

Bières n° 102 et 103 du blog

Rue Raymond Poincaré

Lorsque nous avons procédé au tirage au sort pour déterminer la destination de cette 47ème visite, nous n’avons pu réprimer le « hééé merdeuu » qui sert traditionnellement à exprimer ce que l’on ressent en tirant une rue de 40 mètres de long au fin fond de Caudéran.

Le hic cette fois ci, ça n’est le manque d’intérêt a priori de la rue Raymond Poincaré, mais plutôt sa localisation puisqu’il s’agit tout bonnement de la parallèle à la rue du Docteur Yersin, visitée un an plus tôt.

RueRaymondPoincaré

 

Mais qu’à cela ne tienne, nous n’avons encore jamais cédé à la corruption et truqué Excel, et nous retournons donc sans sourciller vers la cité de la Benauge. Pour tout ce qui concerne l’histoire du quartier, on ne peut que vous inviter à relire notre précédent article, ou encore à consulter le travail de Tim d’Invisible Bordeaux. Et comme on sait que certains incorrigibles fainéants ne cliquent pas sur les liens, voici une vidéo historique bien complète sur la construction du quartier :

 

Voilà pour ce qui concerne le passé.

Pour le présent, et même si notre précédente visite nous avait permis de relativiser cela, on sait que la Benauge n’est pas le quartier vers lequel on irait spontanément jouer les touristes avec appareil photo en bandoulière, du fait de son image quelque peu écornée de « cité », au sens péjoratif du terme.

Premier constat : « Ça tient les murs », se disent les pleutres Vinjo et Pim qui ont grandi dans des lotissements paisibles où les murs tiennent sans l’aide de personne. Comme pour donner quelques sensations exotiques aux visiteurs que nous sommes, un ado torse nu cabre sa moto à fond les ballons et passe une fois, deux fois, trois fois, sous le regard de ses potes agglutinés devant un immeuble de la belle Cité Pinçon. Oui, belle, on peut le souligner. Ici pas de boîtes aux lettres défoncées, de tags « NIK LA POLICE » ou encore de crépi émietté, puisque l’on a une belle cité fleurie et habillée de pierres de taille, et franchement ça fait la différence !

Une rue bien vide sous la chaleur

 

Pas tout à fait une « cité » de BFM TV

 

Dans un style plus contemporain, beau aussi est le centre d’animation Bastide-Benauge qui se tient sur un côté de la rue Raymond Poincaré depuis une dizaine d’années, remplaçant des cours de tennis. Beau enfin est le sourire de Saïda, animatrice de son état, et qui nous fait une visite complète des lieux bien que nous soyons hors des créneaux d’ouverture au public. Comme dans tout centre d’animation de quartier, on y accueille enfants et ados pour diverses activités. Dans une salle au fond par exemple, une trentaine d’enfants sont en train de confectionner la déco pour la fête de la musique. Au sous-sol, on trouve un studio de musique et une salle de sports. Mais ce qui fait l’identité du centre d’animation du quartier, c’est surtout cette grande salle de danse, principal outil de développement d’un pôle d’excellence qui rayonne sur le quartier et bien au-delà. Rue Raymond Poincaré, on vient en effet de l’ensemble de l’agglomération bordelaise pour y danser, et le point d’orgue de tout cela est le festival Clair de Bastide, qui deviendra quelque chose comme « Clair des deux rives » en migrant une année sur deux vers le centre d’animation de Nansouty. Ce festival est quoiqu’il en soit un temps fort dans la vie du quartier, et il est une sorte d’aboutissement au travail de Saïda et de ses collègues, dont la mission dans ce quartier classé en ZSP (Zone de Sécurité Prioritaire) est de canaliser la fougue de la jeunesse, et de récupérer le plus possible ceux qui sont tentés de sortir du droit chemin.

La salle de danse du centre d’animation

 

Illustration réalisée par les enfants du quartier pour la fête du fleuve

 

Danse toujours, l’artiste à la moto continue son ballet dans la rue Raymond Poincaré. En dehors de ces quelques pétarades c’est très calme, la faute au soleil de plomb, conjugué au Ramadan qui ralentit surement aussi la vie du quartier.

Pour ce qui concerne le reste de la rue, on relèvera une école maternelle, mais surtout un style assez novateur de logements sociaux : de petites maisons individuelles mitoyennes, formant une résidence Aquitanis nommée « Echop’ »  en clin d’œil à cet habitat si prisé des Bordelais. Bon ça ne vaut pas l’original hein, mais ça semble tout de même pas mal !

P1050511

P1050510

L’échoppe bordelaise revisitée par Aquitanis

 

En arpentant la rue Raymond Poincaré dans le sens retour, on fait un détour pour aller saluer Nicole et Robert, qui prennent l’ombre sur un banc offrant une vue imprenable sur la station-service de la Benauge. Bonne pioche, Nicole avait justement envie de faire la conversation.

L’arrière-grand-mère de Nicole était née à la Bastide : « Ici ce sont mes racines, alors j’aime toujours y venir ». Nicole se souvient même des marécages qu’il y avait à la place de la cité quand elle était enfant. Qui sait, peut-être l’aperçoit-on dans la vidéo postée plus haut ?

Nicole ne tarit pas d’éloges sur le quartier, où « on est à proximité de tout et où d’un coup de tramway on est en centre-ville ». Surtout que sa jeunesse n’a pas été des plus faciles, avec jamais moins de 10 personnes à table, 22 vaches à gérer à la ferme, et plein de responsabilités en tant qu’aînée de la fratrie. Avant de venir étudier au lycée à Bordeaux, poussée par un papa qui tenait à lui offrir une bonne éducation, Nicole vivait en Dordogne, du côté de La Roche Chalais. Pour aller faire les courses en ville, quelle que soit la météo, c’était 3 kilomètres aller et 3 kilomètres retour. Alors parfois le médecin du bourg avait pitié de la petite Nicole, et mettait son vélo dans son coffre pour la ramener, puis la libérait quelques mètres avant la ferme pour que les parents n’en sachent rien. Le reste c’est du théâtre, il suffisait de faire semblant d’être essoufflée !

Et puis y a quand même des avantages à grandir à La Roche Chalais, regardez la carte. En à peine quelques kilomètres à vélo Nicole se payait le luxe d’une balade à cheval sur trois départements : Dordogne, Gironde et Charente-Maritime. Il n’y a pas de petits plaisirs confirme Vinjo, lui dont l’enfance a été rythmée par des balades à vélo sur trois régions dans les environs de Nadaillac  (Dordogne – Aquitaine), Gignac (Lot – Midi-Pyrénées) et Estivals (Corrèze – Limousin).

Enfin tout ça pour dire qu’après avoir connu ça, Nicole apprécie le confort de la ville, et aime venir prendre l’air à la Benauge, elle qui ne vit pas dans la cité mais n’y a jamais connu le moindre pépin.

Nicole & Robert

Parler ça donne soif, et l’avantage de revenir à la Benauge c’est qu’on peut enfin tester le bar qui était fermé lors de notre précédente visite. « Vive le Portugal » s’appelle désormais L’Insomnia, et comme son nom laisse à penser il s’agit d’un bar ouvert jusqu’à tard le soir. Jonathan (prononcer Djonatanne « à l’américaine ») est le neveu du précédent gérant. A seulement 22 ans, ce carbonblannais en a eu marre des chantiers, des « patrons qui te parlent comme de la merde », et avec un peu d’aide des siens il s’est lancé dans cette aventure, occupant le marché de niche du bar de nuit sur la rive droite, ce qui permet aux gens des Hauts de Garonne de venir prendre l’apéro « sans se faire arrêter par les condés ». Maréchaussée ou pas, Jonathan pratique des prix d’appel attractifs avec la vodka-redbull à 3,50€ ou encore le mojito à 4,50€. En pleine cagne, et vu l’heure, nous resterons à la bière, d’origine portugaise tout comme l’ensemble de la clientèle ainsi que la musique. Mais attention il ne s’agit pas à proprement parler d’un bar portugais, puisque Jonathan précise bien qu’ici chacun est le bienvenu.

P1050519

Jonathan, bien réveillé derrière le comptoir de l’Insomnia

Notre SuperBock terminée, nous prenons congé de Jonathan en train de massacrer un de ses clients aux fléchettes (au sens figuré, notre jeune entrepreneur semblant au demeurant très pacifique) et retournons une dernière fois arpenter la rue Raymond Poincaré. Nicole et Robert ne regardent plus la station-service, et en bas des immeubles de la Cité Pinçon, plus personne ne tient les murs, comme si on avait compris que la pierre de taille suffisait au bon maintien des barres d’immeubles. Pas spécialement craignos cette cité finalement, où chacun semble se côtoyer et se respecter. Rue Raymond Poincaré, on arrondit les angles.

SuperBock sponsor (quasi) officiel de Bordeaux 2066

 

BONUS : la Cité de la Benauge compte 9 rues. Nous en avons déjà visité 2. Il nous reste pour l’heure 2019 rues bordelaises à parcourir. La probabilité de retourner à la Benauge est donc de 0,35% !

Allée Balzac

Ça y est, le printemps est de retour ! Entre deux averses on sent les températures remonter petit à petit, et les premières journées à la plage se rapprochent de plus en plus. A tel point que pour notre 44ème rue le sort nous emmène sur ce qui est l’un des points de la ville de Bordeaux les plus proches de l’océan, à la limite de Mérignac et d’Eysines : l’allée Balzac.

On ne vous fera pas l’insulte de revenir ici sur la vie d’Honoré de Balzac, célèbre peintre dont les toiles sont connues à travers le monde entier. Enfin bon, autant le dire tout de suite, même si l’allée que nous avons visitée n’est pas une rue infâme, on trouve quand même que le célèbre auteur n’est pas particulièrement honoré par la Ville de Bordeaux…

Aujourd’hui soyons clair, l’allée Balzac c’est un bout de rue perdu au fin fond de Caudéran, derrière le chemin de fer de ceinture. Et après avoir pédalé pendant près d’une demi-heure pour y arriver (nous sommes des cyclistes accomplis), que trouve-t-on sur place ? Une impasse courte, bordée d’un côté par une barre d’immeuble surement plus pratique qu’elle n’est esthétique (nommée tout simplement « Résidence Balzac »), et de l’autre par des petites maisons qui nous donnent déjà l’impression d’être entre la ville et la campagne, voire même, soyons fous, dans le Médoc.

Village médocain ? Non, Allée de Balzac

Village médocain ? Non, Allée de Balzac

4

Appartement à Casablanca ? Non, Allée de Balzac

On croise d’ailleurs Pierre-Louis, en plein jardinage. Il nous confirme nos premières impressions. Ce quartier lui plait, il s’y sent au calme et il est proche de la plage … peut-être même plus proche de la plage que du centre de Bordeaux ! Et cela se ressent aussi lorsqu’il faut refaire un trottoir, demander le nettoyage d’une rue : l’allée Balzac est rarement la première servie. La feuille d’imposition est quant à elle bien bordelaise, mais ne crions pas à l’injustice trop vite car le tourbillon des projets urbains de la métropole va bientôt arriver jusqu’ici.

En effet, au bout de l’allée nous faisons face à une grille. Et derrière cette grille se trouve une vaste friche. C’est le site que l’on appelle maintenant « l’îlot Carton Tassigny », et qui s’étend sur plusieurs hectares, et dont une partie longe notre allée. Concrètement on y trouve un grand hangar recouvert de graffitis, des parkings envahis par les herbes folles, et un peu plus loin derrière une série d’Algeco qui sont encore en fonction et accueillent une partie des locaux du Cerema : le Centre d’études sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, qui très schématiquement héberge des fonctionnaires de l’équipement qui réfléchissent à nos routes et à nos transports de demain.

Sur place, et derrière les grilles que nous n’avons osé franchir, difficile de savoir quel fut le passé de l’imposant hangar qui nous fait face. On y remarque néanmoins ce qui ressemble à une fosse à vidange, laissant imaginer un dépôt de bus abandonné, mais nous n’avons pas d’autres indices… Pierre-Louis nous signale néanmoins que dans un passé encore récent, ce hangar servait de stockage aux décors du Grand Théâtre. L’envers du décor de carte postale de la Place de la Comédie a donc longtemps été ici, sous le regard de l’allée Balzac, bien loin des lumières des Diderot, Voltaire et Montesquieu se pavanant dans le Triangle d’Or.

Au fond de l’allée, la friche

 

8

On ne vous apprendra pas qu’un décor de théâtre ne se vidange pas, et ce sont des recherches sur Internet qui nous donneront le fin mot sur la vocation initiale du hangar abandonné qui nous fait face. Nous sommes ici le long de la longue Avenue du Maréchal Delattre de Tassigny, i.e. la route de Saint-Médard, qui à l’instar de nombreuses autres routes pénétrant dans Bordeaux était autrefois dotée d’un tramway. Ceux qui ont connu les anciens tramways, puis les bus CGFTE les ayant remplacés, savent qu’ils étaient désignés par les initiales de leur destination. Ici c’était donc la ligne SM qui circulait et rejoignait parfois l’atelier pour se faire fouetter les boulons et torturer les bogies sous l’œil complice de l’allée Balzac… reste aujourd’hui une friche urbaine égayée par une publicité pour le salon de l’érotisme. Ce blog ayant une audience familiale, nous vous laissons trouver d’autres jeux de mots douteux par vous mêmes.

Les anciens ateliers du Tram

Aujourd’hui la Ville a d’autres projets pour l’îlot Carton-Tassigny qui devrait bientôt accueillir des logements, une crèche, une école… comme la Mairie nous l’explique dans ce livret de concertation.

Un nouveau projet urbain en entrée de ville pour redonner de l’allant à cet angle mort de la commune ? N’exagérons rien … non pas que nous doutions du futur aménagement (ça, seul le temps nous le dira), mais c’est surtout que même si le futur projet fonctionne, il viendra simplement compléter un quartier déjà bien vivant. Alors, oui on se sent loin du centre de Bordeaux, des Mauriac, Montaigne, Montesquieu et du patrimoine mondial de l’Unesco, mais à deux pas de l’allée Balzac tous les commerces nécessaires à la vie quotidienne sont là. Dans un périmètre d’une centaine de mètres on trouve un supermarché (le centre commercial du Caillou, doté d’un MA-GNI-FIQUE caillou en guise décoration), une station essence, une laverie, un coiffeur, des restaurants (de la pizzeria au chef étoilé en passant par la cuisine asiatique) et même un petit bar / brasserie sur lequel nous jetons notre dévolu !

10

Le caillou du caillou

Malheureusement, le Tassigny est fermé en ce samedi après-midi. Nous choisissons donc de revenir au Caillou un midi de semaine, pour venir déguster la carbonnade flamande préparée par Simon le cuistot. Employé des lieux depuis 7 ans, Simon en est devenu le patron il y a quelques mois, et assure maintenant le service quotidien avec l’aide de la souriante Caroline en salle. La clientèle est variée : quelques employés du coin, les ouvriers des chantiers environnants, des retraités, des habitants du quartier etc. Tout le monde se retrouve pour profiter d’un menu simple mais bon, au prix modéré … Si vous passez dans le quartier, où même lors des premiers bouchons d’été pour la plage, n’hésitez pas à vous y arrêter ! Pour les amateurs de blues et de jazz, c’est le premier jeudi du mois que ça se passe, avec le Tassigny qui se transforme en salle de concert !

DSC_0667

12

Caroline & Simon

Nous, en repartant sur nos vélos, et le long de l’ancien SM on repense à l’ami Honoré de Balzac, lui qui écrivit dans la Comédie Humaine : « Le hasard est le plus grand romancier du monde : pour être fécond il n’y a qu’à l’étudier ». Soyons clair, on ne joue pas dans la même cour qu’Honoré, mais quand même, on se dit qu’il n’a pas forcément tort … le hasard du tirage au sort nous mène souvent dans des rues, des allées ou des places où jamais nous n’aurions mis les pieds. On n’en tire pas de grand roman, mais en les étudiant un peu, toujours de quoi écrire un petit billet !

 

 

Rue du Grand Maurian

38. Ca n’est pas (ou plus) notre taille de pantalon, mais c’est le nombre de tirages au sort qu’il aura fallu attendre avant d’enfin mettre un pied dans le quartier Saint-Augustin, excroissance bordelo-mérignacaise extra-boulevards. Ce quartier est une des pièces manquantes de notre exploration de la cité, mais Excel nous le fait découvrir par son axe principal : la rue du Grand Maurian.

RueduGrandMaurian

Nous sommes ici derrière le Parc Lescure (Stade Chaban-Delmas pour les néophytes) et le CHU (Tripode pour les poètes), mais pourtant encore sur la commune de Bordeaux. Contrairement au Caudéran voisin, il ne s’agit pas d’une histoire de rattachement économico-électoraliste dans la mesure où Saint-Augustin n’a jamais été une commune, mais il paraîtrait qu’il s’agit là d’une volonté de l’ancien maire David Johnston qui avait une propriété dans les parages, et qui apparemment aurait considéré comme insultant d’être mérignacais. Nos lecteurs du 33700 apprécieront.

Aujourd’hui, « Saint-Aug' » se veut être un « village » dans la ville. Réalité vécue ou bien slogan vide de sens ? Nous avons entendu les deux sons de cloche lors de notre promenade et invitons ceux qui le souhaitent à s’exprimer sur le sujet. Mais village ou pas, toujours est-il qu’on ressent fortement le positionnement atypique de ce quartier commerçant, calme, et plutôt chic.

1 (1)

Le quartier tient son nom d’une paroisse constituée au milieu du XIXème siècle par Jenny Lepreux, une religieuse déterminée à diffuser la bonne parole et la charité hors des murs de Bordeaux, dans ce qui est alors un territoire viticole parsemé de propriétés. Sur ces terres se dresse notamment le Grand Maurian qui, comme nous l’apprend un article Sud-Ouest du 28 octobre 1968 (attention si vous êtes au bureau, ce lien fait de la musique 🙂 ), était « un pavillon de chasse, bâti au XVIIème siècle par les ducs d’Epernon (…). Vendu au début du XVIIIème siècle, il devient la propriété de familles plus ou moins illustres, puis échoit dans la seconde moitié du XIXème siècle à Mgr Dupuch, premier évêque d’Alger« .
Suite à la mort de Monseigneur Dupuch, l’archevêché de Bordeaux acquit le Grand Maurian pour y construire une chapelle qui fit office de lieu de culte du quartier, jusqu’à l’achèvement en 1894 de la construction de l’église Saint-Augustin, quelques mètres plus loin. Ce quartier bordelo-mérignacais en cours de développement avait besoin d’être relié au reste de la ville, et dès 1895 fut donc percée la rue du Grand Maurian, officiellement inaugurée en 1900. Depuis, elle est à la fois porte d’entrée et rue principale du quartier.

La rue au début du XXème siècle. Remarquez le tram, et l'orthographe "Morian"

La rue au début du XXème siècle. Remarquez le tram, et l’orthographe « Morion » (extrait du livre « Saint-Augustin en images »)

La rue au début du XXIème siècle. Remarquez heu... cette belle Citroën Saxo.

La rue au début du XXIème siècle. Remarquez heu… cette belle Citroën Saxo.

Passées ces considérations historiques, nous commençons notre exploration à table. Et à une bonne table. Le Family est une institution du quartier existant depuis plusieurs décennies, et gérée par Philippe depuis 2011. La cuisine est simple et locale, les plats savoureux et le rapport qualité-prix intéressant : on vous le conseille.
En nous parlant du quartier, Philippe parle lui aussi du « village », et surtout des efforts que des commerçants font pour maintenir et développer cette ambiance un peu à part : soutien aux clubs sportifs des JSA (les fameuses « Jeunesses de Saint-Augustin », dont le basket présidé par Boris Diaw), animations de quartier, et organisation chaque année de la fête de l’huitre dont le succès a dépassé les frontières du « village ».

5 (1)

Philippe du Familly

4 (1)

En profitant de notre balade digestive dans la rue, nous constatons en effet que le quartier est calme : quelques commerces au bout de la rue proche du tram, quelques autres boutiques près de l’église, et au milieu de tout cela rien que du résidentiel.

On remarque une certaine diversité dans le style architectural local : un immeuble moderne (on y reviendra), de belles maisons bourgeoises, et quelques petites échoppes aujourd’hui rénovées et pimpantes mais qui datent du début du siècle dernier, lorsque la TEOB (ancêtre de la TBC actuelle) installa un dépôt dans le quartier. Pour loger ses salariés, la TEOB a construit moult petites maisons ouvrières qui parsèment le quartier : rue du Grand Maurian elles se remarquent notamment du n°36 au n°44 et du n°41 au n°63.

Ancien habitat de fonction des traminots. Pas mal non ?

Ancien habitat de fonction des traminots. Pas mal non ?

Comme c'est mignon <3

Comme c’est mignon ❤

Nous sommes toujours à la recherche des vestiges de la propriété du Grand Maurian quand nous croisons dans la rue Gérard et Michèle, de retour de promenade avec leur chien. Après quelques considérations sur le quartier, et alors que nous craignons que l’averse de pluie qui arrive n’écourte notre conversation, ce sympathique couple habitant ici depuis les années 1970 nous propose de passer chez eux afin de consulter quelques ouvrages sur l’histoire de Saint-Augustin.
Bingo, on retrouve dans la bibliothèque de Gérard l’information tant recherchée. Le domaine du Grand-Maurian, qui avait déjà vendu des terres nécessaires à l’urbanisation, fut remplacé après guerre par un garage / station-service, puis ensuite fut construite la résidence Hermitage Saint Augustin que l’on peut encore « admirer » aujourd’hui.

En lieu et place du Grand Maurian

En lieu et place du Grand Maurian. On remarquera une offre commerciale multigénérationnelle : de l’auto-école aux pompes funèbres.

Gérard s’intéresse lui aussi aux rues de Bordeaux, et a fortiori à la sienne, et nous aiguille vers des habitants historiques du quartier. L’heure de la sieste sera hélas assez défavorable à nos coups de sonnette. Une dame d’un certain âge nous confirme néanmoins l’existence de la station-service avant la résidence moderne sur le terrain de feu le Grand Maurian, mais se souvient encore avant de la présence d’une famille de Biarrots qui organisait des colonies de vacances vers la Côte Basque. Agée mais pas tant que ça, notre riveraine-témoin n’a en revanche pas connu la propriété du Grand Maurian, dont finalement seuls les panneaux semblent conserver le souvenir.

Nous quittons donc Gérard, que nous remercions encore pour son aide précieuse. Avant de revenir intra-boulevards, et tandis que les éléments se déchaînent à présent sur la rue, nous repassons tout de même au Family. Philippe avait raison : il n’y a pas de bistrot de quartier à Saint-Augustin, et le seul débit à bière de la rue, c’est son restaurant. C’est néanmoins avec plaisir que nous y revenons prendre notre traditionnel demi de fin de visite, ignorant cette citation de Saint-Augustin : « L’abstinence totale est plus facile que la parfaite modération ».

A la tienne Saint-Aug'

A la tienne Saint-Aug’

 

BONUS JEU DE MOTS DOUTEUX :

Grand Maurian

Rue de Cheverus

Dans le cadre d’Agora, Biennale d’architecture de Bordeaux, nous vous proposons un hors-série de quatre rues visitées en quatre jours, avec pour une fois un tirage au sort restreint parmi les quartiers liés à la biennale. Aujourd’hui, c’est la rue de Cheverus qui a été tirée au sort le long de l’animation « Trônes d’asphalte » d’Ann Cantat-Corsini.

Après avoir visité les limites « trash » de Bordeaux sur les boulevards automobiles de la rive droite, nous voici de retour dans du bien plus classique : en plein centre de Bordeaux, rue de Cheverus, à quelques mètres de la bouillonnante rue Sainte Catherine, du cours Alsace-Lorraine et de la place Pey Berland avec ses incessants ballets de tram.

Pourtant rue de Cheverus tout est calme, très calme. Cela n’était sûrement pas le cas il y a quelques années, lorsque le collège du même nom accueillait des centaines de jeunes en culotte courte, et que le quotidien Sud Ouest avait ses bureaux dans un superbe hôtel particulier de la rue (ayant auparavant accueilli le palais de la monnaie). Mais depuis quelques années le collège est en rénovation et les journalistes ont déménagé sur les quais de la rive droite, laissant bientôt la place à la nouvelle « promenade Sainte Catherine », déjà réputée pour ses tarifs au mètre carré.

Un petit côté ville abandonnée...

Un petit côté ville abandonnée…

 Dans le haut de la rue, on croise donc des grues de chantiers et des façades noires, parsemées ci et là de photos de chaises et autres trônes d’asphaltes, installées là par Ann Cantat-Corsini dans le cadre d’Agora. L’occasion pour nous de conseiller à tous nos lecteurs de regarder le film La clairière des Aubiers – une histoire à suivre réalisé par l’artiste et que nous avions beaucoup aimé lors de notre visite du cours des Aubiers.

Installation d'Ann Cantat Corsini

Installation d’Ann Cantat Corsini

Passée cette première impression d’une rue de village en chantier, on constate très vite que notre voirie dispose de nombreux commerces.  On est ici à l’opposé des rues voisines Sainte-Catherine ou Porte-Dijeaux avec leurs commerces de chaînes et leurs magasins souvent standardisés. Rue de Cheverus on croise par exemple Alexandre, installé depuis 18 ans au Diabolo Menthe, un des cinq disquaires de Bordeaux. Il règne dans le magasin, derrière une vieille devanture boisée, une atmosphère hors du temps et rassurante : on se sent dans un cocon entre les disques de Johnny Halliday, Bob Marley ou Black Sabbath.

Ce cocon Alexandre l’étend à toute la rue qu’il juge très agréable : même si elle évolue un peu au fil du temps et que l’offre commerciale s‘étoffe, rien ne semble la détourner d’une certaine quiétude. Pas même les différentes colocations étudiantes installées dans les appartements voisins. Une rue calme en plein centre … comment l’expliquer ? Pour Alexandre pas de doute : « Les Bordelais passent toujours par les mêmes rues, ils sont en pilote automatique : Sainte-Catherine / Porte-Dijeaux, en avant ! ». Un constat que l’on ne contredira pas puisqu’il est une des raisons des aventures de Bordeaux 2066 : découvrir toutes ces rues dont on ne parle pas, ou trop peu.

Alexandre parmi ces disques

Alexandre parmi ses disques

Juste à côté, même son de cloche avec Françoise, propriétaire de la Maison du Japon. Cette enseigne est, comme son nom l’indique, spécialisée dans le produit nippon, mais attention pas de manga ou de gadget technologique ou de folklore ici, non non, Françoise vend des produits traditionnels utilisés par les Japonais : ustensiles de cuisine, vêtements, œuvres d’arts etc. Mariée à un Japonais, Françoise est une enfant du quartier. Née à Saint Pierre, elle a toujours vécu dans les rues avoisinantes et tient sa boutique depuis 13 ans maintenant.

Pour nous décrire son cadre de vie, elle utilise spontanément la même expression qu’Alexandre : « une rue de 7 à 77 ans ». En bref une rue pour tous (si vous avez 78 ans, une dérogation doit être envisageable), avec un savant mélange d’habitants, de commerçants, de jeunes et de moins jeunes, qui vivent ensemble sans se couper les cheveux en quatre … on remarque d’ailleurs une insolite abondance de salons de coiffure dans la rue, puisqu’il y en a justement quatre. Mais Françoise nous rassure « ils ne sont pas en concurrence, ils fonctionnent tous ».

Cette harmonie et cette quiétude auraient sûrement plu à Monseigneur Cheverus. Prêtre ordonné à la révolution, il émigra en Angleterre et aux États Unis ou il devint le premier évêque de Boston puis il fut nomme archevêque de Bordeaux en 1826 et y mourut dix ans plus tard (son tombeau se trouve non loin de là, dans la cathédrale Saint-André) après une vie dédiée aux plus pauvres, ceux qui n’habiteront pas Promenade Sainte-Catherine.

La quiétude décrite jusque là a tendance à s’estomper au fur et à mesure que l’on se rapproche du cours Alsace-Lorraine. On relèvera tout juste qu’une célèbre secte a pignon sur rue ici, l’occasion de croiser Tom Cruise dans les parages peut-être ? Bien plus intéressant et bien moins nuisible qu’un local sectaire, on trouve surtout plusieurs bars en quelques mètres, dont le plus connu est sans nul doute le Fiacre : véritable institution des soirées du Bordeaux Rock. Pour les non initiés, le Fiacre existe sous ce nom depuis 1870 et accueille depuis plusieurs décennies de nombreux concerts de la scène rock bordelaise, nationale et internationale.

Une photo qui résume la philosophie de Bordeaux 2066

Une photo qui résume la philosophie de Bordeaux 2066

Bel endroit pour terminer notre visite autour d’une bière … et bien non, décidés à ne pas tomber dans la facilité, nous nous détournons du Fiacre pour entrer au Flacon, bistro à vin ouvert depuis près d’un an par Valérie et Gilles, jeune couple de Toulousains. Pas de cassoulet ni de bonbons à la violette dans l’établissement mais des petits plats ou tapas à base de produits traditionnels réinventés… un délice pour nos papilles. « Non marqués du sceau de Bordeaux », Valérie et Gilles proposent des vins assez atypiques de la France entière, ainsi que de la Jupiler, pour laquelle nous optons par respect de la tradition de ce blog.

Valérie, Gilles, la Jupi et le Flacon

Le Flacon, La Jupi, Valérie & Gilles

Au final que retenir de cette rue d’hyper-centre ? Comme nous l’a dit Françoise, « le centre de Bordeaux a toujours brassé toutes les populations ». Du rock en galette, du rock en live, des produits asiatiques, des collégiens, des Toulousains, des ménages aisés et quelques illuminés. Oui, le centre de Bordeaux est à tout le monde, au moins de 7 à 77 ans.

PS : encore un bonus pour nos lecteurs, une véritable déclaration de haine envers les hipsters … à quand la prochaine guérilla urbaine ?

Rue Malbec

Excel est définitivement un petit coquin ! Après nous avoir mené dans le minuscule Passage Pambrun, le logiciel fait le grand écart et nous amène dans la plus longue de nos rues visitées à ce jour. Du Cours de la Marne jusqu’à la Place Nansouty, nous voilà partis à la découverte d’une rue de plus d’un kilomètre de longueur : la rue Malbec.

Rue_Malbec

Malheureusement pour les amateurs de gros rouge, a priori le nom de la rue n’a rien à voir avec le cépage cadurcin, mais serait plutôt emprunté à une famille du coin. Autre hypothèse possible, un dérivé du gascon « mau bec », pour « mauvaise tête », mais on va se garder cette explication sous le coude pour la rue Maubec elle-même, située à Saint-Michel.

Mauvaise ou pas, la tête de gondole côté cours de la Marne est en tout cas déconcertante. En effet à l’angle de la rue se dresse le fameux immeuble « glissière d’autoroute », œuvre de Jacques Hondelatte. Si pour le Bordelais lambda cet immeuble peut aisément concourir au grand prix du bâtiment le plus laid de notre ville, Robert Coustet et Marc Saboya dans leur livre « Bordeaux, la conquête de la modernité » nous livrent l’analyse suivante : « Le parti architectural fait référence à la prévention, à la protection, à la vitesse. Identitaire dans un lieu sans identité, dramatique et brutale, l’oeuvre de Jacques Hondelatte ne travaille pas ici l’esthétique du compromis historique et ne cherche pas à s’intégrer dans un quartier déstructuré, (…) ce bâtiment unique est l’expression d’une violence urbaine contemporaine. »
Vu comme ça…

Après ce geste architectural, la rue présente un visage plus classique : bordée d’échoppes et d’anciennes maisons bourgeoises, plus ou moins en bon état, et souvent divisées en petits appartements. On croise ci et là des ensembles récents, venus s’insérer dans les quelques dents creuses créées par la fermeture des usines du quartier.

Belle expression de la "violence urbaine contemporaine", en effet.

Belle expression de la « violence urbaine contemporaine », en effet.

1bis

Ca et là, quelques maisons de maître.

Ca et là, quelques maisons de maître.

En continuant notre progression vers Nansouty, nous trouvons sur notre droite le siège de l’Union Saint Jean. Institution bordelaise au même titre que l’Union Saint Bruno, l’USJ fait à la fois office de maison de quartier, de club sportif (dont une tout à fait valeureuse équipe de basket qui se reconnaîtra), de lieu d’accueil périscolaire, etc. Et ce depuis 1906 (1939 pour ce qui concerne la rue Malbec) ! Nous vous invitons à consulter directement leur site internet pour découvrir la riche histoire du lieu. On soulignera tout de même que le siège de l’USJ abritait également le Cinévog, dans lequel Eddy Mitchell vint en 1982 tourner quelques épisodes de « La dernière séance ».

4

Culture toujours, quelques mètres plus loin sur le trottoir d’en face arrive le moment pour Vinjo, Pim & Vanou (une fidèle lectrice nous accompagnant dans notre visite ce jour là), de visiter le premier musée du blog. Un musée rue Malbec ? Oui oui, nous voilà partis à la découverte du Musée des Compagnons du Tour de France, situé dans une grande maison léguée au mouvement compagnonnique dans les années 1960 par une famille. C’est bien entendu un tout petit musée, mais on y comprend mieux le fonctionnement de ce mouvement mêlant depuis plusieurs siècles mission sociale, excellence de la formation et traditions très codifiées, parfois délicieusement anachroniques ou loufoques (telle l’amende de 20 centimes en cas de juron intempestif, comme dans le bistrot « Le Tivoli » où nous étions passés l’été dernier).

Dans notre musée de la rue Malbec, charpentiers, maçons, ébénistes ou encore serruriers sont à l’honneur. On notera pour les passionnés de Bordeaux que de très belles reproductions en bois de différents lieux emblématiques de notre ville sont exposées au sous-sol. Derrière le musée, ce sont 40 compagnons qui vivent ensemble durant un an, avant de reprendre la route vers une nouvelle ville pour espérer finir pourquoi pas Meilleur Ouvrier de France.

6 5

Cet éloge de l’effort et du travail bien fait nous donne soif. Fort heureusement, et même si peu de Compagnons doivent pouvoir en profiter au vu des règles de vie assez strictes qui leur sont imposées, le bar « L’Expresso » se trouve quelques mètres plus loin, à l’angle avec la rue de Bègles. Ambiance PMU et multiculturelle : les clients sont concentrés sur les tiercés, quartés et autres quintés et profitent des pauses équestres pour s’injurier folkloriquement ou se menacer de s’introduire des objets divers et variés dans l’arrière-train, dans une ambiance assez cocasse donc.

L'Expresso, où l'on ne boit pas que du café.

L’Expresso, où l’on ne boit pas que du café.

Une bière à mi-rue pour compenser sa longueur.

Une bière à mi-rue pour compenser sa longueur.

La bière avalée, nous reprenons notre petit trot jusqu’à la fin de la rue, et passons d’un pas assuré devant le siège girondin de la MGEN. La hauteur des maisons baisse, les échoppes sont de plus en plus présentes et nous amènent au final Place Nansouty, là ou s’achève notre rue du jour, après 1,2 kilomètres de marche parcourus en deux heures environ : on met au défi n’importe quel papy du quartier de remonter la rue aussi lentement que nous.
Le sens retour ne sera guère plus rapide, et commence quelques mètres après la place par un arrêt dans un autre petit troquet dont les recoins de Bordeaux ont le secret. Nous voici chez Maria, gérante portugaise du bar-restaurant « La récré ». Installée là depuis 1991, Maria nous livre sa vision du quartier : un endroit calme où tout le monde se connait et où l’on se rend service. Maria aime son bar-resto, et quand l’heure de la retraite aura donné sa clientèle lui manquera, notamment cet habitué qui depuis des années mange tous les jours à la même table, sur la même chaise … « et une fois je lui ai demandé : qu’est-ce que je vais devenir le jour où je ne vous vois pas, je vais m’inquiéter ? Ne vous inquiétez pas il m’a répondu, si j’ai un problème il y a un papier sur moi disant de vous prévenir ».

Cette clientèle fidèle vient de tout le quartier, et même si les écharpes de Lisbonne, Braga ou Porto décorent la salle, Maria ne donne pas dans le communautarisme exacerbé « ils sont gentils les Portugais mais ils parlent trop fort, c’est fatigant ». Elle aime le calme notre patronne, et c’est peut-être comme cela qu’elle arrive à faire pousser ces immenses roses trémières devant le restaurant, sa grande fierté. Snobée par les concours photos de Sud Ouest, Bordeaux 2066 répare cette injustice et vous présente la pétillante Maria, devant ses roses trémières et son restaurant.

Maria et ses roses trémières

Maria et ses roses trémières

Sur le chemin du retour, dernière halte chez Françoise et Mang, habitants du quartier depuis bientôt un demi-siècle. Arrivés de Dordogne (pour elle) et de Cochinchine (pour lui), ils nous dressent le portrait d’un quartier convivial et ouvert, même si depuis quelques années les petites entreprises (ils se souviennent d’une ancienne tannerie, remplacée par des immeubles modernes, moins odorants) et commerces se font de plus en plus rares, et que le trafic automobile s’intensifie en parallèle, renforçant l’effet « couloir » que l’on peut ressentir en se promenant dans la rue.

Françoise et Mang, témoins de la rue.

Françoise et Mang, témoins de la rue.

Aperçu de l'offre commerciale de la rue.

Aperçu de l’offre commerciale de la rue.

Nous clôturons cette longue promenade rue Malbec avec le témoignage de notre premier invité VIP du blog. Non ça n’est pas Johnny Hallyday qui a grandi rue Malbec, mais Michel Cardoze, connu pour sa météo poétique sur TF1, sa grosse voix portant un chantant accent du païs, et son érudition sans limite sur Bordeaux et son histoire que l’on peut retrouver ici. C’est quand il ne portait pas encore sa célèbre moustache que notre journaliste local, à la fin de l’occupation, a passé quelques années d’enfance rue Malbec. Il se souvient de l’ambiance ouvrière (son père, à l’instar de nombre de voisins, était cheminot à la gare), des courses à l’économat de la SNCF rue Amédée Saint-Germain, de l’école de la rue Francin dont la cour n’a pas changé depuis, des virées au cimetière israélite situé juste derrière chez Françoise et Mang, des histoires de voisinage et de la vie de tous les jours au sortir de la guerre. Tandis que nous remontons la rue une seconde fois en sa compagnie, il se souvient aussi d’un terrible accident de la circulation qui a fait qu’aujourd’hui encore l’immeuble situé à l’angle avec la rue de Bègles semble rafistolé.

Devant la maison d'enfance...

Devant la maison d’enfance…

La plus longue rue du blog à ce jour nous a montré un passé riche, et un présent encore marqué par la solidarité et la vie de quartier. Alors la prochaine fois que vous y passez, levez un petit peu le pied. Ca fera plaisir à Françoise et Mang de ne pas faire trembler leurs fenêtres, ça vous permettra d’apercevoir les œuvres des Compagnons, et si vous avez le temps vous dégusterez le menu ouvrier de Chez Maria. En y sirotant votre Porto, vous vous direz peut-être comme nous que décidément, cette rue Malbec est un grand cru.

Passage Pambrun

En ce samedi de mai, l’équipe de Bordeaux 2066 a une fois de plus peur. Rien d’effrayant dans les premières températures d’été, et encore moins dans le nombre des années qui augmente pour Pim en cette veille d’anniversaire. Notre peur est bien plus primaire : Excel nous a encore joué un tour. Après les 43 mètres de la rue Fénelon, nous voici confrontés aux 47 mètres du Passage Pambrun.

passagePambrun

Mais là où la rue Fénelon était remplie de magasins, et donc de témoins potentiels, nous nous attendons à trouver beaucoup moins de quidams dans ce passage reculé, proche de la gare et à la limite de Bègles. A notre descente du tram à l’arrêt Carle Vernet, nous tombons d’abord sur la Maison du projet de Bordeaux Euratlantique : et oui, le passage Pambrun, tout comme la rue Sarrette ou la rue Brulatour risque de bien changer dans les prochaines années, avec l’arrivée du TGV, la sortie de terre de nombreux projets immobiliers, le développement d’un quartier d’affaire etc.

Mais pour le moment, maison du projet mise à part, il n’y a pas encore de signe de grands bouleversements. Après avoir parcouru la rue Cazeaux perpendiculaire au tram, nous arrivons sur place : passage Pambrun nous voici !

P1030892

Avouons le, le premier ressenti ne nous rassure pas … 47 mètres c’est court ! Nous remarquons d’ailleurs que ce passage reste une adresse quasi exclusive puisque pour y vivre vous n’avez le choix qu’entre le numéro 1 ou le numéro 2, ensuite les maisons basculent automatiquement sur la rue Cazeaux ou la rue Poissonnier.

C’est justement rue Poissonnier, à la sortie du passage, que nous croisons Dominique, qui nous accueille couteau dans la main. Pas d’inquiétude, Dominique n’a nullement l’intention de nous mener dans la ruelle pour nous montrer son Opinel. Au contraire, son arme blanche Dominique l’utilise en tant que Michel Morin du quartier pour réajuster la cane d’une mamie … belle convivialité entre voisins ! Est-ce ainsi dans tout le quartier ? Cela dépend nous dit Dominique, « ici vous avez la rue des c…., et là celle de la solidarité ». Bon, ne nous attardons pas trop longtemps sur les quelques conflits passés de voisinage qui suscitent encore quelques noms d’oiseaux, concentrons nous plutôt sur la solidarité.

Le 1 passage Pambrun

Le 1 passage Pambrun

Le 2 passage Pambrun

Le 2 passage Pambrun

Dominique nous le dit clairement : ici historiquement, c’est un quartier populaire, d’immigrés, d’ouvriers et de cheminots. Des gens qui ont appris à se serrer les coudes et à compter les uns sur les autres. D’accord, mais aujourd’hui alors, que pense Dominique des futurs projets ? Si les immeubles ne l’enchantent pas forcément, il n’a pas peur des nouveaux habitants « des jeunes s’installent dans le quartier depuis quelques années, la population se renouvelle, mais ils sont tous très gentils, très aimables. Ils redonnent de la vie au quartier, et puis il y a des couples avec des racines différentes, ça apporte de nouvelles choses, c’est bien ».

Vue générale du Passage Pambrun

Vue générale du Passage Pambrun – sens aller

Vue générale du Passage Pambrun - sens retour

Vue générale du Passage Pambrun – sens retour

Chantre de la mixité sociale et ethnique, Dominique est également un apôtre de l’intergénérationnel et nous propose d’aller sonner chez une voisine, un peu plus loin, qui connaît toute l’histoire du quartier. Au premier coup de sonnette, et après les aboiements de Valou, fidèle chien de garde, nous voyons arriver Jeanne. Au premier coup d’œil c’est le coup de cœur : pas de doute, Jeanne sera une belle rencontre, comme celles que ce blog nous a d’ores et déjà offert dans d’autres rues.

Octogénaire à la démarche paisible, à l’œil vif et au sourire charmeur, Jeanne nous parle derrière sa grille de jardin « pour ne pas laisser échapper le chien, à mon âge je ne peux plus le rattraper ! ». Chien qui ne manquera pas de se faire remarquer lors de notre passage « Valou, tu as encore pété ! Tu m’empestes ! ».

Mais une fois le canidé rabroué, notre sympathique mamie s’intéresse à notre démarche et enclenche la machine à souvenirs. Pendant une heure de discussion à bâtons rompus, nous repassons toute l’histoire du quartier : des dizaines d’anecdotes, de fragments de vie, d’histoires drôles ou tragiques. Difficile de tout retranscrire ici mais en vrac sachez que près du passage Pambrun coulait autrefois à ciel ouvert l’Estey Sainte-Croix. On y menait boire les vaches, et quand il faisait chaud Jeanne s’y baignait et se chamaillait avec ses camarades à grands coups de sangsues lancées sur l’un ou l’autre.

Le quartier a bien sur connu la guerre, et tous les habitants qui se réfugiaient dans la maison d’en face, se partageaient, ironie du sort, des pastilles Vichy en attendant la fin de l’alerte. Ensuite les années fastes, l’arrivée du tout à l’égout, et toujours la convivialité : « on n’avait pas la télé, alors le soir vous savez on sortait les chaises dehors et on discutait entre voisins, tout simplement ».
Voisinage toujours avec des histoires cocasses et loufoques : un coup de fusil par ci, un ferrailleur coureur de jupons par là, ou encore un voisin qui avait sa carte et à la CGT et au RPR car comme il avait dit « moi tant qu’on me donne du boulot, je prends la carte ».

Jeanne nous confirme aussi la tradition populaire du quartier : beaucoup de cheminots, comme souvent à Bordeaux des Espagnols, et plus inattendue une communauté tchèque, venue cristalliser son savoir-faire à la verrerie Domecq voisine ou à l’usine Saint Gobain des boulevards, celle là même où avait travaillé notre copine Fernande de la rue Brulatour. Cette communauté tchèque, on n’en trouve plus trace aujourd’hui, malgré la présence du dernier ressortissant Tchèque Diabaté.

La maison des Pambrun, entièrement refaite il y a quelques années

La maison des Pambrun, entièrement refaite il y a quelques années

Sur le passage qui nous occupe aujourd’hui, Jeanne nous apprend que la famille Pambrun était propriétaire d’une grande partie des terrains qui forment le pâté de maisons actuel. Les Pambrun étaient « moutonniers », ce qui ici ne veut pas dire qu’on avait affaire à des gens grégaires mais bien à des bergers périurbains, quand l’actuel quartier Carle Vernet ressemblait encore à de la palu bien grasse. Après quelques recherches, un descendant de la famille Pambrun nous a d’ailleurs confirmé l’implantation du fief familial dans les Hautes-Pyrénées, avant d’essaimer vers les Landes et le Bordelais, à contre-courant de la transhumance.

Le soleil se couche et voici l’heure de quitter Jeanne et Dominique. Mais Jeanne on ne l’oubliera pas de sitôt, et là voilà à tout jamais dans la photothèque de Bordeaux 2066, avec son voisin et ses nains de jardin.

Dominique et Jeanne

Dominique et Jeanne

Lecteur rassure toi, après deux rues dans lesquelles nous n’avions pas eu l’occasion de boire la traditionnelle mousse finale, l’offense est réparée puisque nous nous offrons quelques jours plus tard un déjeuner au restaurant le Banlieue Sud, bien connu de ceux qui ont usé leurs nerfs aux feux rouges à l’angle de la rue d’Armagnac et de la rue Carle Vernet. C’est une cantine populaire comme on l’imagine : service uniquement le midi, repas copieux et savoureux, ambiance décontractée et petits prix ! Une bonne adresse, et surtout l’occasion de renouer avec le houblon.

Au Banlieue Sud

Au Banlieue Sud

Les 47 mètres du Passage Pambrun mènent bien plus loin qu’à la rue Cazeaux et à la rue Poissonnier. En remontant l’Estey Sainte-Croix dans lequel Jeanne barbotait, on arrive jusqu’aux Pyrénées des Pambrun. De là, en grimpant par temps clair, on aperçoit l’Espagne et ses plaines dépeuplées au profit des faubourgs ouvriers de Burdèos. Une vie de labeur, y compris pour les verriers arrivant de la Bohême. Aujourd’hui, dans le sillage du TGV, se pointent quelques bourgeois. Mais on n’efface pas l’histoire si rapidement : en hommage à la communauté tchèque disparue, certains de ces bourgeois sont aussi bohèmes.

Rue Wilson

On va vous l’avouer tout de suite, ce dimanche à Caudéran, nous avons eu peur.

Pour notre sécurité, oh non certainement pas : ici entre la Place de Moscou et la Place Lopès on se sent bien loin d’une supposée « France Orange Mécanique ».

Non, c’est plutôt pour vous lecteurs que nous avons eu peur, tant la rue Wilson a mis du temps à se dévoiler.

 RueWilson

Lorsque nous sortons du bus 16 à l’arrêt « Moscou », le ciel blafard fait penser à une journée d’été lambda dans le Douaisis natal de Pim. Un peu plus loin sur la droite, la rue Wilson nous offre sa centaine de mètres de longueur, égrenant petites maisons arcachonnaises, cubes en béton des années 70, ainsi qu’une villa très tape-à-l’œil devant laquelle on ne peut s’empêcher de persifler en voyant la grosse cylindrée immatriculée 92 qui y est garée.

 P1030764

Pas d’immeubles, pas de commerces, pas d’associations, pas d’êtres humains… Perplexité. « Bon écoute, on va leur faire un copié-collé de la rue Genesta, c’était il y a longtemps, personne ne s’en rendra compte… »

Finalement, au bout de la rue Wilson, en arrivant sur la rue d’Austerlitz, nous décidons de continuer à batailler.

Un cycliste débarque à l’horizon, nous nous ruons dessus tel un aigle sur une jeune marmotte. Il vient rendre visite à ses amis Clément et Mathilde, qui habitent là depuis environ un an, et semblent nous plaindre lorsqu’on leur annonce qu’on aimerait écrire un petit article sur leur rue. En ce lendemain de UBB – Perpignan victorieux, Clément botte en touche et nous envoie chez son voisin d’en face, « un monsieur très gentil qui habite là depuis longtemps, et vu l’heure qu’il est aura surement fini sa sieste ».

P1030775

 Originaire du Pas-de-Calais, Monsieur L. habite en effet là depuis 30 ans, et coule une paisible retraite caudéranaise après une belle carrière d’ingénieur en ponts et chaussées. La rue Wilson ? Monsieur L. n’a rien à en dire. A part une ou deux maisons démolies / reconstruites depuis son arrivée à Bordeaux, rien n’a changé, et à vrai dire il ne s’y est jamais vraiment intéressé. Il peut nous parler un peu du quartier en revanche : la jolie chartreuse qu’on voit à peine derrière sa haute haie était un couvent de religieuses, et à la place de la résidence moderne un peu plus loin dans la rue, c’était les ateliers de la Glacière de Caudéran, à ne pas confondre avec la Glacière de Mérignac, un peu plus connue.

A ce stade de l’exploration, ça va déjà mieux. On n’en sait guère plus sur la rue Wilson en elle-même, mais au moins connaît-on un peu l’histoire du pâté de maisons.

Arpentant la courte rue Wilson une nouvelle fois, Frédéric, en pleine taille de ses arbres, nous envoie chez Lucien, « lui il aura plein de choses à vous dire ».

Vous la reconnaissez ?

Vous la reconnaissez ?

Ouvrant son volet suite à notre coup de sonnette, Lucien prétend gentiment qu’on ne le dérange pas, même si on devine bien qu’on a écourté sa sieste.

Lucien, c’est un personnage truculent comme on les aime. Chevalière au doigt, très fort accent gascon en bouche, Lucien aime les entrecôtes « épaisses commeu ça » (montrer la hauteur d’un trottoir) et le rugby de clocher. Lui qui allait voir jouer à la fois Bègles et le SBUC à l’époque s’est abonné lorsque l’UBB est remonté en Top 14, mais n’a pas récidivé en raison du speaker qui lui « casse les oreilles », à bon entendeur…

Lucien est sympa, c’est une chose, mais surtout il est une vraie encyclopédie sur son quartier. Natif des Landes, il s’est fixé à Caudéran il y a quasiment cinquante ans, après un passage par Maubeuge que l’on aurait aimé filmer tant le décalage culturel devait être amusant.

Lucien

Lucien

 Lucien nous confirme que la jolie chartreuse du bout de la rue Wilson était auparavant occupé par des religieuses : les Dames du Sacré-Cœur. Le petit bouquin « Mémoires de Caudéran », de Pierre Debaig, nous apprend que le pensionnat de ces dames (probablement demoiselles d’ailleurs) occupait 25 hectares, et comprenait des vignes et une grande chapelle. En 1907, deux ans après l’adoption de la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ces dames sont expropriées, la chapelle est démolie et des rues sont percées, dont la rue Wilson, qui comme le montre la photo ci-dessous n’avait pas encore reçu de nom en 1909.

Caudéran en 1909, extrait de "Mémoires de Caudéran"

Caudéran en 1909, extrait de « Mémoires de Caudéran »

Du bâtiment des Dames du Sacré-Cœur il ne reste qu’un morceau : c’est notre fameuse chartreuse, qui fut habitée un temps par Armand Faulat, le dernier maire du Caudéran indépendant.

Début XXème

Début XXème

Début XXIème

Début XXIème

Vous aurez aussi remarqué sur le vieux plan qu’en 1909 le Boulevard du Président Wilson s’appelait encore Boulevard de Caudéran, d’où le doublon Boulevard / Rue Wilson, qui lorsqu’ils ont été nommés au lendemain de la Première Guerre Mondiale n’étaient pas encore sur la même commune.

Lucien poursuit son récit en évoquant le charbonnier Baillarin, « comme les canelés », qui a construit la plupart des maisons du quartier en mélangeant la grave du sol avec le mâchefer qu’il récupérait. Certains ont reproché au charbonnier de mettre bien peu de ciment dans ses constructions. N’ayant pas de compétence en bâtiment, Bordeaux 2066 s’abstiendra de tout jugement.

Enfin, la rue Wilson a été marquée par un dénommé Menaldo, entrepreneur qui avait ses bureaux dans la rue même jusque dans les années 1980, et qui y a construit plusieurs maisons.

Les maisons de Menaldo

Maisons dont on croyait qu’elles étaient de Menaldo, jusqu’à ce qu’on reçoive des mails nous indiquant le contraire (correction de juin 2014). 

Lucien nous a appris tout ce qu’on pouvait savoir sur la rue Wilson, et le bougre nous a donné soif avec ses anecdotes de troisième mi-temps. Nous serions volontiers aller boire un coup à la Dame Blanche, juste au bout de la rue, mais malheureusement nous sommes arrivés deux ans trop tard. Alors finalement c’est dans le petit jardin du PMU « Le Marigny », rue Etchenique, que nous buvons notre demi d’après-balade.

P1030789

Comme l’aurait déclaré Thomas Woodrow Wilson en 1912, « nul ne peut adorer Dieu ou aimer son prochain s’il a l’estomac creux ». Venant d’un Américain, cette citation s’acclimate parfaitement à nos terres de cocagne, et soyons-en certains, aura su consoler les Dames du Sacré-Cœur de leur exil forcé en 1907. On leur dédicace notre 1664, elles sans qui cette chronique n’aurait pu voir le jour.

Adishats !

 

BONUS, pour ceux qui veulent en savoir plus sur la Glacière de Caudéran située juste derrière la rue Wilson, Yves Simone vous raconte tout :
La glacière de Caudéran et son aménagement – kewego
Présenté par Yves Simone et Olivia Lancaster

Mots-clés : tv7 svlg

Rue Sarrette

Nous vous avions laissé sur un paisible quai de gare à Caudéran à profiter de la douceur du soleil hivernal … Depuis, les éléments se sont déchainés, la Garonne a craché son trop-plein sur nos berges, et Excel nous a fait passer de l’autre côté de la gare… mais cette fois-ci la vraie, la grande : la Gare Saint-Jean. Et l’autre côté, oui c’est bien Belcier, quartier plein de mythes, de préjugés et de fantasmes bordelais.

Rue_sarrette

Pour nous c’est près de la place Ferdinand Buisson, rue Sarrette, que tout commence.

P1030639

Pour ceux qui veulent sortir de l’image basique du quartier « putes (NDLR : ça c’est juste pour notre référencement, on sait que c’est un mot-clé qui cartonne sur Google) – marché de gros – friches industrielles » on vous conseille les itinéraires de ballades patrimoniales publiés par nos sérieux collègues de Bordeaux 2030. On rappellera simplement que nous sommes là dans une des zones historiquement industrielle et ouvrière de la ville. Proximité de la Garonne puis de la gare aidant, de nombreuses industries se sont installées dans le quartier dans la seconde moitié du XIXème siècle. Au XXème siècle le Marché d’Intérêt National de Brienne (sorte de Rungis aquitain) viendra compléter le paysage, et le bruit des camions s’ajoutera à celui des trains.

Avec l’industrie, viennent également les ouvriers. Ceux-ci se logent souvent à proximité, et c’est un véritable quartier d’habitation qui se développe à Belcier. La place Ferdinand Buisson l’illustre encore parfaitement, avec ses allures de place de village où convergent plusieurs rues plantées d’échoppes et autres maisons ouvrières.

A droite : l'école Ferdinand Buisson. Au fond : la place du même nom.

A droite : l’école Ferdinand Buisson. Au fond : la place du même nom.

La rue Sarrette est justement l’une de ces rues. A l’angle de la place, elle accueille une école et un dépôt de pain fermé. Dans l’axe, de petites échoppes sont alignées. Mais le passé n’est pas éternel, et quelques mètres plus loin pointent déjà des immeubles modernes, visiblement bâtis il y a une dizaine d’années pour accompagner le tramway venu s’implanter dans ce quartier longtemps délaissé.

 P1030638

P1030640

Les passants nous confirment qu’avant, la rue avait une vocation industrielle et artisanale affirmée : Outibat qui a aujourd’hui déménagé à deux pas de notre première rue explorée, une casse automobile, les transports Ducros, la verrerie Domec située sur l’actuelle emprise du tramway… C’était des centaines d’ouvriers qui travaillaient et vivaient dans le secteur. Mais voilà, en vingt ans tout a changé : les entreprises ont fermé ou sont parties en périphérie, et les immeubles modernes du nouveau Belcier ont poussé.

Deux époques se côtoient.

Deux époques se côtoient.

Le tram, sur le terrain de l'ancienne verrerie.

Le tram, sur le terrain de l’ancienne verrerie.

Le tramway est même venu couper en deux la rue Sarrette : sur une dizaine de mètres de large, sur l’emprise foncière de la verrerie disparue en 1992, l’allée Eugène Delacroix offre une percée très hausmanienne au bolide de la TBC, percée le long de laquelle on remarque quand même l’îlot Armagnac, ensemble architectural moderne plutôt audacieux, bien que son esthétique suscite le débat jusqu’au sein de l’équipe de Bordeaux 2066.

Le Belcier contemporain

Le Belcier contemporain

Notre rue ne s’arrête pas avec le tramway. Elle le traverse et poursuit son chemin quelques dizaines de mètres plus loin, mais dans un environnement intégralement moderne : plus de maisons ouvrières, plus de passé industriel visible… On pourrait même oublier qu’à deux pas de là était installée il y a encore peu de temps la célèbre boite de nuit / salle de concert du 4 Sans, en lieu et place du siège du bailleur social Gironde Habitat. 

Et les habitants dans tout cela ? Se faisant discrets lors de notre déambulation, on rencontre quand même la pharmacienne, installée depuis quelques années et qui trouve le quartier plutôt calme, en tout cas pas aussi « chaud » que certains le pensent. Les prostituées, la drogue … bien sur il y en a toujours, mais moins qu’avant quand « les filles faisaient n’importe quoi ».

Selon certains leur présence est tout de même fluctuante. Gigi, restauratrice bien connue de Vinjo et qui vit à Belcier nous le confirme : « Bordeaux c’est patrimoine mondial de l’Unesco, mais ce quartier on ne le montre jamais. Il n’y a qu’en ce moment que c’est calme, c’est les élections. Pendant les élections, elles disparaissent, après elles reviennent toujours plus nombreuses. »

Les prostituées à Belcier, un patrimoine intangible ? Vaste débat … en tout cas Gilles nous confirme qu’elles sont bien présentes : « une tous les trois mètres le soir » et parfois violentes (agression à coup de talons aiguilles semble-t-il). Gilles, qui est il ? Il est le dernier fier représentant de la vocation industrielle de la rue Sarrette. Gilles est le patron de Sodigraf, entreprise familiale d’agrafage professionnel (bah quoi, vous n’agrafez jamais rien vous ?) créée par ses parents en 1966. Enfant du quartier, il l’a vu changer, évoluer, et pas toujours en bien selon lui. C’est en tout cas grâce à son accueil et sa générosité que nous avons appris tant de choses sur le quartier, et nous l’en remercions. Rien à dire, ce vendeur d’agrafes nous a scotché !

Farces et agrafes.

Farces et agrafes

Gilles devant sa boutique

Gilles devant sa boutique

Malgré toutes ses qualités, Gilles n’a pas encore la Licence 4. C’est donc à la Brasserie de Belcier que nous terminons notre exploration. Ancien « tripot de quartier un peu louche » (dixit plusieurs riverains) le restaurant a été entièrement retapé par Pascale et Véronique pendant un an, et le résultat est magnifique. Elles servent de bons petits plats à une clientèle d’habitués dans une ambiance sympa et décontractée. On y savoure un filet mignon tout en sirotant notre traditionnelle bière de fin d’exploration (Goudale pression, assez rare pour être signalé).

20140212_125242

En regardant la place, et avec un peu d’imagination, on peut imaginer les grandes heures industrielles de Belcier, quand le va-et-vient des camionnettes n’annonçait pas des relations sexuelles tarifées. Et sur un petit air de Bouga, nous improvisons ceci :

« Tout part et Sarrette ici

Tu contestes ? Prépare ton testament gars.

Belcier, fleuron des quartiers bordelais

Coincé entre la gare et les quais …

Belcier Breakdown »

Gageons que depuis là où il est, Bernard Sarrette, Bordelais fondateur du Conservatoire de Paris, saura apprécier. A bientôt pour la 21ème rue.