Passage de l’Hôpital

Excel logiciel politique ? Excel logiciel polémique ? Va savoir … En tout cas Excel a choisi de coller à l’actualité et nous emmène pour cette neuvième découverte aléatoire en plein centre ville, pour visiter le Passage de l’Hôpital, qui semble-t-il s’appelait déjà comme cela bien avant l’arrivée de l’hôpital Saint-André à proximité.

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Premier « Passage » du blog, après sept rues et une avenue, cette voie étroite et étrange a récemment fait l’objet d’un long article dans Sud Ouest , que nous avions relayé sur notre compte Facebook et d’un débat non moins passionné. Pourquoi ? Car il s’agit d’une de ces rues que la Mairie envisage de fermer la nuit. Fermer des rues ? Quelle idée ? On parque ? On ghettoïse ? Pas si simple, car ici la solution vient suite aux demandes des riverains eux mêmes (ou tout du moins d’une partie).

Alors, coupe-gorge, nid à problèmes et pissotière en plein air le Passage de l’Hôpital ? Pour vous, Bordeaux 2066 a mené l’enquête (à lire avec un ton Bernard de la Villardière).

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Nous arrivons par la rue de Cursol, à deux pas de la très classique et très sage rue du Maréchal Joffre et là que dire … franchement pas grand-chose. La voie est certes étroite et petite, du genre inquiétante la nuit, mais comme des dizaines d’autres à Bordeaux et dans toutes villes au patrimoine médiéval. En avançant dans la rue que découvre-t-on ? Aucune trace d’incivisme, par contre un sacré méli-mélo architectural regroupant bow windows, parpaings, pierres blondes et pierres noircies, maison d’avocats et logements insalubres. Pas de clochard non plus : le Passage de l’Hôpital se fout de la charité.

Medina du Sahel ? Non, Passage de l'Hôpital.

Medina du Sahel ? Non, Passage de l’Hôpital.

La Corogne ? Non, Passage de l'Hôpital.

La Corogne ? Non, Passage de l’Hôpital.

Petit village de l'Entre-Deux-Mers ? Non, Passage de l'Hôpital !

Petit village de l’Entre-Deux-Mers ? Non, Passage de l’Hôpital !

Toutefois, au fil de l’exploration, on commence à mieux comprendre … la rue se resserre petit à petit, jusqu’à un étrange renfoncement ouvrant lui-même sur un long corridor noir de quelques mètres. Au bout du corridor, c’est la lumière des belles façades de la rue du Hâ. La voilà donc l’explication du problème : un couloir aussi sombre qu’anxiogène, qui convenons-en s’avère plus que propice à toutes sortes de menus larcins. Nous avons d’ailleurs eu la joie d’y croiser deux jeunes personnages aux cigarettes suspectes, mais peu désinhibés pour autant car assez taiseux sur les quelques questions que nous leur avons posées sur la rue.

Hâ, une rue !

Hâ, une rue !

Haussmann se retournerait dans sa tombe.

Haussmann se retournerait dans sa tombe.

Toujours est-il que Vinjo et Pim n’ont pas encore troqué leur vocation d’explorateurs urbains pour celle de vigiles de quartier. Faisant fi de la petite délinquance, le passage est exploré de nouveau et cette fois ci dans l’autre sens. Et là, coup de chance, nous rencontrons un ange ou plutôt une Angèle.

Angèle…ahh…Angèle. Angèle c’est un poème, une mémoire, un bout d’histoire à elle seule. Angèle quand on la voit, on l’aime. Octogénaire (« 80, 70, 60 ans… j’en ai rien à foutre moi »), espagnole d’origine, bordelaise de coeur, voilà 40 ans qu’Angèle vit dans sa petite maison du passage de l’hôpital.

Les cheveux rouge / rose, l’œil pétillant, les lèvres carmin, Angèle c’est un monument. Un monument de gouaille surtout … un phrasé et un accent bordeluches que l’on aimerait enregistrer pour vous le faire écouter tant il fait partie de notre patrimoine immatériel, et mériterait d’être à l’UNESCO lui aussi. Les roulements chantants, les « gensses », les « pardine » et le franc parler : oh anqui tout y est !

Nous abordons Angèle tandis qu’elle discute avec Francisco, un voisin, à sa fenêtre : « Fais gaffe que le pigeon te chie pas sur la gueule, ça te ferait de la gomina », nous prévient-elle en pointant du doigt ses amis à plumes. Angèle nous met tout de suite à l’aise.

Angèle, elle aime bien sa rue … il y a 40 ans c’était comme un village, tout le monde se connaissait, se parlait. Aujourd’hui ce n’est plus tout à fait pareil nous dit-elle … mais quand même, Angèle connait tout le monde, et tout le monde la connaît, lui apporte du pain, des cigarettes, lui fait ses courses …  En 15 minutes de conversation (Angèle n’a pas vraiment besoin qu’on la relance) elle aura d’ailleurs le temps de saluer quatre passants par leur prénom et de nous raconter la vie d’une dizaine d’autres (l’avocat qui est un monsieur très gentil, sa femme, Paulette, la voisine d’en face etc. etc.)

Et la polémique sur la fermeture du passage? Pardine elle n’a pas trop d’avis, par contre une chose est sure : trop de jeunes profitent de l’endroit pour « faire vous savez quoi » nous dit elle. Bon on ne sait pas vraiment quoi d’ailleurs (petits trafics ? alcoolisation excessive ? passes ?) et comme Angèle n’a pas voulu nous faire un dessin, nous n’avons aucune certitude sur cette délinquance. Toujours est il qu’Angèle, près de sa fenêtre, garde son bâton de bois pour se défendre, au cas où, et qu’elle n’a pas peur de mettre un intrus en fuite si besoin.

Pas de bâton contre nous, « des petits jeunes très polis qui demandent des renseignements eh bé té je les renseigne moi et puis voilà hé » et malheureusement pas de photos non plus. Elle est comme ça Angèle, gouailleuse, mais timide dans le fond, à ne pas vouloir trop se montrer, s’exposer. Il est temps de la laisser, elle a des pigeons à nourrir, et nous une rue à finir. Nous la saluons, et elle nous gratifie d’un dernier conseil tandis que nous abordons la traversée du fameux corridor : « Ne vous faites pas violer hé les drolles ».

Une photo avec de la tendresse (si si, regardez bien !)

Une photo avec de la tendresse (si si, regardez bien !)

Plus personne Passage de l’Hôpital, et point de bar à l’horizon. Dernière traversée du corridor noir et nous voici rue du Hâ. Le bar le plus proche, on ne sait pas, car un restaurant nous accueille avant : l’Abissynia. C’est l’un des deux seuls restos éthiopiens de Bordeaux, et nous tombons à pic puisque c’était ce jour là le nouvel an éthiopien, que nous avons arrosé d’une « Saint George Beer ».

Au final cet article n’apportera rien au débat des fermetures d’impasses. Mais à vrai dire ce n’est pas notre but. Notre souhait c’est d’ouvrir les yeux sur ces rues connues et inconnues, et pas d’y mettre une grille… pardine !

Bonne année à la communauté éthiopienne de Bordeaux !

Bonne année à la communauté éthiopienne de Bordeaux !